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David Fayon est consultant numérique, auteur, conférencier, et membre de think tank pour le développement numérique en France (La Fabrique du Futur, Renaissance numérique…).

TRIBUNE LIBRE. Il s’agit d’une drôle de campagne. Un président sortant et ultra-favori tarde à annoncer sa candidature comme l’avait fait Mitterrand en 1988 avec sa « lettre à tous les Français ». Une manière de refuser la confrontation avec les autres candidats car son bilan (dette, moral des Français, déficit du commerce extérieur, pouvoir d’achat, désindustrialisation etc.) est, de façon factuelle, médiocre.
Si l’on additionne le score des candidats extrêmes : on dépasse les 50 % ! Du jamais vu dans un pays démocratique comme le nôtre. Enfin, la démocratie a reculé en France depuis plusieurs années, selon Statista. Les mesures liberticides et les répressions de manifestations peuvent l’expliquer. La France a d’ailleurs rétrogradé au 34e rang pour la liberté de la presse selon Reporters sans frontières du fait notamment des répressions.
D’un point de vue communicationnel, beaucoup de partis et de mouvements ont souvent eu pour slogan l’opposé de ce qu’ils faisaient ou font – PSU ou CGTU pour unifié ou unitaire alors que c’était une source de division. On pourrait multiplier les exemples, « Avec vous » semble le dernier en date du côté d’Emmanuel Macron, avec sur le site de campagne : « Vous ne vous reconnaissez pas dans les déclarations des candidats à l’élection présidentielle ? C’est normal, ils ne parlent pas de vous, ils parlent d’eux. Notre démarche est à l’opposé de ça. » Dans les faits, nous avons un président omniprésent dans les médias. Il s’agit d’un coup de com permanent : « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe, l’essentiel c’est que l’on parle de moi ! », disait notamment le journaliste Léon Zitrone. Pourquoi alors ne pas s’abriter derrière McFly et Carlito plutôt que de parler de programme politique ?
Le rôle du cinquième pouvoir dans les élections
En 2008 aux États-Unis, avec et grâce à Internet, un président sorti de presque nulle part était élu, Barack Obama. Issu de la diversité, il avait pu déjouer les pronostics. Sa campagne reste un cas d’école comme l’explique un article d’Obamarketing de Charles Bwele.
La question est de connaître l’impact d’Internet, le cinquième pouvoir sur les élections. Force est néanmoins de constater que les médias, le quatrième pouvoir, donnent plus la parole à certains candidats que d’autres. Certains se retrouvent même boycottés depuis l’annonce de leur candidature. Sans oublier le pouvoir de révéler des affaires, qui viennent discréditer un candidat. On l’avait vu en 2017 avec le scandale dévoilé par Le Canard enchaîné pour le candidat Fillon – c’était déjà le cas en 1974 avec un autre scandale affectant Jean-Jacques Chaban-Delmas*. Dans le même temps, les médias peuvent porter au pinacle un candidat. Ce fut le cas d’Emmanuel Macron qui faisait la une de tous les hebdomadaires en 2017.
On pourrait penser que les réseaux sociaux donnent le moyen à des challengers de se procurer un avantage, mais les plates-formes, en raison de leurs algorithmes, privilégient des contenus clivants, ce qui laisse moins de place à des discours plus apaisés et consensuels. En outre la modération n’est pas toujours accomplie avec discernement, qu’elle soit algorithmique ou humaine. Avoir raison trop tôt n’aide pas. Par exemple, la fuite du virus de la covid du laboratoire de Wuhan était jugée début 2020 comme complotiste. Aujourd’hui, il s’agit d’une hypothèse viable parmi d’autres.
Les candidats passés au crible d’Internet
Des candidats se sont déclarés depuis plusieurs mois, d’autres plus récemment, le président pas encore. La situation à date est analysée par ordre décroissant des parrainages obtenus et indépendamment de toute considération de sondage ou partisane. Elle repose sur les données des réseaux sociaux en partant notamment de Twitter. On pourra se référer à la page du Conseil Constitutionnel qui se charge de la validation des parrainages et à celle de Wikipédia qui donne la vision dynamique des parrainages.
Le nombre d’abonnés sur Twitter ne préjuge pas de la dynamique existante dans la publication des tweets (commentaires, J’aime, retweets) et des porosités avec d’autres contenus sur Internet et sur les médias traditionnels. Des informations sont étonnantes. Par exemple, dans le clan des « 1 parrainage », on retrouve l’ancien président François Hollande et le candidat à la primaire LR Michel Barnier qui ne sont pas candidats alors que Florian Philippot, malgré ses 330 000 abonnés sur Twitter et très actif contre le passe sanitaire, atteint le même score et vient de jeter l’éponge. Des pressions sont, d’après le terrain, exercées pour dissuader tout parrainage supposé nuisible.
Sur 23 candidats analysés, 4 dépassent le million d’abonnés sur Twitter, à savoir Macron, Hidalgo, Le Pen et Mélenchon. Suivent Taubira, qui s’était présentée en 2002, Pécresse et Zemmour, qui livrent leur première campagne. Être abonné à un compte ne signifie pas forcément adhérer aux idées mais le suivre, pour être informé par exemple dans le cadre de la veille sur l’actualité ou la politique.
Emmanuel Macron avec « AvecVous » a investi les applications sur smartphone, ce qui demande un plus gros budget. Essentiel malgré tout pour toucher massivement les Français, dont les plus jeunes. Éric Zemmour est présent sur la plate-forme française Dailymotion, Pinterest et le réseau alternatif des Républicains américains trumpistes, Gettr !Tous les candidats ont une page sur Wikipédia sauf Arnaud Chiche. Tous les candidats ont des comptes Twitter certifiés sauf Hélène Thouy, du parti animaliste.
Observons que nous avons dans l’histoire de la Ve République un premier candidat entrepreneur issu du monde numérique en la personne de Rafik Smati. J’avais eu l’occasion de l’interviewer en 2009 et il apporte une hauteur de vue rare sur les thèmes d’avenir et sur des questions comme la souveraineté numérique (mais pas seulement, son programme est complet et chiffré).
Internet, démocratie et parrainages
Au 20 février, 20 % des élus ont parrainé des candidats. Plus de 70 % des élus en situation de parrainage (maires, maires adjoints de grandes villes, conseillers départementaux et régionaux, députés et sénateurs, etc.) sur les 45 000 ne devraient parrainer aucun candidat pour des raisons diverses (pressions subies, peur de parrainer un candidat qui déplaise à leurs électeurs car clivant etc.) alors que les prochaines élections municipales se dérouleront en 2026, soit dans plus de 4 ans. Il ne faudra pas s’étonner si on a plus de 30 % d’abstention chez les électeurs pour une élection majeure comme les législatives et les municipales. Il serait bon d’avoir la symétrie des attentions entre élus et citoyens.
Élu·es, pourquoi ne pas parrainer dès maintenant des candidats dont le programme est intéressant et en quête de parrainages ? Pourquoi ne pas voter enfin pour un candidat et un programme et non contre un candidat jugé mauvais, dangereux ou les deux à la fois ? Et si le « dégagisme » dégageait, si on était dans l’adhésion plus que la sanction ?
Idées pour l’avenir
Déjà en 2010, Alban Martin avait publié l’essai Egocratie et démocratie. Il livrait quelques pistes intéressantes pour une démocratie rénovée. En allant plus loin, pourquoi ne pas faire évoluer la méthode des parrainages ? Par exemple, seuls les 15 ou 20 premiers candidats en nombre de parrainages seraient qualifiés pour la ligne de départ. L’effet serait de stimuler le parrainage jusqu’au dernier moment à l’image du classement des championnats de Ligue 1 ou du Top 14 où, si l’on n’engrange pas de points au fil des matchs, on recule jusqu’à atteindre la zone reléguable de descente en division inférieure. On pourrait imaginer de rendre le parrainage obligatoire et le parrainage « blanc ». Car « qui oblige s’oblige » et une vraie République exemplaire reposerait aussi sur la nécessité pour les élus de prendre leur responsabilité et de parrainer en élus responsables et éclairés en toute connaissance de l’ensemble des programmes.
D’autres questions méritent d’être posées : quels partis reconnaissent le RIC, le vote blanc (et s’il est majoritaire, les élections sont-elles annulées ?). Quels partis sont favorables à des scrutins proportionnels en partie pour les législatives ? Enfin, quels partis proposent des innovations pour réconcilier les Français avec la politique, avec une vision pour notre pays ? car depuis le premier choc pétrolier (1974), la France a reculé sur la scène internationale et le peuple français se sent trahi. Il en va de la concorde nationale avec un seul objectif, les Français, leur niveau de vie, la cohésion et pourquoi pas, le bonheur. C’est peut-être trop demander, mais l’avenir de la France et des générations futures en dépend.
*Le paradoxe de Condorcet aurait été vérifié en 1974 : Mitterrand aurait battu J.J. Chaban-Delmas lequel aurait gagné face à VGE et finalement VGE l’a emporté face à Mitterrand
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