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Par Mahdi Zargayouna, chercheur en IA et développement durable, responsable du Master Systèmes Intelligents & Applications (Université Gustave Eiffel), et des Mastères IA & Business Transformation, et Data Science In Business (Paris School of Technology & Business). Et Armand DERHY, docteur de gestion, directeur de la Paris School of Technology & Business.
TRIBUNE. L’Histoire nous enseigne que chaque technologie de rupture s’est heurtée à une résistance initiale. Des arguments de Socrate contre l’écriture aux réticences des Ottomans devant l’imprimerie, du scepticisme des établissements scolaires vis-à-vis de Google ou Wikipédia à la méfiance générale face aux smartphones, l’opposition à l’innovation est une constante.
L’IA générative : dernier maillon de la chaine des technologies révolutionnaires
Il faut bien avouer que ces technologies ont contribué à la réduction des compétences spécifiques. L’émergence de la calculatrice a diminué la nécessité d’un calcul mental aigu ; l’avènement de l’imprimerie a effacé le métier de copiste et l’essor de l’ordinateur a condamné le travail de dactylographie. En parallèle, elles ont également conduit à une redistribution des emplois. À titre d’exemple, la révolution industrielle a transformé les agriculteurs, majoritaires, en minorité dans la population active.
L’intelligence artificielle générative est le dernier maillon de cette chaîne des technologies révolutionnaires, avec ses avantages fascinants et ses inconvénients effrayants. Des outils tels que ChatGPT permettent de générer du texte cohérent et pertinent, ouvrant de nouvelles perspectives en rédaction assistée et en traduction automatique. Nous l’avons d’ailleurs expérimenté lors du match que nous avons organisé à la Paris School of Technology & Business le 14 juin, entre le philosophe Raphaël Enthoven et ChatGPT, portant sur l’examen du bac de philosophie.
L’IA générative : un facteur de changement incontournable pour le monde du travail
Malgré son caractère assez récent, l’IA générative est déjà en train de redéfinir l’emploi. ChatGPT trouve un usage immédiat dans des domaines qui vont des cabinets d’avocats aux agences de relations publiques, ce qui entraîne de potentielles économies substantielles en remplaçant certains emplois. Selon une étude de Goldman Sachs, ces outils pourraient assumer jusqu’à 25 % de la charge de travail aux États-Unis et en Europe. Face à ce contexte, des propositions avaient émergé, comme celle de Bill Gates, qui suggère la mise en place d’une taxe sur les robots pour financer la reconversion des travailleurs affectés.
L’éducation face à l’impératif de l’IA générative
Conscientes de ces mutations, les universités commencent à réagir, mais fébrilement et en ordre dispersé. Pourtant, il est urgent et crucial de repenser nos méthodes d’enseignement et d’évaluation pour tenir compte de ces nouveaux outils. Les examens traditionnels, par exemple, pourraient être remplacés par des évaluations basées sur des projets, associées à des soutenances orales, qui nécessitent une réflexion plus approfondie et une application pratique des connaissances. De plus, les enseignants pourraient utiliser ChatGPT comme un outil pour stimuler la discussion en classe, plutôt que comme une source de réponses.
Malgré cette fébrilité apparente, une enquête de la Walton Family Foundation a révélé que plus de la moitié des enseignants utilisent déjà ChatGPT, 10 % d’entre eux tous les jours, mais seulement un tiers des élèves. Ces chiffres montrent que ChatGPT est en train de devenir un outil pédagogique couramment utilisé, malgré les critiques.
Il est essentiel de fournir aux enseignants les ressources nécessaires pour comprendre et utiliser efficacement les outils d’IA génératives. Des formations et des ateliers devraient être organisés en urgence pour aider les enseignants à les intégrer dans leur pédagogie.
Appel à l’adaptation et à l’innovation
L’enseignement est à un carrefour. L’intégration efficace de l’IA générative est un défi qui requiert des ressources, de la créativité et un engagement collectif de la communauté éducative. Pour éviter de rater le coche de l’IA générative il est indispensable que l’éducation évolue pour préparer les emplois de demain. Le monde de l’entreprise n’a pas attendu pour adopter ces outils, il ne faut pas que le gap entre l’enseignement et l’emploi continue de se creuser.
Comme l’a si bien dit Socrate, « je ne peux rien enseigner à personne, je peux seulement les faire penser ». C’est là que réside le défi de l’IA générative dans l’éducation. Il peut fournir des réponses, mais il ne peut pas enseigner la pensée critique, une compétence essentielle dans l’éducation. L’IA générative est un outil puissant qui a le potentiel de transformer l’éducation. Mais comme pour tout outil, son succès dépend de la manière dont nous l’utilisons. Avec une approche réfléchie et collaborative, nous pouvons faire des outils d’IA générative un allié précieux dans l’éducation du XXIe siècle. S’adapter n’est pas seulement nécessaire, c’est une opportunité à saisir. Parce que si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que ceux qui embrassent le changement prospèrent. Et ceux qui s’y opposent, le subissent.