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n°18
PaNOraMa Rétrospective - Laïcité
Laïque, on like ?
Dans chaque numéro, EcoRéseau vous propose de revenir sur un événement ou une institution qui fait l’actualité, en les mettant en regard de ce qu’ils étaient ou auraient pu être il y a un demi-siècle. Pas question de comparer l’incomparable, de fustiger ou de glorifier le passé. Simplement de montrer que non, ça n’était pas forcément mieux avant.
La laïcité est, depuis quelques semaines, dans l’œil du cyclone et des fusils mitrailleurs. attaquée, elle l’est depuis bien longtemps. C’est en 1959 avec la loi Debré que ses racines ont subi le premier coup de canif.
Depuis, le roseau plie mais ne rompt pas. Jusqu’à quand ?
«L
sible, laïque, démocratique et sociale. » ainsi com- mence le premier article de notre Constitution. C’est dire à quel point le principe de laïcité consti- tue un pilier majeur de notre société et de son mode de fonctionnement. Et pourtant : les églises sonnent le dimanche, on sert du poisson à la cantine le vendredi, et France 2 propose depuis des années la messe en alternative à l’inénarrable Téléfoot de TF1. Dans le même temps, lorsqu’une poignée de fous de Dieu tente, à grand renfort de Kalachnikov, de nous obliger à respecter un Dieu auquel personne n’est obligé de croire, mé- dias, intellectuels et res- ponsables politiques rappellent cette bonne vieille laïcité à notre bon souvenir. Bref, on patauge un peu.
« Dans les années 60, les choses sont beaucoup plus lisibles, tranche Patrick Cabanel, professeur d’his- toire contemporaine à l’Université de Toulouse, spécialiste des religions et de la laïcité. La France est alors beaucoup plus tradi- tionnelle. C’est un peu Don Camillo et Peppone : d’un côté, une France de droite catholique, de l’au- tre, une France de gauche laïque. Chacun à sa charte fondatrice, en l’occur- rence la loi de 1905 pour les laïcs. » Pour l’histo- rien, cette dualité rappelle le modèle des piliers que l’on retrouve dans les so- ciétés bi-confessionnelles. Chacun naît dans une so- ciété construite verticale- ment sur deux colonnes – le catholicisme et le pro-
6 Mars 2015
a France est une Répu- blique indivi-
testantisme, par exemple – , la laïcité et le catholi- cisme pour le sujet qui nous concerne. Toute la
phobe, elle est, si l’on peut accepter ce néologisme, « islamismophobe ». Le catholicisme, comme l’is-
des espaces dans lesquels la religion a le droit de s’épanouir et d’autres dans lesquels elle ne doit pas intervenir.
dans la désacralisation progressive à partir des années 1960-1970 de toutes les formes d’auto- rité : religieuse, morale, familiale... a cela s’ajoute la libération sexuelle ou encore la banalisation du divorce. « La laïcité elle- même s’est alors séculari- sée, note l’historien. Pour ses partisans, il s’agissait d’une valeur suprême. D’une attitude de fidèles vis-à-vis de la laïcité, les gens ont glissé vers une attitude de consomma- teurs. » autre processus à prendre en compte, en réaction au précédent, ce que le politologue spécia- liste de l’islam Gilles Kepel a appelé la « re- vanche de Dieu », c’est-à- dire la volonté des religions de regagner le terrain fraîchement perdu. Parfait exemple de ce changement de cap : l’ac- tion évangélisatrice affi- chée et assumée par Jean-Paul II tout au long de son pontificat. Difficile également de ne pas évo- quer le rôle de l’enracine- ment de l’islam en France. « On ne parle plus alors dans les années 80 d’un islam installé furtivement, explique l’historien, mais d’un islam ancré définiti- vement sur le sol français. Ce que l’on appelle l’is-
puis les années 1980, a connu un vif retour des mémoires. Mémoire de la shoah, mémoire coloniale, mémoire de l’esclavage. autant d’éléments qui l’ont rendue moins sûre de son Histoire. au point d’ébranler le dogme laïc jusque dans son berceau : la gauche. « Une partie de la gauche se montre au- jourd’hui assez critique envers la laïcité, remarque Patrick Cabanel. Une gauche qui est tentée d’affir- mer que la laïcité représente une forme d’intolérance par rapport au multicultura- lisme, et que celle-ci ne se- rait finalement que le visage propre de la haine de l’islam. »
La laïcité en quête de repères
Cela n’empêche pas
chaque camp de défendre
ses intérêts d’alors. ainsi,
les « cathos » inventent-ils
le terme de « laïcisme ».
But de l’opération ? Lais-
ser penser que sous cou-
vert de construction
juridique, la laïcité est en
fait une idéologie antireli-
gieuse. Mais l’enjeu prin-
cipal n’est pas tant
derrière les pupitres des
orateurs que derrière celui
des élèves. Pour Patrick
Cabanel, « le lieu où tout
se joue alors, c’est l’école.
La droite tente depuis
longtemps de reconquérir
ce territoire perdu, en ob-
tenant le financement des
écoles catholiques par
l’argent public. Et elle y
parvient en 1959 avec la
loi Debré. Il s’agit d’une
vraie défaite pour la laï-
cité. » Une défaite qui se
confirmera 25 ans plus
tard lorsque le projet de
réforme savary ne par-
viendra pas à revenir sur
cet état de fait. Mais là en-
core, selon l’historien, il
faut davantage voir dans
cette affaire une volonté
du camp catholique de
préserver ses intérêts que
d’enfoncer volontairement
cité. Le cléricalisme, un coin dans l’édifice laïc. lam de France. Cela a
autant d’éléments qui ont accouché d’une France beaucoup moins lisible qu’il y a 50 ans. au- jourd’hui, les bobos de gauche manipulent la carte scolaire pour mettre leurs enfants dans le lycée privé de la ville d’à côté et le Front National se pose en défenseur de la laïcité. Un brouillage qui crée des interstices dans le puzzle de la laïcité, dans lesquels cherchent à s’engouffrer les religions. Les autorités juives et musulmanes ne demandent-elles pas à bé- néficier, elles aussi, d’écoles sous contrat ? Les
vie du sujet sera ensuite régie par rapport à son « camp » d’origine, sans jamais en sortir.
lam, sont des religions, et à ce titre, sont parfaite- ment respectées par la laï-
sont-
Pour autant, cette schizo- phrénie entraîne-t-elle le rejet systématique du camp adverse ? « Non, af- firme Patrick Cabanel. Ja- mais la laïcité ne se montre antireligieuse. An- ticléricale, oui. La diffé- rence entre ces deux termes est primordiale, et elle n’est pas sans rappe- ler ce que l’on connaît au- jourd’hui avec l’islam. La laïcité n’est pas islamo-
comme l’islamisme, sont des idéologies politico-re-
Cette imperméabilité « ca- thos »/laïcs a volé en éclat
ajouté un acteur supplé- mentaire à la question de
cantines scolaires ne. elles pas sommées par cer- tains de demander des menus sans porc ? La question du port du voile intégral dans les lieux pu- blics ne revient-elle pas régulièrement dans le débat d’idées ? Jusqu’ici, le roseau a tenu bon.
Dans les années 60, d’un côté une France laïque, de l’autre une France catho
ligieuses qui veulent orga- niser la société en fonction de dogmes religieux. » On touche ici au principe même de laïcité : la sépa- ration. séparation entre
à partir des années 1980. Pourquoi les eaux des deux fleuves se sont-elles subitement mélangées ? Plusieurs raisons à cela. La première est à chercher
la laïcité et contribué à complexifier encore un peu plus le paysage. » Mais les raisons du brouil- lage actuel ne sont pas que religieuses. La France, de-
Olivier Faure