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Loin des clichés, les réseaux régionaux ne fédèrent pas seulement des amateurs de biniou ou des danseurs de bourrée. Bretons, Auvergnats ou Savoyards exilés peuvent bénéficier d’un coup de pouce de leur diaspora pour faire des affaires. Focus sur les associations régionales, d’hier à aujourd’hui.

Fondateur du réseau breton BZH Network, Stéphane Péan se retrouve propulsé à Tokyo de par son job en 2005. Mais ce Malouin d’origine ne veut pas se couper de ses racines. « A l’époque, c’était l’émergence des réseaux sociaux, explique-t-il. Sur Viadeo, à l’époque Viaduc, j’ai cherché des gens de ma région et tout a commencé comme ça. » Très vite, Stéphane Péan réussit à réunir pas moins d’une cinquantaine de Bretons expatriés au Japon et fonde son association quelques mois après. « Nous ne voulions pas seulement faire du culturel, explique-t-il. Nous souhaitions monter un réseau économique pour faciliter les échanges et promouvoir la Bretagne. C’est parti du Japon, puis j’ai été contacté par des Bretons en France et à l’étranger à New York, Moscou… » Aujourd’hui, l’association revendique 6000 membres sur Viadeo et 2800 sur Facebook.
Une longue histoire
Les réseaux régionaux ne sont pas nés d’hier. Leur histoire débute au XIXe siècle avec l’émigration massive vers les grandes villes – Paris en premier lieu – pour y trouver du travail, de Bretons, Auvergnats, Savoyards… Près de 1,5 million de Franciliens seraient d’origine bretonne, 500000 auvergnate. Pour s’entraider, les nouveaux arrivants créent amicales et associations, dont une bonne partie subsiste encore aujourd’hui. A Paris, les Auvergnats animeraient encore 250 associations, contre une cinquantaine seulement pour les Bretons.
Parmi ces immigrés de l’ancien temps, les Aveyronnais. « Ceux-ci ont d’abord fait les boulots les plus rudes : porteurs d’eau, cochers de fiacre…, indique Gérard Paloc, président de la Fédération des amicales aveyronnaises. A l’instar des immigrés d’aujourd’hui, les Aveyronnais ont connu la barrière de la langue et les différences de mœurs. Peu à peu, ils sont devenus brasseurs et bistrotiers. » Les nouveaux venus peuvent heureusement compter sur le soutien de leur communauté. « Dès qu’un Aveyronnais s’installait, il se tournait vers les gens du pays pour trouver du personnel, explique Gérard Paloc. Il savait qu’il pouvait compter sur ses pairs, car cela se saurait su s’ils travaillaient mal. »
D’où cette tradition des « métiers réservés », ces affaires transmises par bouche-à-oreille entre membres d’une même communauté. Les « Bougnats » possèderaient encore 60% des brasseries parisiennes, soutenus par les fournisseurs historiques, tous d’origine auvergnate : Tafanel, Bertrand et Richard. Sous le feu des projecteurs suite à l’affaire des œuvres d’art volées en 2010, les « cols rouges » savoyards de l’hôtel Drouot se transmettaient entre eux leur charge de commissionnaire suite à un privilège accordé par Napoléon III.
Tradition d’entraide
Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, les jeunes provinciaux vont en ville pour faire des études ; sur les chantiers et dans les cuisines, ils ont laissé la place aux immigrés d’aujourd’hui. Désormais, les associations se consacrent principalement à faire vivre le patrimoine culturel de leur région.
Toutefois, les occasions de parler business demeurent. « Lors des repas que nous organisons, nous apprenons qui a une affaire à vendre, qui embauche, confirme Gérard Paloc. Je connais deux frères qui ont ainsi repris la brasserie d’un Auvergnat partant à la retraite. »
La tradition d’entraide en direction des jeunes perdure. A l’instar du Foyer savoyard de Paris, créé en 1933. « Notre souci est d’aider ceux qui montent sur Paris, explique Maurice Vallet, le président de l’association. Nous les conseillons sur les quartiers où habiter, nous leur donnons de bonnes adresses de foyers. Nous pouvons aussi les aider à trouver un stage. » Fonctionnant par adhésion, l’association compte aujourd’hui 300 à 400 personnes.
Contrairement à ce que son nom indique, le Foyer savoyard ne propose pas de logements pour les jeunes travailleurs. D’autres réseaux régionaux le font. L’association « L’Oustal des Aveyronnais de Paris » met à la disposition des jeunes Rouergats des studios situés dans l’immeuble éponyme, dans le 12e arrondissement. Les arrivants de Lozère, de l’Aveyron ou du Cantal peuvent aussi bénéficier de logements au sein du Foyer des jeunes travailleurs de la Cité des Fleurs, situé dans le 17e arrondissement de Paris.
La solidarité est aussi financière : les Aveyronnais ont leur banque, la Compagnie aveyronnaise de services et de gestion (Caseg). « Elle travaille presque exclusivement avec des Aveyronnais », indique Gérard Paloc.
Les réseaux régionaux permettent également aux entreprises locales de mettre en avant leur savoir-faire, en France ou à l’étranger : « Nous avons notamment fait la promotion d’une marque cosmétique bretonne au Japon », indique Stéphane Péan.
Anciens vs Modernes
Vieilles de plus d’un siècle, beaucoup d’associations régionales peinent à se renouveler et voient l’âge de leurs adhérents augmenter. « Avant Internet, les jeunes s’adressaient à moi pour que je les aide ; aujourd’hui, c’est en dernier recours », déplore Maurice Vallet.
C’est parce qu’il jugeait dépassées les amicales historiques que Stéphane Péan a décidé de monter son propre réseau. « On ne voulait pas se contenter du folklore et des crêpes, comme les vieilles associations, explique-t-il. Nous souhaitons monter un réseau économique. »
Comme BZH Network, une nouvelle génération de réseaux régionaux a vu le jour, plus orientés business et dépassant les frontières. A l’instar du réseau Racines Sud, qui regroupe les Languedociens expatriés dans le monde, ou encore de l’Association des cadres bretons (ACB), qui vise à favoriser le développement économique de la Bretagne en fédérant des Bretons aussi bien en France qu’à l’international.
Pour ne pas se laisser dépasser, il est nécessaire que les associations historiques s’adaptent au changement d’époque, estime Gérard Paloc : « Les jeunes gardent la fibre régionale, mais l’expriment désormais sur les réseaux sociaux, observe-t-il. Nous avons donc organisé une rencontre avec un groupe créé spontanément sur LinkedIn, comptant un peu plus de 200 membres. » L’avenir des associations se tisse désormais sur la Toile.
Article réalisé par Catherine Quignon