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Aux initiatives précoces doit succéder une systématisation des changements de modèles de toutes les enseignes.
« La stabilisation du climat exigera des réductions fortes, rapides et soutenues des émissions de gaz à effet de serre et l’atteinte de zéro émission nette de CO2. » Il ne l’envoie pas dire, Panmao Zhai, climatologue chinois, dans l’introduction du premier chapitre du nouveau rapport du Giec – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié au début du mois d’août. L’expert en question copréside l’un des groupes de travail. En se fondant sur plus de 10 000 études autour du climat, les premiers éléments publiés par le groupe d’experts ont de quoi inquiéter. Le réchauffement climatique est en cours quasiment partout dans le monde, à un rythme qui dément, de loin, les prévisions antérieures, les températures augmentent et certaines catastrophes naturelles, comme la fonte de calottes glaciaires, produisent des conséquences irréversibles. S’il est inquiétant, ce rapport est à mettre en perspective avec d’autres données connues. Plusieurs études pointent du doigt que 72 % des émissions de gaz à effet serre sont produites par des entreprises (la marque de l’anthropocène). Autrement dit, elles sont aux premières loges pour œuvrer à la réduction drastique. Pendant que politiques et industriels se renvoient la balle, des entreprises, et non des moindres, par leurs actions passées ou en cours, montrent qu’elles ont déjà saisi l’importance de mener leur transition énergétique. C’est ce qu’analyse Olivier Papin, responsable innovation chez E6 Consulting, un cabinet qui accompagne les entreprises dans leur transition énergétique. « Ce rapport est inquiétant, effectivement, souligne-t-il. Mais on observe que les entreprises s’engagent de plus en plus dans leur transition, d’abord et évidemment dans le but de préserver l’environnement, mais également car la transition énergétique et écologique devient une véritable source d’économies et parce que ce mouvement écologique participe de l’attachement des salarié·es pour leur entreprise. » Des initiatives, nombreuses, fleurissent sur le territoire.
Essity, le sécheur vertueux
Essity, c’est une entreprise leader dans le secteur de l’hygiène et de la santé. Elle agit dans une centaine de pays via des marques familières : Lotus ou Okay. En France, la multinationale au joli chiffre d’affaires (11,6 milliards d’euros en 2020) se déploie à travers huit sites (bureaux et usines). Et depuis de nombreuses années, l’enjeu climatique a été placé au centre des actions et des engagements de l’entreprise. « Nous diminuons constamment l’utilisation de l’énergie et des matériaux, nous optimisons le transport et nous réduisons les déchets », annonce l’enseigne. Traductions : depuis 2013, son usine située à Gien dans le Loiret est équipée d’un dispositif de traitement des eaux usées. Sur ce site de production, ce sont plus de 2,7 millions de rouleaux de papier toilette et d’essuie-tout et 7 millions de mouchoirs qui sont produits chaque jour. Et, covid oblige, ces chiffres se montrent en constante augmentation. Pour éviter un impact trop important sur l’environnement, ce dispositif de traitement des eaux usées filtre chaque jour plusieurs dizaines de milliers de litres d’eau.
Ses processus de production, à leur tour, se montrent affûtés. Depuis le mois de février, Essity a équipé cette même usine de Gien d’un nouveau cylindre sécheur, le Yankee. « De quoi sécher les feuilles de papier avant qu’elles ne soient découpées et transformées en produits d’hygiène », explique-t-on au sein de l’entreprise. En clair, tout le papier produit est séché plus rapidement. Double résultat : « La plus grande rapidité de séchage des feuilles de papier accroît la productivité de la machine et réduit son empreinte environnementale. Un cylindre plus fin à chauffer et un équipement complémentaire plus étanche améliorent le rendement, limite la déperdition d’énergie. La consommation d’énergie liée à la production sera réduite de 10 %. » Un effet 2 en 1.
Socomec, transition énergétique au cœur du business model
Cette fois, la transition énergétique déborde du simple cadre de l’usine pour rejoindre les bureaux des commerciaux et devenir un véritable atout de marketing et de vente. C’est le cas en Alsace au sein de la société Socomec. Ce fabricant historique de matériel électrique s’est engagé, il y a quelques années, dans le pari de cette « transition ». Primo, à la suite d’un audit énergétique long de plusieurs mois qui a débouché sur l’obtention de la certification ISO 5001 (management de l’énergie par une entreprise). Y ont été analysés les postes de consommation particulièrement gourmands en énergie, avec pour première conséquence le remplacement des ordinateurs fixes par des ordinateurs portables ou encore la récupération de l’énergie des résistances électriques. « En général, c’est la porte d’entrée pour les entreprises qui souhaitent se lancer dans la transition énergétique, analyse Olivier Papin d’E6 Consulting. Ces audits assurent la mise en place d’un plan d’action à même de rapporter gros. »
Au-delà des analyses, Socomec commercialise désormais des produits favorables à la transition énergétique dans certains territoires d’outre-mer : des systèmes de stockage d’énergie renouvelable. Une gamme de produits entière est également dédiée au smart building* et au smart grid**, des technologies numériques pour une réduction des consommations d’énergie par les entreprises et les particuliers. Il s’agit de démocratiser et d’étendre la démarche de transition énergétique instaurée au sein même de l’entreprise… tout en développant de nouvelles sources de revenus pour augmenter le chiffre d’affaires.
Pocheco où la théorisation de l’écolonomie
Depuis 1928, chez Pocheco, entreprise de 114 salarié·es implantée dans le nord de la France, on produit des enveloppes pour les entreprises – plus de 850 millions chaque année tout de même. Mais lorsqu’Emmanuel Druon reprend les rênes de l’entreprise en 1997, il doit faire face à un défi de taille : l’essor du numérique et des mails, en croissance exponentielle, a engendré une baisse considérable du volume de courriers envoyés par les entreprises. Pour éviter de fermer boutique, il décide de recréer de nouvelles bases à son activité en développant le concept d’écolonomie, mot-valise où se mélangent écologie et économie. Son objectif ? Réduire ses coûts tout en protégeant l’environnement et l’emploi des salarié·es.
Après plusieurs années d’études, d’analyses et de tests, l’entreprise se revendique aujourd’hui zéro plastique, zéro fossile et zéro carbone. Comment ? D’abord grâce à une matière première soucieuse de l’environnement. Le bois utilisé pour la fabrication des enveloppes provient de forêts finlandaises gérées durablement par leurs exploitant·es***. Les encres employées pour les impressions sur les enveloppes sont garanties sans solvant, remplacé par des pigments naturels. Côté usine, un toit végétal comporte un système de récupération d’eau de pluie. Un centre de stockage et de tri a été implanté au cœur même de l’usine et un espace de permaculture est en place, productions végétales à la clé. Et les résultats sont spectaculaires. En l’espace de vingt ans, la consommation énergétique a été réduite de 40 % et plus de 15 millions d’euros d’économies ont été réalisées. Une réussite qui a été captée par les caméras de Cyril Dion et Mélanie Laurent dans le documentaire Demain, sorti en 2015 (César du meilleur documentaire). Ces nombreuses années d’expérience dans le domaine de l’écolonomie ont mené les dirigeants de l’entreprise, il y a quelques années, à monter leur propre bureau d’études, Ouvert. But : diffuser au plus grand nombre d’entreprises ces techniques de transition énergétique au service de l’industrie.
L’Oréal, pour le futur
Le groupe de cosmétique L’Oréal et les tribulations de sa riche héritière Bétencourt, au chiffre d’affaires de presque 30 milliards d’euros l’année dernière, implanté dans plus de 150 pays, ne rime pas a priori avec écologie. Pourtant, depuis de nombreuses années, la multinationale s’est penchée sur son impact environnemental. Avec un fort accent placé sur l’environnement et les gaz à effet de serre. Entre 2005 et 2019, les émissions de CO2 des usines ont été réduites de 78 %. Une trentaine de sites du groupe sont neutres en carbone. Côté production, L’Oréal a mis au point un programme avec ses fournisseurs pour les impliquer, eux aussi, dans la démarche de réduction des émissions de carbone. La gestion de l’eau fait également partie intégrante des efforts du groupe. « Réduire la quantité d’eau nécessaire à l’utilisation de produits cosmétiques est donc essentiel pour atteindre deux objectifs : combattre le changement climatique et s’y adapter », explique-t-on au sein de l’entreprise.
Mais l’entreprise va plus loin dans sa volonté de prise en compte du risque climatique sur ses activités. En juin 2020, elle a lancé son programme L’Oréal pour le futur. L’objectif affiché ? « Accélérer la transformation en matière de développement durable et d’inclusion. » Mesure phare de ce plan à 10 ans, une neutralité en carbone de l’ensemble des sites du groupe grâce à l’amélioration de l’efficacité électrique des bâtiments et le recours systématique aux énergies renouvelables. Les emballages plastiques des produits commercialisés par les marques de L’Oréal seront produits entièrement à partir de produits recyclés ou biosourcés. Et pour ce qui est du total de ses émissions de gaz à effet de serre, le groupe vise une diminution de 50 % d’ici à 2030. « La transformation durable de L’Oréal entre dans une nouvelle ère. La planète est aujourd’hui confrontée à des défis sans précédent. Il est crucial d’accélérer nos efforts pour permettre à l’humanité de vivre dans un environnement sûr », a affirmé Jean-Paul Agon, président-directeur général impliqué. On est loin du green washing… Toutes les entreprises doivent désormais muter dans ce même sens. Pas de répit pour les canards pollueurs.
Guillaume Ouattara
* Bâtiment intelligent : il intègre une couche d’outils numériques pour l’optimisation des ressources énergétiques et le confort des collaborateurs.
** Réseau électrique intelligent de distribution d’électricité – circulation d’information entre les fournisseurs et les consommateurs afin d’ajuster le flux d’électricité en temps réel.
*** Tout n’est pas si transparent en matière de « forêt durable ». Le dernier numéro de la revue scientifique Epsiloon remet en cause les bienfaits de la reforestation…