Temps de lecture estimé : 7 minutes

« La mamie du Web ». Voilà comment Catherine Barba Chiaramonti se surnomme. « Avouez-le, c’est mieux que pionnière, non ? Ça ferait trop sérieux », sourit la serial entrepreneure. Et pourtant, Catherine Barba, issue d’une famille espagnole et native de Rueil-Malmaison (92), a de la bouteille dans cette jungle entrepreneuriale. Qu’elle le veuille ou non, elle s’invite bien comme une pionnière de l’univers du Web. Avant cela, un parcours brillant: baccalauréat S (scientifique) avec mention, trois années de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) en hypokhâgne et khâgne, puis l’ESCP Europe. Les cases sont cochées. Un avenir dans les grands groupes ? Une carrière en « commerce international » ? Ou dans la finance, la banque ? Rien de tout cela. Ce sera l’entrepreneuriat, dans le digital, la tech.

À mon retour en France, me voilà devenue spécialiste du Web. J’ai rapidement été propulsée au rang d’experte alors que je n’étais qu’au CP pendant que tout le monde était encore en maternelle.

C’est bien aussi, mais moins tranquille, moins pépère. D’autant plus quand on ne baigne pas dans un environnement d’entrepreneurs. Après les États-Unis (passage obligé à la fin des années 1990, l’essor du Web se passe là-bas), la jeune entrepreneure veut mettre en place un système, devenu banal aujourd’hui : le cashback. Ordinaire de nos jours mais complètement fou à l’époque: gagner de l’argent en achetant en ligne! Une petite révolution. Cashstore en 2004, puis Malinéa, une agence de conseil digital, qu’elle finit par revendre à Vente privée en 2012, Pepslab en 2015 – un retail innovation center aux États-Unis – et enfin Catherine Barba Group, l’entrepreneure décide de mettre ses expériences et expertises au service des entreprises en quête de transformation digitale. Oui, l’heure de la transmission est venue. Plus récemment, en 2022, notre entrepreneure-pédagogue a fondé une école : Envi – pour « Ensemble vers ma nouvelle vie d’indépendant ». Une bien belle récompense pour celle qui voulait devenir prof de philo.

Catherine Barba incarne l’entrepreneure que nous défendons nous, à ÉcoRéseau Business. Oser, bâtir, réussir, revendre, recommencer, apprendre, accompagner, aider et transmettre. Et, détail capital, la boucle entrepreneuriale n’est jamais bouclée. « Madame 100000 volts », tiens, voilà un autre surnom. Car Catherine Barba, c’est aussi une place dans le jury de la célèbre émission « Qui veut être mon associé ? », c’était lors de la première saison. Une vie à mille à l’heure qui n’a pas abîmé son couple, qui dure depuis 22 ans. Sa « plus grande fierté », révèle-t-elle, « sans lui, je ne serais rien ». Lui, c’est Arnaud.

Catherine Barba, souvenirs d’enfance
« Quand j’étais petite, j’avais un rêve. Je voulais être grande. Je voulais être grande car je voulais décider. Je voulais décider quand je sortais ou je ne sortais pas. Je voulais découvrir l’inconnu, ça c’était mon rêve d’enfance. J’étais là, devant la télé le 31 décembre, et puis je pensais : qu’est-ce que je ferai quand je serai grande ? Moi, un truc qui me faisait complètement rêver, c’était quand on passait avec mes parents en voiture devant les immeubles haussmanniens des beaux quartiers à Paris, nous, on ne roulait pas sur l’or, j’avais l’impression que derrière ces fenêtres les gens avaient une vie fantastique, tout était beau. Je me disais, tiens un jour : peut-être que tu habiteras là ! », un permis de rêver, qu’elle raconte lors d’une conférence TEDx à Bordeaux, en 2013.

« Nous créons la formation dont on aurait rêvé quand on lançait nos premières entreprises… », voilà le slogan de votre école, Envi, créée fin 2022. Cette école-là, vous auriez aimé la fréquenter à vos débuts ?

Moi, mon école, c’était apprendre au contact des entrepreneurs. C’est comme cela que j’ai commencé. Sur le terrain, jetée dans le grand bain. Cela fonctionne aussi, même si c’est moins académique. Je ne suis pas sûre qu’il existe une formation unique à l’entrepreneuriat, du moins à cet esprit d’entrepreneur. Malgré tout, il y a des fondamentaux à connaître, c’est l’objectif d’Envi (Ensemble vers ma nouvelle vie d’indépendant, ndlr). Ça peut faire gagner du temps. C’est une école tournée vers la rentabilité. Mon projet est-il viable ou non ? Mon business plan ? Nos mentors conseillent les entrepreneurs. Mais nous ne sommes personne pour dire : toi vas-y, tu y arriveras, toi tu échoueras.

Quand je repense à mes débuts, effectivement on ne trouvait pas de formation conçue pour les futurs entrepreneurs. Moi à l’ESCP, je n’ai pas suivi un master en « entrepreneuriat », ça n’existait pas. Non la mode était au « commerce international », à la « finance ». À l’époque, on nous apprenait comment gravir les échelons rapidement, sous-entendu dans les grands groupes. C’était le modèle à suivre. Je m’ennuyais terriblement dans mes cours de marketing et de finance… Et pourtant c’est sans doute ce qui m’a sauvé la vie ensuite.

Alors concrètement, Envi, ça se passe comment ?

J’ai fondé cette école avec Charlotte de Charentenay, Rachel Lesage et Carine Malaussena. Moi c’est ma quatrième entreprise, j’ai l’habitude, mais c’est une première pour elles, alors elles ne sont pas trop sereines ! J’espère qu’elles ne regretteront pas d’être parties à l’aventure avec moi. Concrètement, on propose une formation qui s’étale sur douze semaines, en collectif et en ligne. C’est tout récent, on a démarré en octobre 2022 : 23 personnes pour la première promotion, et 50 pour la deuxième ! Donc évidemment, on se situe encore au lancement, 2023 sera une phase test, d’exploration. La formation coûte 2000 euros. Des intervenants, les mentors, sont là pour proposer des ateliers et encadrer les porteurs de projets. Parmi eux : Marc Simoncini et Éric Larchevèque, qui font partie du jury de l’émission « Qui veut être mon associé ? », Justine Hutteau, Frédéric Mazzella ou encore Lucie Basch.

Les mentors sont là pour prendre le pouls des projets proposés et donner des conseils. Sur le business plan, le marché (porteur ou pas), le business model, le timing (est-il judicieux d’y aller maintenant ?), ce type de questions très pratiques. C’est quoi mon point d’équilibre, le nombre de ventes qu’il me faut chaque mois? Voilà un exemple de module. Surtout, ce qui compte chez Envi ? le collectif. Chacun « pitche » son idée et se confronte aux réactions des autres participants, c’est très interactif. Au-delà des fondamentaux pour créer une entreprise, notre école représente avant tout une communauté, une possibilité d’étendre son réseau.

Catherine Barba

Une école pour indépendants, c’est dans l’air du temps finalement ?

Oui, la crise covid-19 est passée par là. Il y a eu un effet confinement. Les gens ont pris le temps de s’interroger sur ce qu’ils font au quotidien, leur travail. On n’a jamais autant parlé de sens au travail, ça veut dire quelque chose. Qu’est-ce qui me pousse à me lever le matin ? Je crois qu’il y a aussi une aspiration à un meilleur équilibre de vie, entre le pro et le perso. L’autonomie compte plus que jamais. D’où le record de créations d’entreprises l’an passé. Les gens veulent créer leur boîte, là maintenant, comme s’il y avait une urgence. Cette envie d’indépendance ne date pas d’aujourd’hui, mais la pandémie a tout accéléré.

On remonte en 2004… d’où vous vient cette idée de cashback ?

Vous savez, je suis avant tout une exploratrice. J’ai eu la chance de faire une école de commerce et donc de bénéficier d’une année de césure pour ma dernière année d’études. Je suis allée aux États-Unis. 1995, Internet explosait là-bas. Amazon existait déjà. Les gens s’échangeaient leurs adresses e-mails. Ce qui est inconnu est exaltant. J’ai eu l’occasion de me familiariser avec toutes ces nouveautés du Web au cours de mon stage. J’ai beaucoup appris aux US. Puis, à mon retour en France, j’ai rapidement été propulsée au rang d’experte alors que je n’étais qu’au CP pendant que tout le monde était encore en maternelle. Me voilà devenue spécialiste du Web en général, et du cashback en particulier, je trouvais ça fabuleux de pouvoir gagner de l’argent en achetant ! D’où la naissance de Cashstore.fr en 2004.

Catherine Barba, en livres
■ Shopping en ligne, même pas peur ! (Éditions Carnets De L’info, 2010)
■ Le magasin n’est pas mort – Comment réussir la transition numérique de votre activité en 15 sujets clés (Fevad, 2013)
■ « La fin du e-commerce… ou l’avènement du commerce connecté ? », une étude avec la Fevad, 2020.

Il y a vingt ans, une femme entrepreneure dans la tech… vous avez reçu un bon accueil ?

Je ne me suis jamais posé la question. Je sentais une communion autour d’un esprit entrepreneurial… qui dépassait les frontières de genre. Je n’ai pas ressenti une différence de traitement parce que j’étais une femme. Peut-être suis-je très masculine ! Il m’est arrivé de faire l’idiote, ou d’assumer ne pas savoir, et c’est possible que ce soit plus simple pour une femme, peut-être que l’on en attend moins des femmes…

Évidemment, je n’ai pas eu de problèmes, moi personnellement, mais les femmes dans la tech ne couraient pas les rues à cette époque. Encore aujourd’hui d’ailleurs. Donc je ne nie pas l’enjeu à l’échelle globale. La preuve, j’ai cofondé la journée de la femme digitale pour mettre en avant les femmes entrepreneures et montrer à toutes celles qui se créent des barrières que c’est possible. Ce sont des initiatives comme celles-ci qui feront bouger les lignes, je salue Women In Tech par exemple. Si l’on attend « naturellement » d’atteindre l’égalité dans certains domaines… ce sera bien trop long ! Cependant, je ne crois pas à ce précepte : les femmes par les femmes pour les femmes ! Car l’on recrée de la polarité. La mixité, c’est bon pour l’innovation, la performance et l’engagement en équipe.

Business angel
Petit florilège, non exhaustif, des entreprises soutenues par « Catherine Barba » :
■ Leetchi, la cagnotte en ligne pour les dépenses à plusieurs lors d’occasions : anniversaires, cadeaux communs, etc.
■ Reech, l’expert de l’influence marketing
■ Retency, un procédé d’anonymisation de la donnée
■ CarGo, acteur de la location de voitures et d’utilitaires
■ Euveka, les mannequins robots et connectés qui ont bousculé le secteur de la mode
■ Ada Tech School, l’école d’informatique inclusive, où on apprend à coder avec une pédagogie alternative.

 

Des récompenses multiples

Catherine Barba a reçu de nombreuses distinctions parmi lesquelles celle de Femme en Or en 2011, Alumni of the Year ESCP Business School en 2012, Femme d’Influence économique en France en 2014, le prix « Inspiring Fifty » en 2015 et 2016 qui récompense les 50 femmes les plus inspirantes de l’écosystème digital en Europe. Catherine Barba est administratrice d’Etam et du Groupe Renault, chevalier de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’Honneur.

Vous êtes une spécialiste du e-commerce et avez publié Le magasin n’est pas mort. Même en 2030 ? En 2040 ?

Bien sûr que les magasins physiques ont de l’avenir. Si nous ne sommes pas tous devenus des robots d’ici à 2040… ce qui est fort probable avouons-le. Donc nous aurons toujours besoin de contacts humains. De liens physiques. Une des raisons qui me fait croire dans le futur du magasin physique ? le consommateur. Car on a beau vouloir toujours plus de numérique pour mêler rapidité et simplicité, dès lors que l’on a envie d’être surpris, de ressentir les choses, d’explorer, rien ne remplace le contact physique. Ça tient à la nature même de l’être humain. Et puis, deuxième raison, les commerçants ne peuvent plus faire l’un sans l’autre dans un monde hybride. Le magasin physique s’accompagne du site en ligne. Une complémentarité, pas une substitution. Nous l’avons vu d’ailleurs pendant les confinements: le click and collect a sauvé bon nombre de commerces, pas toujours aguerris au digital. Ils l’ont compris.

Sans transition. Quatre entreprises créées, une école fondée, n’avez-vous pas tendance à vous lasser assez rapidement ?

Non, ce n’est pas une question de lassitude, mais d’opportunités. Quand un train passe, soit vous le prenez, soit vous le ratez. Dans tous les cas il ne vous attend pas. Certains aiment consolider ce qu’ils connaissent déjà bien. J’aime créer de nouvelles choses. La vie, ce sont des cycles. Il est vrai que je préfère initier les choses, lancer des idées, des projets, des concepts, c’est à ce moment-là que c’est le plus stimulant. Après, non je ne me lasse pas, mais je suis lucide, et je n’excelle pas quand il s’agit de développer une entreprise jusqu’au sommet. Atteindre le premier million de chiffre d’affaires, c’est passionnant. Mais, ensuite, passer de 5 à 50 millions d’euros de CA ? ce n’est pas pour moi.

Quand vous prenez du recul sur votre parcours, y a-t-il quelque chose dont vous êtes le plus fière ?

Ce n’est peut-être pas la réponse attendue. Mais je suis fière d’avoir autant entrepris sans que cela n’abîme ma vie de couple. Avec Arnaud, cela fait 22 ans que nous sommes ensemble. Vous me parliez de lassitude… s’il y a bien une affaire qui dure : mon couple ! Bon nombre d’amis créent à tout va, montent des boîtes, mais recommencent, perpétuellement, leur vie de famille.

Il y a eu des hauts et des bas, comme dans tous les couples. On a usé pas mal de thérapeutes… mais l’on se marre ensemble, c’est l’essentiel! Il me décharge aussi de beaucoup de choses pour que je puisse me concentrer sur mon cœur d’activité, ce qui me plaît. Je ne ferais rien sans lui. Sans compter qu’il est agrégé de philosophie, plus jeune, avant l’entrepreneuriat, je voulais devenir prof de philo. On dit que l’on cherche souvent chez l’autre ce qu’il nous manque…

Un ou deux conseil(s) à donner aux futurs entrepreneurs qui nous lisent ?

Mon conseil le plus précieux, et pourtant assez logique: s’entourer des bonnes personnes. Des bons coéquipiers. Tout seul, on ne peut rien faire. Ce sont les autres qui nous aident quand le navire tangue.

Je dirais aussi, engage-toi sur un marché que tu connais bien. La concurrence est là, parfois, elle est déjà bien rodée et installée, ce n’est pas grave, mais indispensable de bien connaître le marché pour rattraper le retard. Avec un projet qui t’anime, te passionne, que tu as dans les tripes. De manière à faire face à l’adversité. Car entreprendre, c’est accepter de ne pas dégager des marges suffisantes au début. C’est donc accepter l’instabilité, de ne pas vivre avec beaucoup. Ah et dernière chose, pose-toi deux questions : pourquoi moi ? et à quel problème je réponds ? Si ce que tu proposes ne répond à aucun problème… ce sera compliqué.

Quand vous ne pensez pas boulot, que faites-vous ?

Je cours souvent. Je cuisine beaucoup aussi, pour les amis, j’adore ça ! La lecture m’occupe pas mal évidemment, les classiques. En buvant un bon verre de vin, l’été, en Corse. J’aime me reconnecter à l’essentiel, la nature. Le boulot finalement, ce n’est que du boulot. Hélas, ça va bien s’arrêter un jour, jusqu’à preuve du contraire nous sommes mortels. Croyante et pratiquante, je vais à la messe. La religion constitue un vrai pilier dans ma vie. Oui, il existe des choses qui nous dépassent, plus grandes que soi, et ça permet de relativiser. Être vivant, ce n’est pas simplement maintenir son corps en vie.

 

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel et Jean-Baptiste Leprince

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.