Fin du télétravail : plan social déguisé ou résultat d’un management à distance raté ?

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Marilyne Le Bihan

Par Marilyne Le Bihan, Senior Manager People & Change au sein de Finegan.

TRIBUNE. Le télétravail dans l’hexagone n’est plus considéré comme une option mais comme un acquis : selon les chiffres de l’Apec, un cadre sur deux se déclare prêt à démissionner si on lui retirait la possibilité de faire du télétravail. Dans une étude de la Dares, le ministère du Travail révèle un taux de démissions historiquement élevé, dû à un marché de l’emploi favorable et des salariés plus exigeants sur leurs conditions de travail. En France, le retour obligatoire au moins trois jours par semaine au bureau exigé par Ubisoft a provoqué un mouvement de grève des salariés pour contester ce modèle pourtant hydride qui est le lot de 47 % des entreprises françaises.

Si ces dernières optent de plus en plus pour un mode de travail hybride qui permet de réguler le télétravail, d’autres font le choix d’un retour total en présentiel. Outre-Atlantique, des entreprises comme Amazon, Disney et Google, n’hésitent pas à franchir ce pas en imposant un retour total au bureau quitte à renoncer à de potentiels candidats ou à faire face à une fuite des talents. Les récentes déclarations de Donald Trump et d’Elon Musk en la matière sont sans appel…

Le passage au télétravail à 100 % était justifié par l’urgence sanitaire mais qu’est-ce qui peut expliquer le retour aussi soudain vers le modèle traditionnel ? Pourquoi prendre un tel risque ? Le télétravail est désormais un outil incontournable dans l’équilibre vie professionnelle / personnelle, et est même devenu un critère de sélection pour les candidats (selon l’étude « The future of Work » réalisée par Monster avec l’institut Dynata, près de 30 % des postulants demandent de la flexibilité en matière de télétravail).

Faire le choix d’un retour total en présentiel est risqué : elle peut renvoyer l’image d’une
entreprise infantilisante. Un retour aussi brutal vers le modèle traditionnel interroge… Est-ce un désaveu des entreprises qui n’ont pas réussi à fédérer leurs collaborateurs et à garder leur niveau de performance ? Une volonté de préserver la santé mentale des salariés, d’améliorer la collaboration entre les équipes ou de protéger les données ? Est-ce alors une stratégie pour rationaliser les effectifs à l’heure où ces géants de la tech cités plus haut sont touchés de plein fouet, pour leur première fois, par la crise ? Le silence des entreprises autour des raisons de ce choix alimente les théories et nous ne pouvons que regretter ce déficit de communication.

Les facteurs clés de succès pour piloter ses équipes à distance

En France, de nombreuses entreprises parmi Publicis, Safran, Vinci ou Orange ont mis en
place une politique de télétravail avec un cadre bien délimité. Par exemple chez Safran, les
nouveaux accords sur le télétravail du Groupe prévoient notamment 6 demi-journées de
télétravail par an pour les salariés non-cadres, pour tous une aide financière de 100 euros pour l’installation de matériel (écran, imprimante, chaise de bureau, etc.) et la possibilité de télétravail expérimental avec 12 jours occasionnels par an.

Dans ce contexte où le télétravail devient ancré dans les mœurs, il est devenu primordial pour les managers de repenser leur méthode de management et d’être formés afin de mieux comprendre les spécificités du télétravail. Cela requiert d’élargir leur champ de compétences (communication, engagement des équipes, de confiance réciproque, etc.). De même pour un retour à 100 % présentiel, les modes de management ne doivent pas être ceux appliqués ante-covid.

En effet, il s’agit pour les managers de favoriser une communication claire afin d’éviter les quiproquos, fluidifier les échanges, s’assurer que chacun soit au même niveau d’information et de faire des retours constructifs réguliers ; mettre en place une routine afin de maintenir une cohésion d’équipe et de limiter l’isolement. Il s’agit de mieux embarquer leurs équipes et faire des points réguliers avec eux ; faire confiance à ses équipes car la tentation de redoubler de surveillance les jours de télétravail est forte pour les managers mais détériore le sentiment de confiance, la motivation et, à terme, la performance ; être à l’écoute et attentif aux risques psychosociaux et prendre en compte le bien-être des collaborateurs. « Le stress, la fatigue, la nervosité voire l’agressivité chez un collaborateur sont des signes avant-coureurs d’une situation à risque » selon l’INRS. En effet, un manager ne doit pas négliger ces signes de détresse qui peuvent avoir un impact direct sur la motivation, l’engagement et la productivité de ses équipes.

Le télétravail, s’il est aujourd’hui indiscutable, au risque de faire fuir les talents, doit s’accompagner d’un changement culturel aussi bien des managers que des managés. S’opère alors le passage nécessaire du présentisme à la française à l’approche davantage anglo-saxonne des résultats. Le reporting devra également se généraliser, car il se présente comme un outil efficace pour renforcer le lien entre les équipes. Enfin le développement de la culture d’entreprise et du sentiment d’appartenance sera essentiel pour fidéliser les collaborateurs, optimiser la présence sur site et adopter un management plus humain pour gommer la distance. Ces pratiques permettront d’orienter les entreprises françaises vers une culture du travail hybride plus inclusif où les spécificités et les besoins relatifs à ses collaborateurs seront davantage considérés.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.