Anne-Sophie Tuszynski

Temps de lecture estimé : 3 minutes

L’entrepreneure « cancer survivor »

Elle est de ces entrepreneures engagées dont les projets séduisent et embarquent ceux qui croisent son chemin. Anne-Sophie Tuszynski se promettait une belle carrière dans les ressources humaines. Et… l’« accident », comme elle le présente – elle n’aime pas le mot « échec ». La maladie va l’obliger à reconsidérer ses projets. Un rebond de vie par lequel elle va créer beaucoup de valeur, pour elle, surtout pour les autres et pour nos sociétés.

Les RH la happent à l’issue de ses études. Intérim chez Vedior (devenu Randstad), puis dans le conseil aux dirigeants et la chasse de tête. Ce qui lui plaît : chercher à concilier des parcours de vie avec des projets d’entreprise. Le fil rouge de ses 15 premières années de vie professionnelle. Engagée, passionnée, elle gère ses missions, remplit ses fonctions tambour battant… jusqu’à ce que le crabe fasse irruption dans sa vie et l’oblige à tout reconsidérer. En 2011, à 39 ans, cette mère de famille nombreuse doit affronter un diagnostic dur – 95 % de risque. Alors pas d’autre option : elle doit mettre le holà. Plutôt que de se cacher, de taire sa maladie, elle prend le parti de l’assumer.

Elle en parle avec son manager, demande que ses clients soient informés, s’assure que l’organisation idoine soit mise en place le temps de sa longue absence. Une approche libérée qui ne va pas de soi… Chez ces gens-là, Monsieur, ça ne se dit pas, la maladie se cache. Ne dit-on pas d’ailleurs « vie active »/« arrêt de travail » ? Le fonctionnement binaire du monde professionnel.

 

Concilier travail et maladie

Finalement, les faits lui donnent raison : Anne-Sophie Tuszynski montre qu’il est possible de concilier maladie et travail. Elle reçoit beaucoup de témoignages de solidarité et de soutien de la part de ses collègues, clients et partenaires. Elle s’absente en sachant à qui confier les clés, de quoi concentrer son énergie pour affronter les thérapies et soins que lui impose son cancer. Mais si elle franchit cette étape, une autre, plus insidieuse, reste à passer pour rebondir : reprendre le travail. Car si le système de soins français offre une très bonne prise en charge des patient·es, le retour à la vie active est un autre défi. Ce qui a marqué Anne-Sophie T. ?

Les mots prononcés prononcés par une femme passée par la même épreuve : après le cancer, dit-elle, elle se sentait « à la fois vivante et morte professionnellement ». Elle en a compris le sens quand elle a repris son travail : de nombreux responsables RH la contactaient pour savoir ce qu’il serait bien de faire vis-à-vis de collaborateurs touchés par la maladie ou de retour après un arrêt longue durée… Les entreprises ne savent pas comment intégrer ces « cas » dans leurs équipes à leur retour, en tenant compte des nouvelles dispositions de la personne qui revient. De quoi expliquer qu’un tiers des convalescent ·es finissent par quitter le monde du travail. Tou·tes ces « guéri·es » sont de trop et représentent une charge pour l’entreprise et pour la société !

 

Le choix de l’entrepreneuriat pour rebondir

Alors Anne-Sophie Tuszynski s’empare du sujet. Ce sera son rebond. L’expérience de vie qu’elle vient de traverser la conduit à réinterroger son projet professionnel. Elle quitte le salariat et son « confort », notamment financier, pour lancer sa propre entreprise qu’elle veut aligner sur son vécu et ses convictions. On est en 2012. C’est le début de l’aventure, d’abord avec l’association Cancer@ Work, un club de dirigeants qui agit pour favoriser l’inclusion des personnes malades dans le monde du travail. Puis en 2019 avec la startup WeCare@Work qui propose une offre de conseil et de services aux dirigeant ·es sur la qualité de vie au travail (QVT) et les moyens de concilier maladie et vie active.

Son but : changer le regard de l’entreprise sur la maladie et les malades. Anne-Sophie Tuszynski veut rappeler que le travail est essentiel à la guérison, qu’en s’occupant de tou·tes leurs salarié·es, y compris ceux et celles frappé·es d’une affection de longue durée (ALD), les entreprises développent leur résilience et leur capacité de rebond. Car 25 % des actif·ves seront sujet·tes à des maladies graves ou chroniques à horizon 2025.

En montrant aux équipes que l’on sait accompagner ces collègues face à des difficultés, on libère les énergies et on dispose d’un puissant levier d’engagement. Avec son associée Claire, Anne-Sophie Tuszynski constitue une équipe d’ancien·nes malades et d’aidant·es. La solidarité est la seconde valeur qui guide son activité : elle lance une ligne d’écoute gratuite à destination du grand public, le 0 800 400 310. Et ça fonctionne ! Malgré la covid – l’activité était pensée pour du présentiel. En très peu de temps, sans doute grâce à la capacité de résilience qu’elle et son équipe ont développée dans leurs expériences de la maladie, Anne-Sophie réécrit sa feuille de route pour l’adapter au nouveau contexte. Face au nombre croissant de demandes d’accompagnement, elle lance Alex, la coach numérique, pour concilier maladie et travail.

 

Créer de la valeur sociale, économique et sociétale

Quatre ans après sa création, We- Care@Work emploie 10 collaborateurs et mobilise une quinzaine de professionnels. Un baromètre publié à partir de 2013 montre aussi l’évolution en entreprise : alors que 82 % des actif·ves avouaient ne pas pouvoir prononcer le mot « cancer » au travail en 2013, le chiffre tombe à 56 % en 2019 puis à 51 % en 2021. Le message est entendu, le mouvement est lancé, 150 entreprises travaillent avec WeCare@Work.

Et en 2021, l’entreprise a été distinguée par le trophée H’up car les conséquences de la maladie peuvent amener à une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH). Anne-Sophie Tuszynski le dit simplement, elle est dirigeante travailleuse handicapée, même si son handicap est invisible, il est bien présent. Il est difficile de dire sa fragilité dans l’univers professionnel, confirme la rebondisseuse, mais il est fondamental d’insuffler une autre culture de la maladie en entreprise. Et à ses yeux, il est plus que temps de passer à l’étape suivante, c’est-à-dire sortir d’une gestion au cas par cas et en mode pompier au profit de l’anticipation et du dialogue. Alors les entreprises créeront de vraies conditions de rebond pour tous.

CLAIRE FIN

 

Les Rebondisseurs Français

Ce qu’en disent Les Rebondisseurs Français : association partenaire d’Écoréseau Business

Un parcours comme celui d’Anne-Sophie Tuszynski, en dépit de son tragique, est porteur d’espoir. Parce qu’elle a su mettre fin aux silences. Parce que son rebond démontre qu’il est possible de transformer une situation de faiblesse en source de richesse au profit de tous

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