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« Le goût d’oser, on n’a pas le choix, il faut l’avoir si l’on veut s’en sortir ». D’autant plus quand on vient d’un milieu très modeste, et que l’on débarque à Paris avec 1 000 francs en poche. Fils d’immigrés italiens, Dominique Restino a très vite compris qu’il ne pouvait s’en sortir que par le travail, l’entrepreneuriat, le développement économique. De Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, à l’hôtel Potocki, avenue des Champs-Élysées à Paris. C’est dans ce repère chic du VIIIe arrondissement de la capitale que siège le président de la CCI Paris Île-de-France, Dominique Restino, depuis décembre 2021. Autodidacte, l’entrepreneur rêvait d’accomplir son « Parisian dream ». C’est désormais chose faite. Plus qu’un chef d’entreprise, Dominique Restino est un bâtisseur. Qui croit plus que jamais dans la jeunesse pour construire demain un monde un peu plus raisonnable, un peu plus vivable. Son « Moovjee », qu’il fonde en 2009, a donné un sacré coup de punch à nombre de jeunes entrepreneurs, dotés d’idées plein la tête mais en quête d’un accompagnement, d’un mentor déjà passé par là.
La première ressource naturelle d’un pays, c’est sa jeune génération
Ce même mentor que Dominique Restino rencontre au Québec quelques années plus tôt, qui débouchera sur l’importation en France des Instituts du mentorat entrepreneurial (IME). « Aider à faire grandir l’autre », il n’y a sans doute rien de plus moteur pour Dominique Restino. Un homme de terrain aux côtés des entrepreneurs, parce que lui-même en est un. Il a sa manière à lui de faire de la politique, « cela fait plus de vingt ans qu’on me demande de faire de la politique de parti, ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas mon combat ».
Dominique Restino, c’est la politique économique, la vraie peut-être, celle qui compte pour développer le tissu productif français. Celle qui lève les obstacles, ceux qui empêchent nombre de créatifs de se lancer dans cette aventure que représente l’entrepreneuriat. Celle qui vole au secours de nos commerçants, indépendants, TPE et PME, victimes collatérales de l’épisode Sars-CoV-2, de la guerre en Ukraine et son inflation, des manifestations en tous genres qui ont pris l’habitude de déraper. Entretien avec un optimiste, le papa des entrepreneurs.

« Mon milieu social ne me prédestinait pas du tout à être là aujourd’hui », voilà ce que vous révéliez aux Échos début 2022. Faites-vous partie de ces autodidactes dont on parle tant ?
Oui, j’avais dit cela à vos confrères des Échos. Je viens d’un milieu très modeste, certes, mais je me suis construit aussi grâce à cela. Jamais je n’ai eu une volonté de prendre ma revanche. Simplement, parfois, on n’a pas d’autre choix que d’avancer. Mes parents m’ont transmis des valeurs, notamment la responsabilité. Mon père, c’était la persévérance, la résilience. Il travaillait dans les mines en Belgique. Quand tu viens de là où je viens, si tu ne tentes pas, tu es bien mal parti ! Le goût d’oser, on n’a pas le choix, il faut l’avoir si l’on veut s’en sortir.
Oui, bien sûr que je suis un autodidacte. Je suis né à Villers-Cotterêts dans les années 60. Je suis parti à dix-sept ans et demi, sans le bac mais sac dans le dos, avec 1 000 francs, pour rejoindre la capitale. C’était mon rêve parisien, je ne pouvais pas rester dans l’Aisne. Je faisais partie d’une troupe de théâtre au lycée, Paris c’était aussi l’occasion de suivre des cours d’art dramatique. Monter à Paris, ça voulait dire quelque chose.
Avant l’entrepreneuriat, le salariat les premières années ?
La vie est ce qu’elle est. J’avais surtout en tête mes cours d’art dramatique en arrivant à Paris. Mais la réalité vous rattrape vite. Sans argent, il fallait bien que je travaille. Peu à peu, mes jobs alimentaires rongeaient le peu de temps qu’il me restait pour assumer les cours. J’ai d’ailleurs fini par arrêter. À l’époque, on ne parlait pas vraiment d’entrepreneuriat ou de salariat. On ne se posait pas la question, on travaillait, point barre. J’ai accepté pas mal de petites missions en intérim. Mais au bout d’un moment, j’avais vraiment envie de construire quelque chose qui m’assurerait une sécurité. J’ai d’abord rejoint une PME spécialisée dans le recrutement, IFOPS. Il fallait que j’apprenne un métier. C’est là-bas que j’ai fait mes premières armes. Avant de rejoindre Rank Xerox en tant qu’ingénieur commercial. Problème, cette entreprise n’était pas la mienne. Je voulais créer.
Ses publications :
■ En 2014, « Mentorat Pour Entrepreneurs, regards croisés sur un accompagnement innovant »
■ En 2015, Dominique Restino coécrit avec Bénédicte Sanson et Vincent Redrado, le livre « Jeunes, créez votre entreprise ! », publié aux éditions Dunod.
■ En 2019, rapport « Valoriser et sécuriser le travail indépendant : vers un nouveau pacte social »
Vous créez alors votre première entreprise, à 24 ans ?
Oui, en 1986 je cofonde avec deux amis Sogedis Effectif, un groupe d’agences de recrutement spécialisé (ingénierie industrielle et informatique, ndlr). À l’époque, c’était une start-up, avec une moyenne d’âge qui devait se situer autour de 28 ans. J’en avais 24. Mais on avait cet esprit de conquête, de développement. L’aventure a duré plus de vingt ans et on a réussi à atteindre les 35 millions d’euros de chiffre d’affaires. Dès les années 2000, l’entreprise était courtisée par des grands groupes français et même internationaux. On a fini par vendre en 2006.
Aujourd’hui, Expertive Team Expert est mon entreprise principale. C’est mon business. Toujours dans ce secteur du recrutement spécialisé. Comme je vous le disais, j’ai appris un métier ! J’en suis le président-fondateur depuis 2011.
Le Québec, un tournant dans votre vie ?
Ah, le Québec, c’est ma troisième nation, après la France et l’Italie. J’en suis tombé en amour comme on dit là-bas. On est en 2005, je suis jeune élu à la CCI Paris-Île-de-France et le président m’envoie pour une mission au Québec, sur la transmission d’entreprises, le colloque annuel. D’autant plus qu’à l’époque j’imaginais déjà céder l’entreprise Sogedis. Arrivé à Québec, je participe à un atelier dédié au mentorat pour entrepreneurs. Tout ce que ce mentor-là disait, je le pensais. Simplement, il avait cette capacité à parfaitement structurer son propos. Une belle aventure humaine, je me suis lié d’amitié avec lui. « Lui » deviendra quelques années plus tard, en 2007, maire de Québec. Régis Labeaume.
Dominique Restino, son parcours en dates clés :
■ 1986 : première entreprise créée à 24 ans
■ 2004 : membre de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP)
■ 2005 : président IME France
■ 2009 : lancement du Moovjee
■ 2011 : création d’Expertive
■ 2016 : président de la CCI Paris et vice-président de la CCI Paris Île-de-France
■ 2021 : président de la CCI ParisÎle- de-France
D’où la naissance de l’IME en France ?
Exactement. Un peu avant mon arrivée à Québec, je me souviens de ces mots de Christine Lagarde, à l’époque en charge du Commerce extérieur : « Les entreprises françaises n’exportent pas assez ! » « Mais Madame, avais-je dit, 97% de nos entreprises ont moins de 20 salariés, comment voulez-vous qu’elles aillent conquérir les marchés internationaux ? » Pour faire grandir les entreprises, essentiel d’abord de faire grandir les entrepreneurs. C’était tout l’objet de l’atelier mentorat auquel j’ai assisté à Québec. J’ai importé en 2005 le modèle sur le sol français. Je préside depuis l’Association Française des Instituts du mentorat entrepreneurial.
Je crois beaucoup en l’accompagnement d’un pair par un autre pair. Mais le mentor ne donne pas de conseils, il guide le mentoré, l’aide à se poser les bonnes questions, le pousse dans ses retranchements. Comme un effet miroir. Trois piliers se montrent indispensables à la réussite d’une relation de mentorat : confiance, bienveillance et régularité. Principe simple : le mentor ne doit pas exercer dans le même secteur d’activité que le mentoré ! Le mentorat permet de ne pas rester seul, de faire part de ses problèmes à quelqu’un qui a un regard objectif. On ne dit pas à son banquier les angoisses que l’on peut avoir, ni à ses collaborateurs…
Ce mentorat, vous voulez aussi l’appliquer au bénéfice des jeunes entrepreneurs ?
La première ressource naturelle d’un pays, c’est sa jeune génération. D’où la naissance du Moovjee (Mouvement pour les Jeunes et les Étudiants Entrepreneurs, ndlr) en 2009. J’avais envie de mettre en lumière les jeunes entrepreneurs, j’en ai parlé à Bénédicte Sanson, la cofondatrice. En aucun cas je n’ai créé l’entrepreneuriat des jeunes. Il était déjà là, il existait, mais il fallait l’accompagner, lui donner un coup de pouce, une visibilité, des aides. Je n’étais plus très jeune quand j’ai cofondé le Moovjee, mais j’ai parlé à cette jeunesse d’entrepreneurs comme j’aurais parlé à n’importe quel chef d’entreprise. L’âge ne compte pas pour créer. Des entrepreneurs aguerris et d’autres, qui débutent, doivent pouvoir se rencontrer, se parler. Avec le Moovjee, on a voulu rendre possible cet état d’esprit : mon premier job ? entrepreneur ! Peu importe les diplômes, CAP, bac ou bac +5.
Depuis, le Moovjee, c’est désormais 14 éditions venues récompenser les entrepreneurs de moins de 30 ans. La première édition en 2009, je m’en souviens, c’était dans un théâtre situé au 95 boulevard Saint-Michel, à Paris, créé une année auparavant par une jeune entrepreneure justement de moins de 30 ans !

Qu’est-ce que vous ressentez lorsque vous voyez des jeunes issus du Moovjee qui connaissent ensuite un grand succès ?
J’ai avant tout une grande reconnaissance vis-à-vis de tous les mentors, aussi bien du Moovjee que de l’IME, qui donnent de leur temps pour accompagner leurs pairs. Ce sont des bénévoles. Le mentorat relève du don de soi. Aider à faire grandir l’autre, il n’y a rien de plus beau. Convaincre tout un chacun, et notamment les plus jeunes qu’ils peuvent réaliser leurs projets, leurs rêves. Et à l’arrivée on observe de très belles réussites : Nicolas Rohr et Frédéric Mugnier, avec Faguo, qui ont reçu le prix Moovjee en 2009, les deux sœurs Scarlette et Margot Joubert récompensées en 2012 pour les Cafés Marlette, ou les fondateurs d’IZIPiZi ou celui d’EBS qui à 32 ans réalise 200 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Et pourtant… le regard qui est porté sur la jeunesse aujourd’hui n’est pas des plus élogieux. Certains la qualifient même de paresseuse, ne porte-t-on pas un jugement trop dur sur les jeunes générations ?
Bien sûr que l’on est trop durs avec cette jeunesse ! Elle n’est pas paresseuse, mais étonnante et audacieuse. Les jeunes générations ne vivent plus avec les mêmes références, elles veulent du sens au travail, être engagées, travailler autrement, qui pourrait leur en vouloir ? Je suis toujours impressionné par leur entrain, leur envie de changer le monde pour le rendre meilleur. Quand je les rencontre, j’ai envie de construire quelque chose avec eux, de rendre envisageables leurs aspirations.
Tout le monde ne créera pas de boites mais chacun doit pouvoir se dire : « Moi je veux faire quelque chose de ma vie ! » Les jeunes n’ont plus envie d’attendre dix ans avant de faire, créer. Avec l’essor des nouvelles technologies, dans une société où il est possible de créer un site Web en quelques heures… eh bien ils y vont, tant mieux. S’ils échouent, sans de lourdes charges financières ou familiales, ils ne tombent pas de bien haut.
Cette envie d’aider les autres, c’est ce qui explique aussi votre engagement au sein de la CCI Paris Île-de-France depuis 2004 ?
Vous savez, avant de rejoindre la CCI Paris Île-de-France il y a presque vingt ans maintenant, je ne savais pas trop bien à quoi servait une chambre de commerce et d’industrie. C’était flou. Maintenant je le sais. Quand vous voyez un commerçant de 75 ans, qui tient un magasin de costumes place de l’Opéra à Paris, frôler la crise cardiaque parce qu’il voit des manifestants tout saccager et s’approcher de sa boutique… vous savez pourquoi vous faites ça. Pourquoi vous vous impliquez autant auprès des entrepreneurs. Notre mission est de les accompagner, les orienter vers les aides dont ils peuvent bénéficier, les aiguiller dès lors qu’ils souhaitent créer, céder ou reprendre une entreprise. Entre autres. C’est avant tout du terrain, du concret.
Mon parti à moi, c’est l’entreprise. La politique de parti n’est pas mon combat
En quelques chiffres, que représente la CCI Paris Île-de-France, dont vous occupez la présidence depuis 2021 ?
Déjà, sachez que l’Île-de-France, qui ne représente que 2% du territoire, n’abrite pas moins de 24 % des emplois en France. La région contribue aussi à 30% du PIB. Un véritable hub européen. Dans chaque département d’Île-de-France est implantée une CCI, pour conserver une proximité avec l’ensemble du territoire francilien.
On a également un rôle éducatif à assurer, avec 72 000 personnes formées à travers nos écoles dont certaines font partie des meilleures au monde. Rappelons-le, la CCI Paris Île-de-France est l’actionnaire principal d’HEC à 90% ou de l’ESCP Business School à 99 %. Nous formons des femmes et des hommes dont les entreprises ont besoin pour demain.
Avec tous ces engagements, n’avez-vous jamais pensé à entrer en politique ?
Mon parti à moi, c’est l’entreprise. Je ne fais pas de politique de parti. Mais de la politique économique en lien avec tous les acteurs. Cela fait plus de vingt ans qu’on me demande de faire de la politique de parti, ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas mon combat. À travers mes engagements multiples, à la CCI ou au Moovjee, nous sommes apolitiques. Évidemment, je reste un citoyen de France, d’Italie, de Québec et du monde, donc je me rends aux urnes quand il le faut. Je rencontre régulièrement des ministres, pour travailler à des programmes d’accompagnement et leur faire remonter les problèmes des entreprises franciliennes.
Un agenda si chargé vous laisse-t-il une place pour vos hobbies, passions ?
J’ai des passions en effet. Ai-je le temps pour les satisfaire ? c’est autre chose. Je me lève vers 7 heures le matin, et m’endors rarement avant minuit. La journée, c’est une succession de rendez-vous, réunions, dossiers, etc. Je fais des semaines à plus de 90 heures, mais après tout je ne vais pas me plaindre car ce que je fais me rend heureux.
Sur mes passions, j’aime beaucoup le cinéma. Ce n’est pas pour rien que je suivais des cours d’art dramatique plus jeune. Même si après j’ai bifurqué. Mes enfants baignent dans le monde artistique et ma femme est un grand sculpteur. Ce sont des créatifs, et je me retrouve dans cet univers, je suis assez à l’aise dans ce mélange des mondes. On s’enrichit des différences.
Des projets en vue ?
J’ai plein de projets. Mais il ne suffit pas d’en avoir, il faut les mettre en application. Par exemple, la CCI Paris Île-de-France et Sport Unlimitech de Frédéric Michalak s’associent pour créer un rendez-vous du 29 juin au 1er juillet pour réunir talents et entreprises et faire naître des opportunités concrètes de business. Une manière de consolider la filière sportech française. D’autant plus crucial à l’approche de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques l’année suivante. Informons plus que jamais les TPE, PME et indépendants pour que ces rendez-vous planétaires riment avec de l’emploi pour les gens, un développe – ment économique de nos entreprises. Bref un partage de la valeur.
En 2025, la CCI Paris Île-de-France, qui siège pour l’heure à l’hôtel Potocki, déménagera dans le centre-est parisien. Le but ? Favoriser la transversalité et l’agilité dans un lieu fédérateur ancré dans le XXIe siècle.
Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince
À retrouver également dans ce numéro :
Notre grand dossier : Entreprises et réseaux sociaux, destins liés.
Parmi nos autres sujets : la création d’entreprise et tous les outils pour « réseauter, s’implanter, et transmettre », et un focus sur les TPE-PME et la commande publique, réalisé en partenariat avec la Fédération Cinov.