Militants du Made in France

De SMS en cours de récré, elle va bon train en France depuis quelques temps. Et peut être même depuis plus longtemps...
De SMS en cours de récré, elle va bon train en France depuis quelques temps. Et peut être même depuis plus longtemps...

Temps de lecture estimé : 5 minutes

L’un a porté sa marque vers le label « Origine France Garantie », l’autre a investi dans la construction d’une nouvelle usine en Isère. Alors que le salon made in France a rencontré un franc succès, EcoRéseau se tourne vers Smuggler et Paraboot qui ont choisi de produire en France et de le faire savoir. La panacée ?

 

Comment vous êtes-vous lancé dans l’aventure ?

GA : J’ai repris la marque Smuggler en 2000 en m’alliant avec Serge Bonnefont, président de France Confection. Cette association n’était pas fortuite. J’avais dans l’idée de pérenniser un outil de production en France et d’ainsi protéger un savoir-faire artisanal, mais aussi de permettre à une marque de pouvoir se développer dans les meilleures conditions dans le domaine du haut de gamme et du luxe. En juin 2013, nous avons réalisé une levée de fonds de 1,5 millions d’euros auprès de Midi Capital, dans le but d’ouvrir de nouveaux points de vente en propre en région parisienne, dans les capitales régionales françaises et internationales. En 2000, nous avions eu du mal à réunir les fonds pour le LBO, car à l’époque le Made in France n’était pas vendeur. Entre temps, nous avons obtenu le label « Origine France Garantie », ce qui nous a aidés à attirer les sociétés de capital-investissement. Aujourd’hui, ce sont elles qui nous ont contactés ! Le 100% français est devenu un argument qui fait vendre, à l’heure où les clients recherchent de plus en plus la traçabilité de ce qu’ils achètent.

RF : A 40 ans, après des années passées dans de grands groupes industriels, j’ai souhaité rejoindre une entreprise à taille humaine. Je suis entré en 1997 chez Paraboot (entreprise Richard-Pontvert) en tant que directeur industriel. Cette PME familiale était en bonne santé financière mais il fallait la moderniser, l’organiser différemment. Ce que j’ai fait. Puis en 2012, j’en ai pris la direction générale, devenant le premier directeur qui ne faisait pas partie de la famille Richard. Une immense fierté pour moi et une grande marque de confiance de leur part ! Aujourd’hui, je travaille main dans la main avec la quatrième génération (Clémentine Colin Richard, directrice générale de la société Capuce SA et Marc-Antoine Richard, directeur de production), notamment dans la construction de notre nouvelle usine, qui sera opérationnelle début 2017. Nous avons investi 8 millions d’euros dans ce projet, qui est à la hauteur de notre ambition. C’est une façon pour l’entreprise d’entrer de plain-pied dans le XXIe siècle. Les deux usines de Tullins et d’Izeaux étaient vieillissantes. Elles ne répondaient plus aux normes environnementales et consommaient beaucoup d’énergie. Le nouveau site industriel permettra de réorganiser les lignes de production, d’être plus productif tout en proposant des espaces de travail modernisés, qui nous permettront de garder une main d’œuvre qualifiée et formée. Le soutien au Made in France, l’annonce de la baisse de charges, ajoutées au crédit d’impôt recherche font de cet investissement un pari raisonné sur l’avenir.

 

Etes-vous satisfait de l’image véhiculée par l’entreprise ?

GA : Oui, car nous avons déringardisé le fait de produire en France, nous sommes à présent dans « l’air du temps ». Nous avons misé sur ce que j’appelle « l’originalité élégante », c’est à dire offert un vêtement sur mesure, très personnalisé, avec un choix de 800 tissus et des doublures colorées. Notre image repose sur la qualité de nos prestations. Quelles que soient nos ambitions, notre production restera limougeaude. La compétence de nos 130 ouvriers est irremplaçable et nous cultiverons notre image tricolore. Nous sommes le dernier costumier français, nous comptons bien le rester. L’obtention du label officiel Origine France garantie est une grande fierté pour nous, à tous les niveaux du groupe, et il nous a permis d’augmenter notre chiffre d’affaires de 15% en un an ! Finalement, Arnaud Montebourg a été notre meilleur VRP !

RF : Je suis plutôt mitigé. Au Japon, Paraboot a une image très moderne, tandis qu’en Chine et aux Etats-Unis la marque est considérée comme conventionnelle. En France, Paraboot jouit d’une bonne image, qui reste attachante et familiale. Mais celle-ci doit évoluer pour passer du haut de gamme de bonne facture à du haut de gamme luxe. Mais le luxe discret, celui qui nous ressemble, loin du luxe bling-bling ! Jusqu’à présent le Made in France nous aidait en Asie, mais pas en France car c’était ringard. Les choses sont en train de changer ! Nous voulons rajeunir notre image et le faire savoir grâce à des actions commerciales et marketing qui vont faire parler de nous ! Nous sommes le seul fabricant au monde à réaliser nos propres semelles en caoutchouc, selon un procédé imaginé par Rémy Richard-Pontvert, fondateur de Paraboot. Découpe, piquage, grattage du cuir, teinture des bords, rabotage de la semelle, laçage et mise en boite : pas moins de 150 opérations manuelles sont nécessaires pour élaborer une chaussure Paraboot. Dans une fabrication standard, il faut 15 à 20 minutes pour fabriquer une chaussure. Nous, nous mettons deux heures en moyenne. Ce savoir-faire est unique. Qui le sait ?

 

Comment définiriez-vous votre style de management ?

GA : Je communique beaucoup en interne sur notre fabrication et sur notre savoir-faire, car l’ADN de la marque se trouve dans notre usine. Quand Arnaud Montebourg m’a remis l’Ordre national du mérite il y a un an, j’ai dit que j’en étais fier et triste en même temps, car nous étions les derniers à fabriquer en France. Mais pour moi, cette récompense, c’était avant tout la reconnaissance de nos ouvriers, de ces petites mains si précieuses… et finalement un pan entier de l’économie qui avait été oublié pendant si longtemps ! Alors, je veux valoriser ces personnes : c’est ainsi que j’ai fait venir le grand photographe Gérard Uféras dans notre usine. Il a réalisé un reportage photo en noir et blanc absolument magnifique. Aujourd’hui, les photos de nos ouvrières sont exposées dans chacun de nos magasins.

RF : Un management participatif, le plus possible ! J’essaie d’être ouvert et j’aime faire évoluer mes salariés. Beaucoup d’entre eux ont réalisé toute leur carrière dans l’entreprise, j’ai toujours veillé à ce qu’ils aient des perspectives d’évolution, un avenir devant eux.

 

Quelle est votre perception de l’échec ?

GA : J’ai vécu en 1993 le dépôt de bilan de l’atelier de confection de mon père, à Paris. Cela a été un traumatisme, car j’avais arrêté mes études à 19 ans pour reprendre les affaires de mon père, décédé. Mais cet échec m’a donné une force extraordinaire. En France, le droit à la seconde chance des entrepreneurs est un sujet tabou. C’est ce qui nous empêche d’avancer ! Je suis un militant de ce droit, car l’échec fait grandir.

RF : J’ai plutôt de la chance, j’ai une bonne étoile au-dessus de ma tête. Et puis je suis d’un naturel optimiste et heureux. Mais l’échec est indispensable, il doit être l’occasion d’un rebond. Dans mon entreprise par exemple, quand une erreur a été produite, j’en discute avec la personne concernée et nous essayons ensemble d’en tirer les conclusions nécessaires.

 

Pourquoi le luxe français ne déçoit-il jamais ?

GA : Je vais tempérer cette idée. Oui, le luxe français séduit toujours, mais on ne sait plus où produire ! Prenez les grands noms du luxe, ils ont de plus en plus de mal à trouver des fabricants à la hauteur de leurs ambitions. Ce n’est pas pour rien qu’Hermès a racheté en 2013 la Tannerie d’Annonay, l’un de ses fournisseurs historiques, spécialiste de la peau de veau tannée au chrome. L’Italie a su garder les savoir-faire que nous avons perdus. Alors, soyons vigilants !

RF : Les Français ont un problème avec le luxe. Pour eux, le luxe est réservé aux Américains, aux Chinois, aux Russes, pas pour eux ! Mais pourquoi ? Un produit de luxe représente certes un investissement important, mais c’est un produit durable et non jetable. Nous avons des clients, pas forcément fortunés, qui vont économiser pour s’offrir une paire de chaussures à 400 euros, parce qu’ils savent qu’elle va durer. Selon moi, le luxe est un état d’esprit avant tout. Qui ne se sent pas valorisé quand il porte de belles choses sur lui ? Nous devons redonner ses lettres de noblesse au luxe en France. Un beau produit de luxe, ce n’est pas forcement de la dorure et des paillettes, cela peut être discret et élégant. C’est cela le vrai luxe !

 

Le Made in France, un luxe ou une nécessité ?

GA : Une nécessité absolue ! Je pars en Chine prochainement, car Smuggler a été choisi pour être exposant sur le pavillon français qui s’ouvre bientôt à Shanghai. Ce qui les intéresse, c’est que l’on fabrique réellement en France. En Asie, il y a une vraie appétence pour les produits Made in Europe. A terme, ce sera un grand bouleversement. La Chine commence à s’éduquer à la culture du beau. Aujourd’hui, les Chinois achètent encore des étiquettes. Demain, ils voudront consommer des produits de luxe fabriqués en Europe, surtout en France. A nous de jouer !

RF : C’est une évidence ! Chez Paraboot, nous ne nous sommes jamais posé la question en ces termes car nous avons décidé depuis toujours d’être Made in France. Cela ne nous a pas empêchés d’aller voir ce qui se faisait en Inde, au Vietnam, en Chine… mais finalement nous nous sommes dit que nous voulions rester en France. Nous aimons notre région, nous allons nous battre pour rester en France ! Pourtant, l’Etat ne nous aide pas. Certains jours, il faut vraiment y croire ! Mais la France continue de faire rêver à l’étranger. Un jour, lors d’un voyage d’affaires, des Chinois m’ont demandé de leur montrer l’usine sur une carte et ils m’ont dit : « Surtout, ne vendez pas à un groupe qatari, restez Français ! ». L’Asie cherche du Made in France et l’histoire qui va avec. Aujourd’hui, si produire en France reste un défi, c’est aussi un gage de qualité pour une clientèle fidèle. Nous réalisons 90% de la valeur ajoutée en France. Sur les 260000 paires de chaussures que nous commercialisons, 130000 sont fabriquées en Isère. Les autres, notamment les mocassins d’été, sont produits en Espagne et en Italie. Mais nous avons relocalisé l’été dernier la fabrication des chaussures de sport sneakers, jusqu’alors réalisées au Portugal.

 

Quelles sont les personnes qui vous inspirent ?

GA : A titre personnel, j’ai toujours été très inspiré par ma grand-mère, qui m’a élevé. Elle n’avait pas beaucoup de moyens mais elle regardait toujours les étiquettes et accordait beaucoup d’importance à la provenance des produits. Pour elle, acheter un produit français était un gage de qualité, une question d’éthique, la volonté de faire perdurer un savoir-faire en France. J’ai pris le relais !

RF : Les personnes qui m’ont marqué dans ma carrière avaient en commun un bon sens inné et de la clairvoyance. Des personnes pas faciles à gérer au quotidien, mais au fond très ouvertes. J’ai également toujours admiré les grands patrons d’industrie et notamment Christophe de Margerie, l’ancien patron de Total tragiquement décédé, qui s’est battu pour améliorer le futur et a participé au rayonnement de la France..

 

 

Propos recueillis par Anne Diradourian

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