Temps de lecture estimé : 4 minutes

En France comme ailleurs, les discriminations dans le monde du travail en général et lors de l’embauche en particulier sont légion. De l’âge à l’apparence physique en passant par l’origine et tout le reste, les motifs de discrimination sont connus. Pour les combattre, quotas et discrimination positive ne suffisent pas et risquent même d’empêcher d’appréhender la pluralité des enjeux. Parmi les solutions qui reviennent : celle de l’anonymisation des CV n’a pas dit son dernier mot. Une proposition notamment portée par Jean-François Amadieu, président de l’Observatoire des discriminations.

Si les politiques publiques de lutte contre les discriminations dans l’entreprise s’accumulent (testing des entreprises, création d’un secrétariat d’État, plan national pour l’égalité des droits…), les discriminations, elles, persistent. Selon une enquête réalisée par Meteojob avec l’Ifop, le nombre de salarié·es qui disent avoir été victimes d’une discrimination durant le processus de recrutement a doublé entre 2001 et 2021. Un résultat à nuancer, car il résulterait davantage d’un changement des mentalités que d’une augmentation des discriminations en volume.

Autrement dit, on sait aujourd’hui mieux identifier les discriminations. Sans compter que celles-ci – et c’est tant mieux – sont plus souvent dénoncées. D’un point de vue plus empirique, il apparaît que certaines discriminations sont quasi inévitables au sein du marché du travail. Un constat corroboré par le Pr Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations et éminent spécialiste des inégalités à l’embauche : « Les études et les testings montrent qu’on atteint vite un niveau incompressible ! »

En somme, la sensibilisation et la formation des recruteur·ses est une chose, mais elle ne change pas la donne dans bien des cas. D’autant plus que les sources de discrimination sont nombreuses. « La particularité en France, c’est qu’il existe 25 critères de discrimination définis par la loi, ce qui est unique au monde », ajoute le professeur. Parmi ces motifs, deux se distinguent, comme les sources premières de discriminations à l’embauche, selon les déclarations des demandeur·ses d’emploi : l’âge et l’apparence physique. L’origine, que l’on pointerait spontanément comme le premier motif, complète ce triste podium, toujours selon les témoignages. Et les discriminations sur l’origine ou l’orientation sexuelle sont quantitativement plus faibles.

« Ces discriminations sur l’âge et l’apparence physique concernent des millions de personnes, leur impact est donc considérable. Le sujet majeur de la discrimination liée à l’âge, c’est celui des seniors. On ne peut pas faire partir des gens à 64 ou 65 ans alors que tout le monde sait qu’au-delà de 50 ans, les chances d’être embauché sont ridicules. Sur ce sujet, on se heurte à une véritable inertie », regrette le chercheur.

 

Inégalités sociales et discrimination

Sur le sujet de l’origine, le réflexe trop fréquent revient à rattacher la discrimination à l’origine nationale de la personne discriminée, ou à sa couleur de peau. Plutôt, la discrimination sur l’origine relève directement de l’origine sociale des individus. Comme le détaille le directeur de l’Observatoire des discriminations, « cette question de l’origine sociale est citée dans la convention de l’Organisation internationale du Travail (OIT), mais est anormalement négligée en France. Si vous allez sur le site du Défenseur des droits, il définit l’origine comme l’origine nationale. C’est une anomalie. En réalité, par origine, la convention C111 de l’OIT mentionne précisément l’origine sociale. »

En d’autres termes, les inégalités sociales sont une source de discrimination, et pas l’inverse. Si cette précision a de quoi paraître inutile, elle est pourtant très importante pour bien appréhender l’ensemble des enjeux des discriminations au travail et à l’embauche. Par exemple, la lutte contre la discrimination à l’école se préoccupe particulièrement de l’origine sociale des élèves et des inégalités induites par la profession des parents, le cadre de vie ou autres. Et des dispositifs sont mis en œuvre, en dehors de toute considération ethno-raciale, se concentrant sur les inégalités sociales (dispositifs pour l’égalité des chances, cordées de la réussite…). Mais, « paradoxalement, c’est quand commence la vie professionnelle que l’on cesse de mesurer les effets de l’origine sociale. Ce qui nous prive d’une vision plus réaliste », complète le Pr Amadieu.

Là encore, il est important d’examiner l’ensemble de la pluralité des motifs de discrimination qui ont tendance à se cumuler, pour ensuite adopter des solutions qui ne négligent personne. « Si l’on oublie des gens, la lutte contre les discriminations est mal comprise. Mieux vous comprenez les discriminations et leur pluralité, meilleure sera la solution déployée », affirme le chercheur.

 

La logique de l’anonymat

Les informations personnelles qui sont sur le CV, on ne devrait pas les utiliser et aucun recruteur ne peut justifier leur intérêt, si on assume de les utiliser, c’est illégal.

Parmi les solutions de lutte contre les discriminations, une proposition reste en suspens : l’anonymisation des CV et des processus de recrutement. Pour rappel, une loi de 2006 sur l’égalité des chances avait introduit le CV anonyme, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salarié·es. Loi qui n’a été abrogée qu’en 2015, remplacée par la loi Rebsamen, mais qui n’aura jamais appliquée, faute de publication du décret d’application durant la présidence de Nicolas Sarkozy. Une bêtise, selon Jean-François Amadieu, qui milite pour l’adoption définitive de l’anonymat et le justifie simplement : « Il existe des biais inévitables et souvent inconscients qui altèrent votre objectivité lorsque vous lisez un CV. Même avec les meilleures formations, les stéréotypes et les biais sont toujours là, personne ne peut prétendre ne pas être influencé. »

Selon le spécialiste, pas de doute, les informations personnelles sur le CV sont autant de sources de discriminations potentielles : « Elles créent une proximité ou au contraire un a priori sur le candidat. Il ne faut pas multiplier les informations, il faut en enlever. Les informations personnelles qui sont sur le CV, on ne devrait pas les utiliser et aucun recruteur ne peut justifier de leur intérêt. Si on assume de les utiliser, c’est illégal. » Outre-Atlantique, aux États-Unis, les CV n’indiquent souvent pas le sexe ni l’âge et les photos sont purement et simplement proscrites.

« Comment peut-on trouver qu’il est bien de multiplier les informations personnelles sur le CV ou même de faire des CV en vidéo comme on en voit désormais, quand on sait que le Code du travail prévoit que l’employeur ne collecte que des informations qui ont rapport avec le poste à pourvoir ? », abonde notre professeur, qui rappelle que nombre d’études académiques et de testings en Europe démontrent l’efficacité de l’anonymat dans la lutte contre les discriminations.

 

Les 25 critères de discrimination définis par la loi française :

  • L’apparence physique
  • L’âge
  • L’état de santé
  • L’appartenance ou non à une prétendue race
  • L’appartenance ou non à une nation
  • Le sexe
  • L’identité de genre
  • L’orientation sexuelle
  • La grossesse
  • Le handicap
  • L’origine
  • La religion
  • La domiciliation bancaire
  • Les opinions politiques
  • Les opinions philosophiques
  • La situation de famille
  • Les caractéristiques génétiques
  • Les mœurs
  • Le patronyme
  • Les activités syndicales
  • Le lieu de résidence
  • L’appartenance ou non à une ethnie
  • La perte d’autonomie
  • La capacité à s’exprimer dans une langue étrangère
  • La vulnérabilité résultant de sa situation économique

 

Problème, l’étude qui a motivé le refus de l’anonymat des CV par le gouvernement de Nicolas Sarkozy présente des résultats contraires. La raison ? Une méthodologie plus que contestable, tant scientifiquement qu’en termes d’honnêteté intellectuelle, qui a consisté à faire des tests auprès d’entreprises volontaires et prévenues de la démarche. « Cette étude était une commande pour enterrer le CV anonyme et qui a produit des résultats faussés. De quoi mener à des politiques de discrimination positive et de quotas. On a 25 types de discriminations en France, on ne va pas faire 25 quotas, ça n’a pas de sens », tranche Amadieu, convaincu de la logique de l’anonymat : moins de sources de discrimination et donc moins de discrimination. Implacable.

Adam Belghiti Alaoui

Sommaire :

  1. Ce qui se cache derrière l’écart de salaire entre femmes et hommes
  2. Discriminations à l’embauche, vers des CV anonymes ?
  3. Regarder le handicap invisible en face
  4. Des « genres » de travail

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.