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1. Le salariat, encore hégémonique, s’essouffle

  1. Le salariat, encore hégémonique, s’essouffle
  2. Ces indépendants à la poursuite du bonheur
  3. Salariat, ils ne veulent que ça
  4. Mapping de l’innovation : le salariat dans un monde nouveau

Et si on travaillait autrement? La France de 2022 ne rêve plus d’horaires fixes, de salaire prédéfini (à la virgule près), de congés posés plusieurs mois à l’avance, de hiérarchie et donc de N+1, de contrat à durée indéterminée (CDI) – pourtant le graal sur le marché de l’emploi. Bref, le salariat serait presque devenu ringard pour un bon nombre de Français·es. Et pour celles et ceux qui ne jurent que par lui, c’est parce qu’il rassure… plus qu’il ne fait vibrer!

La France a la bougeotte. L’an passé, en 2021, le pays a connu 996 000 créations d’entreprises, selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Quasi le million, un record absolu. Le nombre de créations d’entreprises se révèle supérieur de près de 80 % à son étiage moyen sur la période 2010 à 2017. Ce coup de punch, en 2021, s’explique en grande partie par le boom des microentreprises (+17 %). La pandémie n’a pas freiné les projets des ménages français. Elle a même accéléré le processus. L’on n’a jamais autant parlé de reconversions et de démissions que lors de cette ère Sars-CoV-2. L’entrepreneuriat a la cote. Même si, dans les chiffres, son « concurrent », le salariat, marque toujours son hégémonie.

Le salariat s’essouffle

Plus de 26,5 millions de salarié·es (hors intérim) au premier trimestre 2022 sur le sol français. Le constat est implacable : le salariat reste en France ultra-majoritaire. « Voilà sans doute le principal paradoxe, le salariat fait l’objet de fortes critiques ces derniers temps, mais le taux de salarié·es reste stable depuis 20 ans, environ 90 %, pour 10 % d’indépendant·es », remarque Olivia Chambard, sociologue spécialisée dans l’éducation, la formation et l’emploi. Alors, oui, l’on a constaté un sursaut ces dernières années des indépendant·es, plus nombreux·ses, mais de là à regarder le salariat dans le blanc des yeux… Toujours pas d’équilibre.

Alors, les salarié·es français·es, sujets à syndrome de Stockholm? « On a cette impression que le salariat traverse une crise car le discours lié à l’insatisfaction du modèle progresse […] L’on remet parfois en cause son statut de salarié sans pour autant passer à l’acte et démissionner », analyse Olivia Chambard. D’abord le discours puis la concrétisation. Nous serions, globalement, dans la première phase, ce qui signifie bien que quelque chose se prépare. Car, oui, les bilans de compétences, eux, sont bel et bien en hausse. Mais les success stories mises en avant par les médias, les reconversions 360 degrés – vous savez, l’ancien banquier d’affaires devenu petit commerçant dans le Gers – sont plus rares et relèvent de trajectoires individuelles. Mais, assurément, le salariat s’essouffle.

De l’autre côté de l’Atlantique, là où l’on a souvent un temps d’avance, la « Grande démission » est bien à l’œuvre – le « Big Quit », disent les Américains. Et pour preuve, en mars 2022, pas moins de 4,5 millions de salarié·es ont quitté leur emploi! Vagues de démissions dans les services professionnels, les services aux entreprises et dans le secteur de la construction, rapporte CNN. Aux États-Unis, les travailleur·ses franchissent clairement le cap (lire, p. xx, volet 4, l’analyse de Maxime Gouet).

C’est quoi le souci ?

Le salariat, pour qu’il fonctionne, repose sur un compromis: « C’est se mettre à disposition d’un employeur en contrepartie d’un salaire fixe, d’une protection sociale, d’une stabilité, décrit Olivia Chambard. Souci, les conditions de travail ne cessent de se dégrader ces dernières années, les statuts précaires se multiplient, comme l’intérim et les contrats atypiques, et les employeurs ont la possibilité de licencier plus facilement depuis la loi El Khomri de 2016 », pointe la chercheuse associée au Centre d’études de l’emploi et du travail. Autrement dit, le salariat ne rime plus forcément avec stabilité de l’emploi. Dès lors, pourquoi ne garder que cette relation de subordination?

En parallèle, la réduction du chômage et les tensions qui sévissent au sein de certaines filières – hôtellerie-restauration par exemple – tendent à, non pas à inverser, mais quelque peu à rééquilibrer le rapport de force entre salariat et employeur·ses. « On vit peut-être un moment de bascule, les salarié·es hésiteront moins à quitter leur poste d’autant plus que le marché de l’emploi joue en leur faveur, c’est-à-dire lorsque le taux de chômage est bas », relève Les salarié·es représentent cette année-là 82 % de la population active. Trente ans plus tard, les statistiques affichent 89 %.

En 2015, la France compte plus de 24 millions de salarié·es, contre seulement 2,6 millions de non-salarié·es. Le chiffre de 2022 du Fonds monétaire international recense 27,43 millions de personnes liées par contrat à une entreprise. Mais le changement est majeur: certains salaires se montrent très importants, bien plus que l’indemnité d’un président de la République. Les postes en CDI procurent pouvoir et prestige. Quant à la « constellation » des salarié·es moyens·nes elle « influence profondément l’ensemble de la société », écrit Olivier Marchand en 1998 dans Économie et Statistique, une publication de l’Insee. Olivia Chambard. En dehors des causes plus générales, le salariat séduit aussi de moins en moins des collaborateur·rices en quête de liberté.

Qui aspirent à plus d’horaires flexibles, de télétravail (du moins en avoir la possibilité) et plus de sens. « Ce n’est pas tant le fond qui est pointé du doigt, mais la forme, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles les salarié·es exercent leur emploi », explique la sociologue. Bref, les salarié·es en ont assez de passer leur temps à rédiger des comptes rendus et assurer toute la paperasse administrative au détriment de la réalisation de leur cœur de métier. Le contrôle croissant des tâches à assurer, dans un souci d’une meilleure productivité et rentabilité pour l’entreprise, pousse celles et ceux qui ont choisi le salariat à remettre en question ce qu’ils·elles accomplissent au quotidien.

Enfin, les secousses que subit le salariat proviennent aussi de la culture d’entreprise qui s’instaure à l’école. Les gouvernements successifs ont mis en place des politiques qui encouragent les jeunes à entreprendre, c’est le cas notamment du statut étudiant-entrepreneur, inauguré en 2014, lequel offre aux étudiant·es de bénéficier d’horaires de cours aménagés pour avancer, en parallèle de leurs études, leur projet entrepreneurial. Puis, avec Macron, on atteint l’aboutissement de cet esprit d’entreprendre : « L’heure de la start-up nation! » Alors, s’il veut perdurer et gagner la satisfaction de celles et ceux qui l’ont choisi, le salariat a intérêt à se renouveler. Donc, à écouter ce que les salarié·es eux et elles-mêmes lui réclament.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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