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Il n’est pas qu’un écrivain, cinéaste et pamphlétaire de 55 ans, mais aussi un « faiseux » qui secoue le cocotier des « diseux » politiques avec son mouvement citoyen. Rencontre.
«C’était un pari il y a deux ans lorsque je me suis lancé. Ce n’en n’est plus un. Je dispose des généraux du changement en magasin désormais », lance-t-il en ce matin printanier au café du Trocadéro. Une phrase qu’on ne s’attend pas vraiment à entendre de la bouche d’un écrivain (plus d’une vingtaine de livres dont « Le Zèbre » qui l’a rendu célèbre) et réalisateur de films. Alexandre Jardin – petit fils de l’homme politique Jean Jardin, fils de l’écrivain Pascal Jardin –, avait tout pour être un citoyen créatif et engagé. A tel point qu’en 2011 il écrit « Des gens très bien », n’hésitant pas à questionner le passé vichyste de son grand-père directeur de cabinet de Pierre Laval. On l’aura compris, ce natif de Neuilly-sur-Seine n’hésite pas à ruer dans les brancards, ce qui l’a conduit à cofonder le mouvement citoyen « Bleu Blanc Zèbre » (BBZ) qui prône l’action des gens de terrain pour sortir de la crise. Le diplômé de Sciences Po 86 est un adepte de l’amour à la Feydeau et de la pédagogie. Deux marottes qui vont guider son engagement, la première dans la littérature, la deuxième dans le monde associatif et la société civile.
Situation française sclérosée
« Je ne cautionne pas les énarques et leur système de cooptation au sommet de l’Etat. Nous donnons les clés du pays à des jeunes femmes et hommes de 22 ans. Il existe en France une vieille habitude de soumission devant ces gens. Jugeons seulement de la dette faramineuse du pays, des 8% de Français seulement qui font confiance à la politique et des jeunes qui partent en masse à l’étranger ! », s’insurge l’ancien chroniqueur littéraire de Nulle part ailleurs sur Canal+. Les élections – où ce sont d’ailleurs les personnes âgées qui votent le plus – ne font pas changer le système. « On ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés », reprend-t-il d’Albert Einstein, persuadé que ces dysfonctionnements et attitudes cyniques qui perdurent aboutiront un jour ou l’autre à la victoire du FN. « Prenons le droit opposable au changement. Cette mesure est bidon, est-ce que cela a changé quelque chose ? Prenons le service civil. Les maires des petites communes ne l’utilisent pas parce qu’ils ne détiennent pas de services techniques, de back-office. Prenons les dispositions prises à l’égard des 2,5 millions d’interdits bancaires. Croyez-vous qu’ils se rendent à la Poste comme prévu, alors que leur parcours est des plus humiliants ? Non ! » Et de citer le Compte-Nickel, un service de compte bancaire qui ne peut être débiteur, consultable sur borne dans les bureaux de tabac, proposé par les Zèbres Ryad Boulanouar et Hugues le Bret. Le résultat de ces faiseurs de la Fintech : 280000 ouvertures de compte en peu de temps.
Les « faiseurs » à la rescousse
« Il nous faut rameuter les «vivants», ceux qui ont une véritable capacité d’action, ont déjà essuyé les plâtres et se sont confrontés à la mise en œuvre de leurs propres idées », explique celui qui fustige l’éternelle approche administrative et inadaptée. « Les «zèbres» viennent de la société civile, des associations, des entreprises ou sont des élus locaux. Ils passent à l’acte et sortent de la frustration ou de l’aigreur, de «l’indignez-vous». » L’action concrète de BBZ dans ce contexte ? Premièrement repérer qui sait faire quoi : qui sait re-bancariser les gens, qui fait exporter sa commune, qui sait placer les élèves de son université à l’international, qui répond aux problèmes de lecture des élèves, qui sait vraiment accompagner les chômeurs de longue durée ?… Deuxièmement, une fois le catalogue établi, organiser une coopération entre les acteurs. « Par exemple les jeunes ne rentrent plus dans les locaux de Pôle Emploi. Utilisons donc la structure des clubs et l’encadrement des coaches afin de mener des campagnes de recrutement pour les centres de formation des apprentis. Beaucoup d’élèves n’ont jamais entendu parler des CFA ! », illustre celui qui vente les lycées professionnels encourageant leurs élèves à s’asseoir autour d’une table pour concrétiser leurs idées. Troisièmement BBZ négocie des politiques régionales avec le Nord et PACA qui intègrent les Zèbres pour certaines de leurs missions qu’elles financent. Enfin quatrièmement l’approche nationale n’est pas négligée. « Nous avons lancé laprimairedesfrançais.fr, pour que les partis traditionnels ne nous imposent pas les candidats de leur choix », ajoute celui qui a mis des conditions : pour se présenter, les gens ne doivent pas avoir été condamnés, avoir travaillé cinq ans en entreprise ou association, ne pas avoir plus de 12 ans de mandat national. Tout cela pour un minimum de renouvellement. « Leur point commun ? Ils ont le respect du praticien, plus que du crâne d’œuf », ironise le prix Fémina 1988. « Le scénario idéal est un Etat qui aide ce qui marche, et non un système qui cherche à perdurer. Aujourd’hui il crée Pôle Emploi pour ensuite rapprocher la structure des entreprises, au lieu d’aller chercher en premier lieu les faiseurs. Les Maisons de Services au Public, soutenues par les territoires, sont nées de leurs bassins d’emplois et sont plus efficaces. Nous n’avons pas besoin d’un Etat fort mais d’une société forte. » Et de citer ces médecins de l’association Siel Bleu qui proposent de la gymnastique adaptée à 100000 personnes afin de contrer les pathologies les plus onéreuses pour la Sécurité sociale. « Ils réduisent les chutes en maisons de retraite (-80% !) et les cols du fémur cassés. Ils abordent une foultitude de sujets, réduisant aussi la récidive du cancer du sein par des exercices de cardio. Mais la Sécu ne les a jamais invités ! Les mutuelles les suivent enfin. D’autres pays d’Europe qui ont moins cette culture administrative embrayent le pas. Ils n’ont peut-être pas le look d’Alain Juppé, mais McKinsey a estimé qu’ils pouvaient générer des économies de 58 milliards d’euros sur huit ans ! »
L’homme aux multiples vies
BBZ a vocation à devenir une plateforme civique qui ne lui appartiendra plus, comme l’association Lire et faire Lire qu’il a créée avec le journaliste Pascal Guénée en 1999 et qui embarque des seniors dans les écoles maternelles et primaires pour transmettre le plaisir de la lecture. Elle regroupe aujourd’hui 18600 bénévoles, touche 650000 enfants par an et couvre 100 départements. Un bâtisseur ? Certes, en témoigne encore sa création en 2002 de l’association Mille Mots pour laquelle des bénévoles retraités interviennent en prison. Mais avec BBZ, il compte bien fédérer la société civile dans l’action concrète au bénéfice de la population. « Le combat sera gagné lorsque les politiques (les «Diseux») confieront à la société civile (les «Faiseux») des «contrats de mission de service public». » Selon l’auteur de « Laissez nous faire ! », les Français doivent enfin se prendre en main pour résoudre les maux qui rongent notre société. Comme lui…
Julien Tarby