Emmanuel Macron : Les Français sont pour la réforme

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Le jeune premier démontre sa ténacité dans les réformes. Pragmatique, celui qui bataille à l’extérieur comme à l’intérieur de son camp ne compte pas s’arrêter là. La preuve.

Que répondez-vous aux adeptes, à l’étranger comme dans l’Hexagone, du « French bashing » ou du « déclinisme » français ?

La principale source du French bashing est la méconnaissance de la réalité. Je demande donc simplement à ses adeptes d’ouvrir les yeux, de regarder la France en face, telle qu’elle est vraiment – surtout lorsqu’ils sont Français ! Nous avons dans notre pays des ressources exceptionnelles, des forces considérables, des savoir-faire qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde. Ayons foi dans notre jeunesse, car elle fait preuve d’un rare volontarisme. N’ayons pas peur de revendiquer nos atouts. Toutefois, la lucidité doit marcher dans les deux sens : il faut savoir reconnaître que tout ne fonctionne pas à merveille. Le redressement requiert non seulement des réformes, mais aussi une mobilisation de toutes les énergies, en particulier celles des entreprises et des décideurs économiques.

 

Qu’est-ce qui explique le manque d’attractivité de la France par rapport à d’autres grands pays européens ?

Disons-le tout net : l’économie française affiche une vraie attractivité. Un chiffre : en 2014, 267000 sociétés ont été créées dans notre pays. Autre chiffre : parmi les 55 prix Nobel de mathématiques (médailles Fields) attribués au cours de l’histoire, 11 l’ont été à des mathématiciens français ! Ces compétences de haut niveau sont présentes dans tous les secteurs et sont une des raisons qui expliquent la très forte compétitivité de notre pays au niveau mondial. Ajoutons la localisation exceptionnelle au cœur de l’Europe qui compte 500 millions de consommateurs, mais aussi les infrastructures. Les entreprises du monde entier le savent : plus de 20000 d’entre elles sont déjà implantées sur notre sol et emploient plus de deux millions de personnes. La question est donc plutôt : comment mieux faire ? Nous devons réformer encore et encore, pour donner plus de compétitivité, visibilité et agilité aux entreprises.

 

Ce sont les trois axes qui orientent votre action ?

Plus que jamais ! La compétitivité pour les entreprises ? C’est l’objet du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR) et du Pacte de responsabilité et de solidarité. Nous ne nous payons pas de mots : ces dispositifs sont d’ores et déjà une réalité, puisqu’ils permettent aux entreprises, depuis janvier dernier, de payer deux fois moins de charges Urssaf pour un salarié payé au SMIC. Deux fois moins ! Se battre pour plus de compétitivité, nous le faisons aussi en renforçant l’attractivité de la France en matière de R&D via le Crédit impôt recherche (CIR). Au total, plus de cinq milliards d’euros ont ainsi été économisés par les milliers d’entreprises, petites et grandes, qui ont fait un effort de R&D en 2014. Ce qui fait de la France une des terres les plus favorables au monde de l’innovation. Sans oublier le Crédit impôt innovation (CII) pour soutenir la recherche dans les PME ! Nous avons enfin sanctuarisé le régime des jeunes entreprises innovantes : ainsi, les sociétés réalisant des projets de R&D bénéficient d’une réduction de leur fiscalité et des cotisations sociales relatives à des emplois hautement qualifiés, tels que les ingénieurs et les chercheurs. C’est ce type d’environnement qui incite les grands groupes comme Alcatel à maintenir et développer leur recherche dans notre pays. En parallèle, au-delà des centres de R&D et des sites industriels, nous devons améliorer encore l’attractivité pour les sièges sociaux, car c’est essentiel. Plus de visibilité, ensuite : c’est tout le sens de la réforme des prud’hommes qui est déjà mise en œuvre. Ainsi, je me suis battu pour réduire les délais d’instruction des dossiers : un bureau de jugement restreint sera créé et statuera obligatoirement dans un délai de trois mois maximum. Voilà aussi pourquoi j’ai voulu qu’un référentiel des peines prononcées soit introduit, afin d’inciter les parties à se mettre d’accord le plus tôt possible dans la procédure, « en s’appuyant sur une meilleure connaissance de la jurisprudence ». Plus d’agilité, enfin. Nos entreprises en ont urgemment besoin. Les chiffres sont éloquents : en 2009, avec 5,6% de récession, l’Allemagne a détruit 70000 emplois ; la France, avec 2,9% de récession en a détruit quant à elle 252000 ! Permettre aux entreprises implantées sur le sol français de s’adapter avec rapidité, c’est la raison d’être de la modernisation des Accords de maintien dans l’emploi (AME) défensifs. Face à des difficultés conjoncturelles, les chefs d’entreprise pourront ainsi désormais déroger à la loi jusqu’à cinq ans pour négocier et mettre en place des aménagements de salaires et d’horaires.

 

Avec la loi Macron, adoptée par le Parlement, validée en grande partie par le Conseil constitutionnel, entendez-vous « déverrouiller » une bonne fois pour toutes l’économie ?

Une loi, à elle seule, ne déverrouillera pas l’économie française une « bonne fois pour toutes ». Il faudra d’autres lois, d’autres textes, parce que la réforme prend du temps, elle ne se concrétise pas d’un coup de baguette magique. Et surtout, nous avons trop tendance à croire que la loi est en capacité de tout régler. Une grande erreur. Ma confiance, je préfère la donner aux entrepreneurs, aux salariés, à tous ceux qui font l’économie française au quotidien et qui changent concrètement les choses, en leur donnant le cadre législatif nécessaire. Néanmoins, la loi que j’ai portée démontre une chose : les Français sont pour la réforme. Ils se sentent prêts et veulent que nous allions plus loin. Nous réformons donc depuis 2012. Et je crois pouvoir dire que la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques permet d’accélérer le mouvement. Nous ferons preuve du même volontarisme jusqu’au dernier quart d’heure.

 

Travail dominical, libéralisation des professions réglementées, flexibilité du marché du travail… Pourquoi ratisser aussi large ?

Le Gouvernement a souhaité agir partout où il y existait des blocages. Aussi bien dans le droit qui régit le travail dominical – car on voit bien le potentiel d’activité que notre système ne permettait pas de générer – mais également dans la réglementation qui encadre nos professions réglementées, certaines d’entre elles ne laissant pas aux jeunes la place qu’ils méritent. Et enfin sur le marché du travail, plombé par le manque de création d’emplois. L’enjeu, maintenant, c’est que les choses changent vite. Plus de 60% des mesures de la loi sont déjà entrées en vigueur avec la loi elle-même. Parmi elles, figurent la libre circulation des autocars, la modernisation des prud’hommes, l’assouplissement des accords de maintien dans l’emploi, le renforcement de la lutte contre le travail détaché illégal… Avant la fin du mois d’octobre, tout ce qui concerne le travail du dimanche aura été mis en œuvre. Et dès la fin de l’année, s’appliquera la réforme des bons de souscription pour créateur d’entreprise et des actions de performance propres à booster l’actionnariat salarié : deux dispositifs redevenus très compétitifs, grâce à une refonte fiscale et sociale.

 

Avec cette loi, souhaitez-vous donner des gages à Bruxelles alors que les déficits budgétaires du pays sont dans le collimateur européen ?

Non, tout cela n’a rien à voir avec Bruxelles : c’est pour nous-mêmes, et par nous-mêmes que nous allons de l’avant. Car les premières victimes du statu quo seraient les Français, pas Bruxelles !

 

Qu’est-ce que va vraiment apporter la réforme sur le travail dominical ?

D’abord, elle va créer de l’activité. Aujourd’hui, les touristes qui se rendent à Paris ou Nice le dimanche trouvent les portes des magasins fermées. Nous perdons là un potentiel colossal ! C’est pourquoi la loi crée des zones touristiques internationales où il sera désormais possible de consommer le dimanche. C’est le cas des quartiers touristiques de Paris, ou ceux de villes côtières, comme Nice, Cannes ou Deauville. L’ouverture concerna aussi les principales gares du pays, à Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Avignon et bien d’autres. Ensuite, la réforme sur le travail dominical apportera des opportunités. Notamment aux étudiants, qui pourront travailler le dimanche, en dehors des jours de cours : ils bénéficieront ainsi d’un complément de salaire pour financer leurs études. Enfin, la réforme sur le travail dominical va apporter de la responsabilité et de la confiance. Parce que ce sont les acteurs de terrain qui vont décider d’ouvrir ou non les magasins.

 

Quid de celle sur les professions réglementées, une réforme encore très polémique ?

C’est normal. Lorsque l’on réforme, on touche toujours à des intérêts acquis, parfois depuis des décennies. Il y a donc à chaque fois des mécontents. Mais face à cela, les pouvoirs publics doivent être inflexibles. Car, sur le long terme, la réforme profite à tous, y compris aux professions elles-mêmes. C’est ce qui se passe ici. Nous avons réformé – non pas pour stigmatiser les professionnels déjà en place – mais pour favoriser les jeunes désireux d’exercer, les femmes, souvent moins bien payées et tous les Français et entreprises, qui voudraient payer des services conformément à ce qu’ils coûtent vraiment. Nous avons donc modernisé la fixation des tarifs des administrateurs judiciaires, des commissaires-priseurs, des greffiers des tribunaux de commerce, des huissiers de justice, des mandataires judiciaires et des notaires, parce qu’ils ne correspondaient plus à la réalité des services rendus aux Français. Nous avons aussi réformé les règles d’installation, car il n’est pas normal qu’à diplôme égal et à compétences égales, certains puissent exercer et d’autres non. A la fin des fins, c’est l’intérêt général que nous avons servi !

 

Comment réagissez-vous à l’invalidation par le Conseil constitutionnel d’une mesure phare : le plafonnement des indemnités aux prud’hommes ?

Commençons par le début. Il y a bien une réforme des prud’hommes, qui est déjà entrée en vigueur : les délais sont raccourcis, la conciliation est favorisée et les juges sont mieux formés. Ces mesures ont été validées par le Conseil constitutionnel. Ensuite, il faut être précis : ce que le Conseil constitutionnel a retoqué, c’est seulement le critère de taille des entreprises. Il a validé le principe du plafonnement des indemnités prud’homales, ainsi que le critère d’ancienneté du salarié. Ma volonté, c’est donc de trouver un dispositif acceptable constitutionnellement qui permette de compléter le plafond. En attendant, le référentiel indicatif pour les dommages et intérêts sera prêt pour la fin de l’année.

 

Comment la loi Macron 2 – qui se profile pour 2016 – pourrait relancer la croissance, notamment dans l’univers de la digitalisation ?

A l’ère du numérique, nous assistons à l’émergence d’un nouveau modèle économique. Un modèle qui forge un paradoxe : d’un côté, celui de l’horizontalité, car le pouvoir appartient à la multitude et aux réseaux qui se déploient entre les usagers ; de l’autre, celui de la verticalité, puisque l’entreprise qui sait le mieux se placer se retrouve, en quelques années, dans une situation de quasi-monopole. Comment fonctionne Facebook ? Grâce à ses centaines de millions d’utilisateurs. Et dans le même temps, laisse-t-il une place pour un concurrent ? Quasi aucune. En parallèle, on constate que ce nouveau modèle est celui de la disruption accélérée : innover en permanence, en continu, c’est le seul moyen de croître, donc de survivre. Mais ce modèle crée aussi des fragilités : il génère des formes nouvelles d’emploi, différentes du salariat, qui le transforment, le complètent, parfois le remplacent. Cette transformation n’est pas limitée à un secteur, elle concerne toute notre économie et son organisation en profondeur. Face à cela, notre responsabilité est d’accueillir ces transformations et de les permettre. Il faut donner à chacun sa chance de saisir les nouvelles opportunités économiques. Il faut ouvrir des secteurs dans lesquels les barrières et les rigidités empêchent la création d’activité et d’emplois. Et donc légiférer, pour offrir les conditions de la réussite aux individus qui essaient et prennent des risques : ce sera tout l’enjeu de ce second train de réformes.

 

Propos recueillis par Charles Cohen

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