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Un conseil des ministres. L’aviez-vous vu comme ça ?
Le Président arrive toujours flanqué de deux huissiers en queues-de-pie et à chaînes d’argent ouvrant sa marche, quand son Premier ministre le suit en trottinant. Les huissiers crient ainsi chaque mercredi vers 10 heures devant la porte du salon Murat : « Monsieur le Président de la République ! », mettant au silence les ministres soudain figés par l’annonce. Les deux secrétaires généraux de l’Élysée et du gouvernement sont toujours présents sur un petit bureau devant les fenêtres au soleil. Les téléphones de chacun ont été placés dans des tiroirs réservés à cet effet dans le vestibule. Le spectacle peut commencer. C’est comme un huis clos sacré qui débute là. Mais chaque mot qui y sera prononcé a vocation à être répété, repris, interprété, analysé, décortiqué. Ce n’est donc pas un huis clos, c’est une estrade sans spectateurs. Une mise en scène méticuleuse du pouvoir destiné à le convaincre lui-même de sa force, ainsi que ceux qui en douteraient. Le Président ouvre la séance en résumant le plus spirituellement possible la situation dictée par l’actualité. Il autocélèbre généralement son analyse par des « j’avais prévenu », il donne la leçon des événements avec des « faites attention à ceci » pour enfin donner ses instructions à coups de « vous direz cela ». Le Président pratique le monologue infatigable du pouvoir : parler seul, ne pouvoir être contredit, être condamné à devoir toujours avoir raison. Nul ne contrarie le Président parce que nul ne s’y sent autorisé. Seul le maître des lieux et du temps pourrait solliciter un avis contraire, mais qui pourrait bien se hasarder à lancer une discussion dans un endroit pareil ? Le Président demande traditionnellement au ministre des Affaires étrangères de présenter la situation mondiale. C’est le moment d’exercer sa curiosité en sollicitant sa propre attention tant la narration est ennuyeuse, malgré les quelques efforts de fantaisie que le ministre du Reste du monde met dans son exposé. L’ordre du jour y est réglé comme un métronome. Partie A : les textes de lois. Partie B : les communications. Partie C : les nominations. C’est la messe en latin : clochette, psaumes, ostensoir, rites et répétition des rites. Chacun officie dans son office, récite son texte et son évangile, chacun dit à son tour sa prière écrite et préparée à l’avance, et le chœur approuve silencieusement la grande prière finale de l’archidiacre tenant de la croyance.

Extrait de L’engagement (récit), Arnaud Montebourg, Grasset