Le Club des Cent

« Cela multiplié par 100… La cuisine est brillante… »
« Cela multiplié par 100… La cuisine est brillante… »

Temps de lecture estimé : 3 minutes

On s’y presse depuis plus d’un siècle… pour se mettre à table ! Le Club des Cent est toujours aussi secret que prestigieux…

« Cela multiplié par 100… La cuisine est brillante… »
« Cela multiplié par 100… La cuisine est brillante… »

«J’ai deux regrets : n’avoir jamais pu me faire greffer une queue de panthère ni entrer au Club des Cent. » Un aveu d’impuissance qui serait signé Sarah Bernhardt. De fait, plus que de droit du reste, un siècle après les propos de La Divine, ce sont toujours ces messieurs qui possèdent leur rond de serviette à l’une des sociétés les plus fermées du petit cercle des grands clubs privés. Cent puissants et pas un de plus, les autres étant stagiaires jusqu’à ce qu’une place se libère, comme à l’Académie Française… Eux ? Des politiques (Xavier Darcos, Jean-Pierre Raffarin…), des journalistes (dont un Bernard Pivot très actif mais aussi l’incontournable Philippe Bouvard), des écrivains (Erik Orsenna), voire des hommes de spectacle (Pierre Arditi), mais aussi et surtout quelques-uns des patrons les plus emblématiques du CAC40 et des capitaines d’industrie incontournables : le Dg. de GDF Suez Jean-François Cirelli, Eric Frachon, Jean-Louis Beffa, Robert Peugeot, étaient aux côtés de Daniel Bouton (ex-patron de la Société Générale), Claude Bébéar (président d’honneur d’AXA), Eric de Rothschild et Martin Bouygues, Jean-René Fourtou, le Prince Albert II de Monaco, sans oublier quelques professeurs de médecine, et même un prêtre aussi. Du solide. Leur point commun ? La fourchette ! Plus que centenaire, ce club fondé en 1912 – contemporain en cela du Guide Michelin (1900) – par le journaliste politique et dreyfusard Louis Forest, a été lancé sur ces bases, comme en témoigne la lettre de recrutement adressée aux premiers membres : « Un club de touristes automobiles sérieux, batteurs de routes émérites qui tiennent par-dessus tout à ne pas s’embêter dans la vie (…) Nous voulons avoir la liste complète des seules bonnes auberges, des seules bonnes boîtes bien françaises où l’on mange de très bonnes choses sur de la vaisselle propre et avec du linge bien blanc. »

 

Entrée ardue

103 ans plus tard, ce club de l’entre-soi réunit une quarantaine de ses membres tous les jeudis à 12h30 – dite l’heure du chef – jusqu’à 14h30 précises à l’initiative de l’un d’entre deux et ce à tour de rôle. Un « brigadier » éphémère qui a la haute responsabilité de contenter ses amis gastronomes accomplis, dont chacun doit toutefois s’acquitter de son addition. Les agapes se sont longtemps déroulées chez Maxim’s, leur QG, un peu moins désormais, le club fréquentant aussi l’Ambroisie de Bernard Pacaud ou l’Apicius de Jean-Pierre Vigato, deux des chefs Centistes où figurent aussi Paul Bocuse, Alain Passard ou Joël Robuchon. Les seuls à échapper au grand oral du club. Son rite d’intronisation singulier est immuable et surtout terriblement redouté. Car, si le règlement exige qu’il faut être parrainé par deux membres qui assurent votre honorabilité et votre goût pour les choses exquises, qu’il ne faut pas avoir plus de 65 ans et être toujours en activité, et qu’il faut s’acquitter d’une cotisation annuelle de 1000 €, bourgeois de province ou patrons du CAC perchés en haut de la Défense se trouvent parfois bien dépourvus quand l’épreuve survient. Dividendes, particules ou rosettes, ne pèsent en effet pas bien lourd devant la poularde de Bresse, le filet de sole poché, le canard de Challans et autre homard Vendôme. Une commission de réception de 18 membres passe en effet au crible les connaissances culinaires et œnologiques des candidats dont un sur dix est recalé. Pas un énarque ou un normalien qui ne tremble devant les cépages, les accords mets et vin et le vocabulaire culinaire polysémique.

 

Lobbying

C’est à table que l’on gouverne, dit-on… Qu’en est-il à celle des Centistes ? « La sensation du plaisir est un état si fragile. Et les repas fixent l’amitié », défend, avec le sens de la formule, Jean Solanet, expert immobilier et président du Club depuis quelques années. Un président honoraire de la chambre des experts FNAIM pour le moins discret sur la communication du cénacle qui confiait à nos confères de La Libre Belgique il y a quelques mois qu’au club, tradition ne rime pas avec rigidité. « Chacun se tutoie, s’apostrophe, s’assoit où il veut, interrompt un camarade sans présenter la moindre excuse et commence à manger sans attendre ses voisins quand on lui apporte un plat à consommer chaud. En bref, tout est permis dans le cadre de cette courtoisie naturelle qui exclut tout excès. » Si la parole est rabelaisienne, le business y est forcément évoqué. « Il est probable que ce club joue un certain rôle dans son genre, comme le Club des Amateurs de Cigare, de celui des Croqueurs de Chocolat ou des Amis des Bistrots Parisiens, estime dans son ouvrage À table, la vie intrépide d’un gourmet redoutable, Claude Lebey, l’un de ses membres, à l’origine de la création des trois derniers cercles. Il est très discret et très efficace. Ses 100 membres appartiennent tous à des professions qui jouent un rôle important dans la société française. Il y règne, malgré les différences d’âge (le plus jeune est le chef d’orchestre Bruno Mantovani, 37 ans, le plus âgé le journaliste Jean Ferriot, 93 ans, NDLR), une ambiance très particulière à tel point que l’un d’entre nous a dit que le Club des Cent est le seul où l’on pouvait se faire des amis d’enfance à n’importe quel âge (…) Le recrutement s’est par ailleurs élargi, les qualités humaines primant sur la réussite sociale. Et Jean Solanet a continué la politique d’ouverture de son prédécesseur. » Si un Centiste est membre à vie – bien que le manque d’assiduité puisse conduire à l’exclusion comme cela est arrivé à l’acteur Christian Clavier – et qu’un fils peut succéder à son père, ce think tank de la bonne bouffe a aussi à son actif l’inscription du repas français au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2010. Hommes d’envergure et tambouille, oui, mais à la seule condition qu’elle soit bonne.

 

Olivier Remy

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