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L’Iran, Cuba, la Corée du Nord, le Soudan, la Russie, le Rwanda, la Chine… Autant de pays que l’on ne classe pas dans nos destinations estivales fantasmées. Du moins si l’on souhaite vadrouiller à notre bon vouloir en vacances. La liste des pays à mauvaise réputation est longue. Néanmoins, des échanges commerciaux existent, au-delà des embargos et de relations diplomatiques délétères. Dernière preuve en date, François Hollande vendait 24 Rafales au Qatar pour la coquette somme de 6,3 milliards d’euros. Contrat commercial qui cependant ne cesse de faire jaser parce que plane toujours l’ombre d’un éventuel financement qatari de certains réseaux salafistes. Qu’importe, les capitaines d’industrie française ambitionnent d’asseoir leur assise dans certaines zones chaudes du monde, quelle que soit leur réputation : Airbus en Iran par exemple, Total en Syrie, à Cuba… On serait tenté de croire qu’un pays tel que la France et bien d’autres Occidentaux seraient depuis bien longtemps devenus schizophrènes, sorte de Janus politiques contemporains avec d’un côté un visage républicain et soucieux des Droits de l’homme et de l’autre, une seconde face un peu plus trouble qui fait fi de la première par opportunisme d’affaires. Naïf ? A contre-courant, outre-Atlantique, quelques poignées de mains viennent de sceller une nouvelle entente entre Cuba et les Etats-Unis qui accordent à quelques compagnies américaines de ferries le droit d’assurer les quelque 150 kilomètres qui séparent les deux ennemis historiques. Un signe d’un apaisement diplomatique entre les deux pays. Se pose donc légitimement la question du « doit-on conduire des affaires avec des régimes dits autoritaires ? ». Voici quelques clés de lecture pour dépasser la bien-pensance.

Commercer au-delà des sanctions économiques
La politique internationale du gros bâton n’est plus. Mais, le pays de l’Oncle Sam demeure le gendarme mondial le plus dissuasif en matière de commerce international. « Les Etats-Unis continuent d’appliquer leur droit de manière extra-territoriale et possèdent surtout la capacité d’interdire à toute entreprise étrangère en lien avec eux de commercer avec les pays sous le joug de leurs sanctions économiques », souligne Frédéric Jenny, professeur d’économie à l’ESSEC, ancien président du comité de concurrence à l’OCDE. Ce qui explique pourquoi la BNP a été lourdement punie – amende record de 6,4 milliards d’euros – suite à des transactions en dollars réalisées de 2002 à 2009 avec le Soudan, l’Iran et Cuba, tous sous embargo. « C’est une des raisons qui expliquent pourquoi il y a très peu de commerce direct avec ce type de pays », complète-t-il. Mais les entreprises ne sauraient en rester là. En Birmanie, au Soudan ou bien en Iran, les opportunités commerciales existent. D’autant que certains de ces pays bénéficient d’une grande force d’attraction, en raison notamment d’une classe moyenne consolidée, de la richesse du sous-sol et du potentiel économique du pays. Ainsi, ne convoite-t-on pas aussi intensément Cuba que l’Iran, la Corée du Nord ou la Russie. Une des raisons d’ailleurs pour lesquelles PSA s’est fortement implanté en Iran. Tout comme Total qui « suit également attentivement les évolutions de la situation en Crimée et les éventuelles réglementations et/ou sanctions économiques » ou « ne peut garantir que les réglementations actuelles ou futures ne puissent pas avoir d’impacts sur ses activités ou sa réputation », selon son document de référence 2013. « La logique économique se superpose donc à la logique politique. C’est une réalité économique de base. La liberté de commerce permet le développement économique. Selon le dernier rapport des Nations-Unis paru en cette fin du mois de juillet, plus d’un milliard de personnes sont sorties du seuil de pauvreté grâce à la libéralisation du commerce », avance Frédéric Jenny. Le dilemme revient donc à se demander s’il faut faire sauter certains verrous diplomatiques pour engendrer une spirale économique vertueuse sur le long terme où les pays s’affaibliraient, ou au contraire sanctionner les Etats via embargos ou blocus pour les éduquer.
Dépasser la mauvaise réputation
Inclure un pays dans les échanges économiques peut-il faire évoluer le pays ? Même si les rangs des eurosceptiques grossissent aujourd’hui, force est de reconnaître que l’Europe fut à son origine un accord pour établir une zone de libre-échange entre deux ennemis séculaires. « La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a réussi à faire dialoguer des pays habitués à se détruire. Le développement économique fait naître un intérêt commun. Dans le cas de l’Europe, elle lui a permis d’être pacifiée. C’est une des réussites majeures de la communauté européenne », analyse Frédéric Jenny. La création du GATT en 1947, qui a précédé celle de l’OMC, reposait sur ce même principe. Développer les échanges et le niveau de vie pour mettre de côté les rancœurs et retrouver un intérêt commun entre les pays. Cela dit, tous les pays ne peuvent profiter de l’ouverture au commerce international. Cette dernière va en effet davantage bénéficier aux pays qui se sont industrialisés, qui possèdent une forte compétitivité-prix et une grande compétitivité structurelle. Ces conditions réunies peuvent ainsi amorcer l’ouverture du pays, au-delà de sa mauvaise réputation et de son autarcie. Haiyan Zhang, directeur de l’Institut Confucius de NEOMA Business School ajoute : « En Chine, la politique dite de l’Open Door de 1978 a été seulement rendue possible suite à la transformation du marché du système de propriété et de la transformation des entreprises d’Etat. L’ouverture de la Chine s’est donc manifestée par sa part croissante dans le commerce international, dans les investissements directs/indirects et dans le système global en termes de finance (AIIB, BRICS Bank, etc). » De même que le pays a progressivement tourné le dos à son passé politique, « ses administrations sont désormais fortement orientées « business » avec une approche très pragmatique, même s’il existe encore quelques restrictions pour les pays occidentaux compte tenu de la relation privilégiée nouée entre les entreprises d’Etat et le gouvernement », complète Haiyan Zhang. « Et si certaines tensions persistent avec des voisins, la Fair Trade Area, par exemple, partie intégrante de l’ASEAN, consiste en une plateforme pour discuter des conflits entre pays membres. » Jusqu’à quel point la croissance et l’ouverture commerciale peuvent-elles alors profiter au pays en matière de diplomatie ? S’il n’y pas de recette miracle à la question, le curseur des relations internationales pourrait toutefois changer de direction, notamment en raison de la récente création chinoise, l’AIIB, censée concurrencer la banque mondiale sans pour autant dépendre de l’influence de Washington. La France, l’Allemagne et l’Italie font partie de ces pays qui rejoignent les rangs de cette nouvelle banque au grand dam des Etats-Unis. Une révolution pour un pays dont la réputation évolue bien depuis des décennies.
Geoffroy Framery