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L’économiste réformateur Patrick Artus livre sa vision du danger à ne pas juguler l’inflation qui ne demande qu’à s’envoler.

 

Le directeur de la recherche et des études chez Natixis, établissement financier filiale de la BPCE, est devenu le porte-parole d’un système capitaliste selon lui capable de franchir toutes les crises (qu’il a engendrées) mais dont il ne se lasse pas d’analyser les dérives « néolibéralistes » pour les combattre. Ses derniers ouvrages (lire encadré) constituent à la fois une critique et une thérapie.

 

Je vous ai comparé récemment à un écothérapeute qui donnez des conseils précis aux politiques qui nous gouvernent. Mais les dirigeants d’une nation sont-ils·elles à leur tour des thérapeutes ?

Votre question revient à poser la question de savoir qui est l’assureur en dernier recours. Aujourd’hui, le débat porte sur l’indexation des salaires face à l’inflation. Si cette indexation ne se met pas en place, l’assurance contre la perte de pouvoir d’achat provient de l’État sous la forme de plans de soutien aux revenus. Si les salaires sont indexés, c’est l’entreprise qui joue les assureurs. Quel est le mieux ?

 

Quelle est votre analyse de l’inflation ?

La question et la réponse diffèrent selon que l’on parle de la France et de l’Europe ou des États-Unis. Aux États-Unis, 80 % de l’inflation ont pour origine les salaires, même si le choc inflationniste de départ fut comme partout l’explosion des coûts de transport et d’énergie. Mais très rapidement, les salaires ont réagi à ce choc. Si, aujourd’hui, l’inflation se monte à 8,3 % outre-Atlantique, la part des salaires augmentés compte pour 6 % quand moins de 2,5 % sont liés aux matières premières au sens large. C’est une inflation endogène. En Europe où l’inflation atteint 7,5 %, les salaires comptent pour moins de 3 et un gros 4,5 s’explique par les matières premières. C’est une inflation essentiellement exogène. D’où ce constat que la Banque centrale européenne n’a guère de raison d’agir faute d’action sur les matières premières. La différence entre les États-Unis et l’Europe est que les premiers produisent leur énergie quand l’Europe l’importe. L’argent que déboursent les Américains rentre dans la poche d’autres Américains quand nous payons l’Opep et la Russie, des devises perdues.

 

La charge de l’inflation aux États-Unis porte donc essentiellement sur les entreprises, sur les États dans la zone Euro…


Mais il est peu probable que dans la zone Euro, les salarié·es n’obtiennent pas progressivement une compensation de la perte de leur pouvoir d’achat. Plus ou moins rapidement selon les négociations engagées dans les pays. De quoi se rapprocher de la composante inflationniste américaine. Impensable de conserver des salaires à 3 contre 7,5 % d’inflation en Europe, 5,5 en France. Insupportable.

 

Vous écriviez dans un précédent ouvrage qu’il existait déjà un problème de pouvoir d’achat en France avant la survenue de l’inflation.

Oui. Il s’est amplifié avec la hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires – nous n’en sommes du reste qu’au début, et il est du reste plus difficile de se priver d’alimentation que d’énergie.

 

Que faire ?

On ne va pas augmenter tous les salaires, ils ont suivi la productivité, sans anomalie. D’où le besoin de se concentrer sur les plus bas salaires sans tomber dans l’opinion erronée de certains économistes qui pensent qu’une telle augmentation détruirait les emplois peu qualifiés. Or ces bas salaires ne sont pas soumis à la concurrence étrangère – la restauration, le nettoyage, l’aide à la personne. Obtenir que telle branche fasse en sorte que toutes les entreprises qui en dépendent augmentent leurs salaires n’exposerait pas à une perte de clientèle. C’est un mouvement qui pourrait s’organiser techniquement.

 

N’est-ce pas générer une inflation par les coûts ?

C’est totalement dilué. Les salaires bas intéressent l’agroalimentaire, la distribution en partie, le nettoyage, l’aide à domicile, la restauration, ce qui reste une petite partie de l’économie. On verrait là se mettre en place une forme de solidarité par le privé. Si l’État augmente la prime d’activité, les bas salaires augmentent, avec eux les impôts, la solidarité passe par la chose publique, ce qui revient au même. Or toutes les enquêtes montrent que percevoir un salaire plus élevé pour son travail est mieux vécu qu’une aide de l’État. Affaire d’estime personnelle.

 

Dans votre dernier livre, vous préconisez que l’État s’attaque à l’inflation dès la première année plutôt que de laisser s’installer une inflation moyenne qui ne demandera qu’à s’aggraver. Est-ce toujours votre scénario privilégié ?

Oui, oui ! Je fais partie des économistes qui pensent que la tendance inflationniste est durable. Contrairement aux dires du gouverneur de la Banque de France, je ne pense pas que l’inflation, par des réglages fins, va s’estomper seule*. C’est du blabla. Nous sommes entrés dans un monde confronté à des raretés – énergie, métaux, production agricole, conteneurs, bonshommes ! – qui génère une inflation structurelle et non transitoire. Sans action, elle va empirer en spirale. On n’a rien à gagner à attendre. À 9 % en Allemagne, le gouverneur de la Bundesbank parle de situation « horrible ».

 

En période d’inflation à deux chiffres, les chefs d’entreprise augmentaient leurs prix tous les ans et les salaires indexés suivaient. Va-t-on revenir à un schéma de ce type ?

Sauf que les jeunes cadres n’ont jamais connu ce mécanisme depuis dix ans. Renoncer à faire baisser l’inflation serait très compliqué. À 4 ou 5 %, il faut indexer les salaires et donc générer un choc inflationniste triplé : passer de 2 à 11 % ? Pour ramener l’inflation à 2 %, les taux d’intérêt devront filer. Il existe une autre hypothèse qui serait que les autorités financières savent très bien que l’inflation risque de s’emballer et qu’il vaut mieux distiller les mauvaises nouvelles, rassurer. Augmenter progressivement les taux pour arriver rapidement à 5 % et espérer ne pas générer de panique. Le risque serait alors de créer un défaut de confiance à l’encontre de la banque centrale.

 

Les jeunes cadres et les jeunes chefs d’entreprise doivent-ils se préoccuper de leurs fonds de roulement soumis à un risque de taux d’intérêt élevés ?

Il faut optimiser la trésorerie, des entreprises comme des épargnants qui sont parvenus à une année de revenus en dépôts, ce qui n’a pas de sens. Détenir du cash sera coûteux, prendre des crédits de trésorerie aussi. On s’est laissé aller du côté des entrepreneurs sur la gestion des fonds de roulement. On va réapprendre. Mais gérer des fonds n’est pas passionnant.

 

Va-t-on appliquer vos « ordonnances » ?

Vous savez que la compétence, donc la formation, est pour moi primordiale, avec cette corrélation dans les pays de l’OCDE entre compétence et taux d’emploi. La France et l’Italie sont au plus bas. Nos compétences sont extraordinairement basses. Celles de nos enfants aussi. On cite l’enquête Pisa, moins le classement TIMSS qui révèle qu’en maths les jeunes Français sont 69e sur… 69 ! Dans la start-up nation ! C’est monstrueux. Mon message a été relayé par le Medef. J’espère que le·la prochain·e ministre de l’Éducation nationale en sera convaincu·e.

 

Comment analysez-vous le profil d’une Élisabeth Borne Première ministre ?

J’avais parié sur son nom. On la connaît très bien. Elle fait montre d’une vraie sensibilité sur l’environnement. Sur le marché du travail, elle a emboîté le pas de Murielle Pénicaud dans une vision sociale réformiste type Hollande II. Elle montre une sensibilité redistributive. Gauche réformiste ?

 

Propos recueillis par Olivier Magnan

 

Sommaire :

  1. La France au défi du plein-emploi
  2. La hausse des salaires ou le triomphe du « oui, mais… » 
  3. « L’inflation est structurelle, non transitoire »
  4. L’inflation incendie toutes les Bourses
Le doyen de la tribu. Ai connu la composition chaude avant de créer la 1re revue consacrée au Macintosh d'Apple (1985). Passé mon temps à créer ou reformuler des magazines, à écrire des livres et à en traduire d'autres. Ai enseigné le journalisme. Professe l'écriture inclusive à la grande fureur des tout contre. Observateur des mœurs politiques et du devenir d'un monde entré dans le grand réchauffement...

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