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Ne le nions pas, la tâche est rude. Seul un esprit combattif, presque militant, pouvait s’y atteler. Thierry Mandon, qui propose généralement des centaines de mesures de simplification dans ses rapports, désormais Secrétaire d’Etat, jette ses pavés dans l’écheveau administratif tissé durant 30 ans. Et cela commence à porter ses fruits…

Qu’est-ce qui a guidé votre orientation d’homme politique sensible aux problématiques des entreprises ?

Tout d’abord j’ai évolué en entreprise (consultant en stratégie d’entreprise et gestion des ressources humaines, ndlr), ce qui induit un certain prisme de pensée à la base. Mais mon engagement politique se fonde sur la volonté de rénover la vie publique, qui est malmenée par un excès de défiance et de scepticisme. Le rétablissement passe à mon sens par l’ouverture de la vie publique à la réalité de la société française, également constituée par des acteurs qui créent, innovent, vendent, tous les jours. Cette vie publique ne doit plus se construire en soi, pour elle. Elle doit s’ouvrir, ré-irriguer les autres univers, comme celui des entreprises et de l’économie. D’où mon rôle de rapporteur de la Mission d’information pour la simplification législative, puis ma co-présidence, avec Guillaume Poitrinal, du Conseil de la simplification pour les entreprises. Créé le 8 janvier 2014 sur décision du Premier ministre, le rôle de cette instance, que je soutiens aujourd’hui en tant que secrétaire d’Etat, est de proposer 50 mesures concrètes au gouvernement tous les six mois. Sur les 50 proposées en avril, 32 ont été adoptées par décret en juillet.

La simplification peut se réaliser tous azimuts. Quel fil rouge suivez-vous pour garder une certaine cohérence ?

La ligne de conduite est claire. Nous avons identifié une dizaine de moments clés de l’entreprise, comme la création, le recrutement, l’exportation, etc., et réfléchissons sur ces moments de relations soutenues avec l’administration. La nouveauté de l’approche du conseil à la simplification pour les entreprises est que l’agenda est fixé par les professionnels eux-mêmes, qui déterminent dans les groupes de travail ce qui est prioritaire lors de ces périodes charnières. Chaque groupe réunit entrepreneurs, dirigeants, responsables administratifs, etc., qui proposent tous les six mois 50 mesures de simplification sur les déclarations fiscales, sociales, les obligations comptables, de médecine du travail… Il ne s’agit donc pas de l’agenda du Ministre, mais de l’agenda directement constitué par l’urgence des besoins du terrain. Nous avons aussi initié les tests entreprises : nous évaluons les décrets et donnons au dirigeant politique les conséquences réelles au jour le jour. Les deux mondes s’ignoraient jusque-là, nous devons établir des ponts entre le politique et l’entreprise. Il s’agit de faire preuve de pragmatisme, car nous avons remarqué que la pire chose était que les services se rendaient la balle quant aux lourdeurs : politiques, haute administration… Ce que nous avons créé est une sorte de mini Conseil économique, social et environnemental (CESE), mais qui fonctionne avec des bénévoles. Ce n’est pas une énième commission, un énième rapport Attali, mais un kit pour les politiques, pensé, réfléchi, qui ne bouleverse pas les équilibres sociaux et environnementaux. Le pragmatisme est privilégié à l’idéologie. L’impact est réel, sur DAS2, les honoraires, la manière avec laquelle on paye les gens… L’utilisation d’une démarche collaborative dans une politique publique est novatrice. Nous partons de l’usager, et même – osons le dire – du client. Dans le climat actuel de défiance des institutions, je pense que l’adoption de cette logique ouverte est une condition pour recréer de la confiance. Autre mission, il faut faire savoir que cette simplification est en marche, c’est essentiel dans un but d’information des gens, mais aussi d’attractivité du territoire.

Quelles seraient les mesures clés qui feraient changer de paradigme les entrepreneurs dans leur relation avec l’administration ?

Premièrement je crois qu’il est essentiel d’instaurer une véritable stabilité de l’environnement règlementaire et fiscal. Les entreprises en ont besoin, elle est vitale. Des mesures comme le rescrit, où l’administration s’engage, donne son avis et est directement impliquée, contribuent à donner de la visibilité. De même la non-rétroactivité fiscale de l’imposition des sociétés, qui entrera en application le 1er janvier 2016, sera une grande avancée. Elle était demandée depuis 50 ans. Jusqu’à maintenant Bercy passait des lois et décrets avant la fin de l’exercice pour taxer un peu plus s’il y avait un problème de budget. Les sociétés avaient une épée de Damoclès au-dessus d’elles, même si l’exercice avait commencé. Les entrepreneurs doivent savoir quelles seront leurs cotisations et taxes dans un futur proche. Deuxièmement il m’apparaît essentiel de privilégier tout ce qui accélère l’activité. Les entreprises ne peuvent plus se permettre de faire plusieurs fois les mêmes démarches auprès des différentes administrations, car la vitesse est leur première ressource. La Déclaration sociale nominative (DSN), unique, mensuelle et automatisée, qui remplacera la trentaine de déclarations sociales que les entreprises doivent gérer dans le cadre de la paie dès le 1er janvier 2016, répond à ce besoin.

Comment expliquez-vous que l’administration française ne se soit pas réformée plus tôt ?

Quand l’administation demande aux entreprises ce qui les perturbe le plus, les hauts responsables sont souvent surpris par les réponses. Des éléments qu’ils jugeaient secondaires se révèlent être des fardeaux, des boulets pour les entrepreneurs et dirigeants. Toutes ces petites mesures contraignantes et inutiles mises bout à bout représentent temps, argent et dépense d’énergie pour eux. Mais cela avait bien souvent échappé à l’administration, qui s’intéresse en priorité aux grandes causes et phénomènes de masse. De même, ceux qui voulaient réformer ont souvent été accusés de faire avant tout de la dérégulation sous couvert de simplification. Or il s’agit de dérégulation quand on va contre le droit, quand on « détricote », et c’est de la simplification quand on avance au nom du droit, pour rendre les choses plus lisibles. L’heure est grave, et je crois que l’enjeu nécessite une neutralisation du côté poli

 

Pourquoi est-ce si dur de simplifier en France ?

Il n’est pas évident de démêler, fluidifier, voire supprimer toutes ces subtilités aujourd’hui, parce qu’elles sont le résultat d’années de surdéveloppement de textes et d’Etat. Tous les pays occidentaux éprouvent ce genre de difficultés dans le rétropédalage. La seule différence avec l’Hexagone est qu’ils ont commencé bien avant. J’ai récemment échangé avec mon homologue anglais, qui m’a confié avoir commencé sa mission il y a cinq ans, et qui pense en avoir encore pour dix ans ! De notre côté nous avons commencé au 1er janvier 2014. Le chemin est encore long…

Avez-vous pris des modèles à l’étranger ?

Je le dis sans gêne aucune. Nous nous sommes pleinement inspirés de ce qui fonctionnait le mieux dans les autres pays. Les Allemands ont montré la voie dans les études d’impact, d’autres ont éveillé notre intérêt en matière numérique. Les Anglais ont été une vraie source d’inspiration en matière de fabrique de la loi : au 1er janvier 2015 va survenir un changement majeur, à l’instar de ce qui se fait outre-Manche. Tout texte qui aura pour conséquence de créer de nouvelles charges fera l’objet d’une contre-expertise de la part d’une autorité indépendante. Cette autorité sera composée de neuf entreprises choisies, qui donneront un avis public sur l’impact estimé, par exemple du compte pénibilité. Si cet avis est différent, le Parlement devra refaire sa loi. Il faudra des suppressions de charges équivalentes, de la part de la puissance publique, le fameux « one in, one out ». Je suis précisément en train de préparer les décrets. De même nous avons remarqué une anomalie chronologique dans la constitution des lois. De nombreux acteurs (entreprises, société civile…) ne peuvent pas se prononcer assez tôt dans le process. Il faudrait qu’ils puissent intervenir et influencer avant le vote de la loi au Parlement. Trois mois avant, les débats d’orientation élaborés en commission devront donc être rendus publics. Les parties prenantes disposeront ainsi d’un laps de temps suffisant pour réagir.

Qu’en est-il de la justice, autre univers de complexité et de lenteur ?

Un plan de refonte de la justice prud’homale, qui connaît des carences, est en train de se préparer, car les dysfonctionnements sont évidents aujourd’hui. Nous allons aussi nous attaquer aux recours en matière d’urbanisme. Les recours abusifs ne peuvent plus tout paralyser pendant des années. Nous avons supprimé un échelon en accord avec le conseil d’Etat : il n’est plus possible de passer devant le Tribunal administratif, puis la Cour d’appel, et enfin le conseil d’Etat.

Etes-vous optimiste quant à la fluidification de l’environnement entrepreneurial ?

Je le suis parce que je constate une véritable prise de conscience généralisée de la vie économique, du besoin de faciliter la tâche de ces acteurs qui assurent la richesse du pays. Les politiques comme le reste de la population semblent avoir assimilé cette idée. Je me réjouis aussi de constater que Michel Sapin ou Emmanuel Macron pensent de la même manière et sont sensibles à mes propositions et recommandations.

Quelle est votre perception de l’échec ?

L’échec peut bien évidemment être positif, puisqu’il est un apprentissage. Bien analysé, il permet de progresser. Mais attention, cette notion est plus discutable dans la vie publique, parce que dans cet univers un revers peut impliquer beaucoup de gens. Les décideurs politiques ont pour mission de le limiter. On sait que la remise d’une copie parfaite à la première occasion est mission impossible : il importe de faire, d’évaluer puis d’ajuster au plus vite. Les échecs sont essentiels, mais ils doivent être limités. Le système évaluation/correction est la seule orientation valable dans la vie publique..

 

Propos recueillis par Julien Tarby

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