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3. Salariat, ils ne veulent que ça
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Si l’on était méchant, on pourrait les surnommer les «salarié·es ventouse» tant ils et elles s’accrochent coûte que coûte au train-train de la routine du salariat. Dans un monde incapable de tenir en place, qui bouge et virevolte, ce sont les tenants du «pas bouger». Sauf si…
C’est qu’ils et elles s’y accrochent, à leur petite entreprise. Et même si elle connaît la crise. Pas question de la quitter, ou même de regarder les offres sur le marché de l’emploi. À quoi bon, puisqu’ils et elles se sentent bien dans cet univers connu et familier qu’ils et elles fréquentent depuis toujours. Hier, ce comportement tenait du normal. Il n’était pas rare de faire toute sa carrière dans la même entreprise – de la vingtaine à la retraite (alors prise à soixante ans). Monde de la stabilité et de la routine. Et maintenant… Tout a changé. La fidélité est parfois vue d’un mauvais œil. Aux États-Unis, par exemple, les employé·es en poste depuis longtemps sont regardé·es d’un drôle d’air… Suspecté·es de manquer d’allant et d’ambition, les voilà presque considéré·es comme des gêneurs·euses. Manque de culture du risque ou volonté de tenir sur le long terme?
En France, selon une étude des éditions Tissot, 51 % des Français·es pensent à changer d’entreprise. Donc toujours 49 % qui n’y réfléchissent pas là, maintenant. Ce qui ne veut pas dire que sur la logique d’une décennie, ils et elles ne seront pas tenté·es, un jour ou l’autre. Le quinquennat devient la norme, dans le privé aussi. En réalité, seulement 19 % des salarié·es s’imaginent poursuivre leur chemin dans la même entreprise jusqu’à la retraite! Si peu.
Je n’ai jamais senti le truc, pour parler un peu directement, François T

François œuvre dans le secteur des télécoms, au cœur de l’agglomération d’Angers. Profil typique de l’ancienne mode, il œuvre sans coup férir au succès de son entreprise qui installe les fameux pylônes qui bornent les routes, comme autrefois les platanes. « Moi, je suis rentré ici, j’avais 21 ans. Sans diplôme, à part le bac, et encore, un bac pro! Pas comme stagiaire, ça n’existait pas tellement dans le milieu, mais comme contrat court, le temps d’un été. J’ai aimé… et du coup je suis resté ». Et le voilà qui, depuis 1991, fait chaque matin ou presque le même trajet, sur les routes en lacet de l’Anjou.
Répétitif? Sans doute un peu. « C’est vrai que c’est un quotidien avec beaucoup d’habitudes, d’échéances qui reviennent… Et en même temps, on voit vraiment bouger la société. Je suis arrivé ici, et j’ai vu, au fur et à mesure, les écrans devenir de plus en plus petits, au rythme des progrès technologiques. Je me souviens aussi du fax, qu’on utilisait tout le temps. Avec nos jeunes collaborateurs, on s’en amuse beaucoup aujourd’hui. »
Le monde des télécoms, particulièrement, se sera bouleversé dix-huit fois. « Ce n’est pas parce que l’on reste dans la même entreprise qu’on fait toujours la même chose. Au contraire : il faut bouger tout le temps. Lorsque je suis arrivé, il n’y avait que France Télécom. Un opérateur unique, à caractère monopolistique, avec lequel on négociait en direct. Et puis il y a eu Bouygues, SFR, Free, qui a bien entendu été un vrai choc. Patrick Drahi, qui a remis une couche par-dessus, toujours avec SFR. » Pour passer d’un monde à l’autre, il faut de l’agilité. Et même de la vista. Jamais la tentation du départ pour l’entreprise en face ?
“Lorsque je suis arrivé, il n’y avait que France Télécom. Un opérateur unique, à caractère monopolistique, avec lequel on négociait en direct.”
Et si la moquette était plus bleue ailleurs? « Forcément, en plus de trente ans d’entreprise, on rencontre des concurrents, ne serait-ce que parce qu’il faut bien se parler. J’ai eu deux ou trois propositions. Parfois même avec un salaire plus confortable. Mais quelque chose m’a toujours retenu. Soit c’était trop loin, soit le poste me plaisait moins, soit je n’avais pas un très bon contact avec les recruteurs… Je n’ai jamais senti le truc, pour parler un peu directement. Et puis c’est vrai que je l’aime bien, cette entreprise. Il y a les collègues aussi, et même si je suis maintenant le plus ancien, avec trois mois d’avance sur le deuxième, on a plein de souvenirs ensemble. Des hauts et des bas. Et puis la boîte change en même temps que moi. Mais elle me fatigue tellement que je vieillis plus vite qu’elle ! »

Émilien est un jeune salarié de 23 ans. Dans ses études, il a choisi plusieurs reconversions. Une école d’ingénieur en informatique, une licence de physique, une licence d’anglais… avant de se lancer dans une entreprise d’experts en assurance. En tant qu’assistant administratif, il s’occupe pour l’instant des petits dossiers d’assurance, – jusqu’à 16 000 euros de dégâts. « J’ai commencé par un CDD de trois mois qui a été reconduit fin juin. Je devrais passer en CDI en début d’année prochaine si tout se passe bien. » Il veut monter en grade, mais sans rôle de gestion. « Il existe des perspectives dans cette entreprise, je ne veux pas rester au même poste. Au fil du temps, j’aimerais gérer des dossiers plus gros, voire devenir expert et aller sur le terrain, mais je ne veux pas devenir manager ni gérer des équipes. »
Confronté à l’idée d’un jour lancer sa propre entreprise, ses poils se hérissent. « Je préfère la stabilité d’un salaire ! Je me vois mal travailler pour mon compte et devoir me débrouiller. » Au fil de ses cursus, il n’a pas été formé à un poste d’encadrement. « Je ne me suis pas dirigé par là dans mes études. » Nous lui expliquons que manager ne requiert pas forcément de « Je préfère la stabilité d’un salaire » Émilien formation. « Je n’en ai ni l’envie ni la motivation. » Pour l’instant, précise-t-il. Après tout, il est possible que son avis change après quelques années et d’autres expériences. « J’aimerais continuer dans mon entreprise à l’étranger. En Irlande ou plus Je ne veux pas devenir manager ni gérer des équipes. loin. En Nouvelle-Zélande, par exemple. Peut-être qu’après une expérience là-bas, j’aurai changé. »