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Céline et Pierre sont partis sur un pied d’égalité lorsqu’ils ont chacun créé leur entreprise. Mais ils ont opté pour des solutions de financements différentes au fil des années, et ont donc connu des fortunes diverses. Petit tour d’horizon des alternatives et de leurs avantages/inconvénients.

Céline et Pierre ont au moins un point commun : le virus entrepreneurial qui, un beau matin, a changé leur vie. Une idée séduisante, une volonté farouche de rouler pour son compte, et voilà les deux aventuriers embarqués dans un pari de long terme. Reste à régler la question épineuse du financement de l’activité qui, ils le savent bien, décidera de leur sort. Et effectivement, ce volet expliquera en grande partie la success story de l’un, le parcours du combattant de l’autre…
A 24 ans, fraîchement diplômée de son école d’ingénieurs, Céline compte fermement donner vie à une idée qui a germé pendant son stage de fin d’études. Son projet : la conception de sièges d’avion du futur, modulables, multi-positions, truffés de gadgets, dans des matériaux composites nouveaux ultralégers. Un potentiel immense. L’allègement des structures des aéronefs est une véritable obsession dans le secteur aéronautique, en raison de la nécessité de diminuer les consommations de carburant, tout comme le développement des offres haut de gamme au sein des compagnies aériennes, désireuses d’attirer les portefeuilles de mieux en mieux fournis des nouvelles classes moyennes et riches des pays émergents. La grande modularité des sièges imaginés par Céline, permettant d’adapter en un temps record l’aménagement intérieur à l’évolution de la demande (nombre de places attribuées en classe Affaire, Premium, économique), est un énième atout.
Le marché convoité par Pierre est moins technologique mais également prometteur. Lassé par 20 années de salariat, il quitte son poste et lance une activité de distribution en ligne de fournitures et mobilier de bureau haut de gamme, ciblant les avocats, médecins libéraux, conseillers en gestion de patrimoine, banquiers privés et plusieurs professions libérales. Bref, tout cet univers pour qui l’ostentation et l’apparat constituent des armes de séduction massives. Comme Céline, il n’a pas de fonds, et doit trouver des financements rapidement pour déployer son offre. Pour les deux dirigeants en herbe, les expressions « crise économique » et « restrictions des crédits » reviennent comme un mauvais refrain dans la bouche des banquiers visités. Commence alors une quête longue et incertaine, avec une première question cruciale : vers qui se tourner pour y voir clair ? « Bpifrance (Banque publique d’investissement) dispose de nombreux fonds et dispositifs variés. Chacun peut trouver chaussure à son pied. Il existe également Sémaphore, un moteur de recherche très intéressant mis à disposition par le réseau des Chambres de commerce françaises. En quelques clics, on peut obtenir la liste des soutiens et financements potentiels adaptés à son profil d’entreprise », indique Eric Picarle, Associé du cabinet BDO spécialisé dans l’audit, le conseil, et l’expertise comptable.
Convaincre à partir de rien
Céline songe d’abord aux business angels (BA) pour mettre sa start-up sur les rails, ces derniers affectionnant les projets encore dans l’œuf. Deux tiers d’entre eux accompagnent des entreprises existant depuis moins de trois ans. Ils constituent une option intéressante car ils prennent à leur charge tout le risque de l’investissement. Aucun remboursement n’est à envisager en cas d’échec. Mise à part leur capacité à fournir du cash, ils investissent généralement dans un domaine dont ils connaissent les rouages et les enjeux, fournissent ainsi une expérience, une expertise et un carnet d’adresses qui peuvent s’avérer précieux. En somme, ces financeurs peuvent devenir de véritables partenaires de travail. Mais avec quelque 100000 euros d’investissements possibles auprès de plusieurs sources, l’option devient rapidement peu convaincante pour financer la facture initiale salée du projet de la jeune femme. Des équipements et matériaux spécifiques lui sont nécessaires, il faut des machines-outils onéreuses, tenir compte de nombreuses heures de travail en R&D.
Un Crédit Impôt Recherche (CIR) et un Crédit Impôt Innovation (CII) allègent quelque peu ses coûts, à hauteur de 30% et 20% des dépenses de recherche et d’innovation. Mais entre la constitution du dossier et le délai d’attente auprès des services fiscaux, la trésorerie ne sera pas renflouée de sitôt. Céline obtient sans mal le statut Jeune entreprise innovante (JEI) et son lot d’exonérations avantageuses. Intéressant, mais seul un montant sensiblement plus élevé de la part des BA ferait vraiment la différence. « Ces investisseurs sont des interlocuteurs pertinents et adaptés dans de tels cas, mais une des réalités en France est qu’ils restent peu nombreux, même si la situation évolue. Les montants accordés peuvent alors être bien en dessous des espérances », regrette Eric Picarle.
La piste des BA n’est pas non plus concluante du côté de Pierre, pour des raisons différentes. « Ils jettent plutôt leur dévolu sur des sociétés scientifiques ou technologiques à fort potentiel, synonymes d’effet de levier important pour les sommes misées », poursuit Eric Picarle. Pour autant, le jeune chef d’entreprise trouve le sourire grâce à l’obtention rapide d’un Prêt à la création d’entreprise (PCE) de 6000 euros. Malheureusement, le seul recours à un photographe pour la réalisation de visuels de qualité de ses dizaines de produits suffit à effacer ce montant. Il se tourne ensuite vers les plateformes de crowdfunding auprès desquelles il obtient quelque 4000 euros. Pas vraiment l’alternative rêvée qu’il recherchait pour compléter le maigre prêt bancaire auquel il a eu droit. « Il n’y a pas de domaines d’activité interdits pour prétendre au crowdfunding. L’essentiel est d’avoir un projet séduisant. Le problème est que les montants récoltés peuvent être faibles », indique Eric Picarle. Autre écueil du crowdfunding : « Un projet peut être très prometteur et obtenir malgré tout des fonds très faibles, simplement parce que l’intérêt est difficile à cerner pour le commun des mortels ou que l’idée concerne une activité de niche », constate Eric Félix-Faure, directeur de la société Aelios Finance, spécialisée dans les solutions de financement des entreprises.
Du côté de la banque, toujours la même frilosité. On estime que l’activité n’est pas des plus prometteuses en raison du « positionnement risqué », du « contexte d’exercice » des clients potentiels qui est plutôt à la réduction des coûts, et de la « concurrence accrue » sur ce créneau. Pierre affiche un enthousiasme en demi-teinte. Ne pouvant se soustraire aux dépenses de prestations informatiques et au règlement des fournisseurs, il est contraint de voir son budget de communication à la baisse, pourtant bien conscient que son apparition dans les revues spécialisées, les supports de luxe, et sa présence sur les salons sont indispensables. Son activité démarre très (trop) lentement.
Des étapes clés, des passages à éviter
Céline aurait pu opter pour les Sociétés d’investissements des business angels (SIBA), qui permettent d’ouvrir plus largement le portefeuille des investisseurs lors d’un tour de table et de faciliter les refinancements. Au sein de France Angels, la fédération qui rassemble 80 réseaux et plus de 4000 business angels, environ 20% des montants mis sur la table par les membres proviennent des SIBA. Mais elle comprend vite que sa société a le profil type pour attirer les professionnels du capital-risque. Ces derniers financent le plus souvent de jeunes sociétés innovantes en très forte croissance, qui n’ont parfois que quelques mois d’existence, et qui ont la particularité de pouvoir atteindre en seulement cinq à huit ans la barre des 25 millions d’euros de chiffre d’affaires. Parmi les secteurs cibles de ces financeurs aux gros portefeuilles, on peut citer les technologies de l’information et de la communication, les biotechnologies, le développement durable et… l’aéronautique !
Quelques clics sur le site Internet de l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC), une consultation de l’annuaire de ses membres, et elle découvre les mannes impressionnantes auxquelles elle peut prétendre. Viennent ensuite quelques semaines de rendez-vous judicieusement pris par son conseiller en levée de fonds, la constitution d’un solide dossier mentionnant la mine d’or que prépare Céline, et voilà que la jeune patronne empoche un chèque de 2,5 millions d’euros. Certes, l’opération n’était pas gratuite. La société de conseil intermédiaire a réclamé 7 000 euros d’honoraires et 5% de la levée réalisée. « C’est une étape qui représente une dépense importante, douloureuse. Mais son rôle est tellement crucial pour l’avenir que négliger le travail d’un conseiller compétent serait une erreur. Rappelons que ce dernier connaît l’actualité des fonds, ceux qui attendent d’investir, ceux qui misent sur tel ou tel secteur. Un travail d’identification essentiel », estime Eric Félix-Faure. Le savoir-faire de Céline va enfin pouvoir être déployé comme elle l’espérait. Les équipements dont elle a besoin étant particulièrement chers à l’achat, elle opte parallèlement pour le crédit-bail. « Une bonne idée, assure Eric Picarle. S’acquitter d’un loyer plutôt que d’une forte dépense lorsqu’on est une jeune entreprise innovante constitue un choix d’autant plus pertinent quand il s’agit de matériels ou de machines-outils onéreuses qui ne perdent pas ou peu leur valeur au fil du temps. »
Pendant que Céline emmagasine de la confiance, Pierre se crispe. Après 18 mois difficiles, il contracte un nouveau mini-prêt à la banque, obtenu au forceps. Conséquence des financements accordés au compte-goutte : Pierre ne dispose toujours pas du budget publicitaire dont il aurait absolument besoin. Il décide de se tourner vers la puissance publique. Il frappe à la porte de Réseau Entreprendre, Initiative France, France Active, et finit par obtenir un prêt d’honneur par le biais de ces organismes. Aucune garantie n’est exigée. Heureusement, car il en a très peu. 20000 euros, remboursables sur quatre ans, au taux très apprécié de 0%. Pas la panacée, mais de quoi soulager quelque peu sa trésorerie et l’évolution de son projet. Les investissements immatériels comme la publicité, cruciale pour faire décoller ses ventes, pourront être un peu mieux honorés. Soucieux de renforcer encore davantage sa trésorerie et son fonds de roulement, il opte également pour un crédit fournisseur. Un délai lui est alloué pour le règlement des fournitures. Problème : après quelques mois, il se rend compte du mauvais calcul que cette solution peut représenter. Il n’obtient plus les rabais, remises, et ristournes auxquels on bénéficie traditionnellement auprès d’un partenaire commercial régulier. Plus embêtant encore, il se retrouve en situation de dépendance vis-à-vis de ce dernier. « Cette option de financement de court terme est souvent un réflexe à éviter. Même si elle paraît séduisante, elle consiste à entrevoir l’avenir avec les mains liées », estime Eric Picarle.
Fortunes diverses
Céline jubile. Son capital-risqueur aussi. Alors que ses quatre années d’engagement arrivent à leur terme, il vient de multiplier sa mise par 20. Les industriels de l’aéronautique adhèrent pleinement à l’innovation de rupture de la jeune ingénieure, et la visibilité obtenue lors du Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace du Bourget n’a fait que booster l’enthousiasme des professionnels du secteur. Les ventes explosent, les carnets de commandes se remplissent bien plus vite que prévu. Pour honorer la forte demande, Céline doit gonfler rapidement ses capacités de production. Sa banque se montre désormais plus encline à l’accompagner en lui accordant un crédit, mais « compte-tenu des investissements massifs à réaliser à court terme, c’est surtout le recours au capital développement qui va changer le visage de l’entreprise », lui explique son conseiller en levée de fonds.
Les entreprises de capital-développement accompagnent des dirigeants qui souhaitent propulser leur structure à un échelon supérieur. Cette solution finance des projets de croissance de PME déjà établies, qui ne veulent ou ne peuvent pas recourir à un fort endettement pour des raisons de taille trop modeste, ou qui se retrouvent excessivement exposées à des risques sectoriels spécifiques. Près de 95% des investissements en capital-développement sont inférieurs à 15 millions d’euros. Bon nombre de financeurs de ce type ciblaient par le passé des sociétés d’au moins cinq ans d’existence, dont le chiffre d’affaires atteignait cinq millions d’euros au minimum, et dégageant un bénéfice net d’au moins 5%. Aujourd’hui les critères sont beaucoup plus souples. De nombreux fonds de capital-risque se sont orientés au fil des dernières années vers le capital-développement. Sans difficulté notable, Céline et son conseiller obtiennent une enveloppe de huit millions d’euros pour accompagnement sur six ans. De quoi acheter et équiper un vaste site de production. La success story s’écrit désormais à grande vitesse.
La dirigeante songe un temps aux marchés boursiers et aux montants alléchants qu’ils permettent de lever. Mais les mises en garde lui font vite abandonner l’idée. Avec ce type de solution, la fréquence de la communication financière réglementée et l’implication personnelle du chef d’entreprise consomment une partie non négligeable du temps disponible. Celui-ci est aussi soumis aux objectifs de rentabilité de court terme d’une multitude d’investisseurs boursiers. A l’inverse, les professionnels du capital-investissement apportent généralement en même temps que leurs fonds une assistance stratégique de proximité et bénéfique au projet d’entreprise, grâce à la diversité de leurs compétences et de leurs réseaux. Ils fournissent aussi une vision et un engagement qui permettent de faire face ensemble aux aléas économiques et sectoriels.
Au fil des années l’activité de Pierre n’a pas du tout suivi le même cours. Celle-ci piétine toujours, et les remboursements successifs compliquent fortement ses perspectives. Nouveau choix stratégique pour donner de l’air à sa trésorerie : l’affacturage. « Un choix intéressant pour trouver des fonds à court terme, d’autant plus judicieux lorsque l’activité implique une grande quantité de factures à gérer », souligne Eric Félix-Faure. C’est précisément la configuration de Pierre. Malheureusement, si le nombre de commandes à traiter est important et à l’origine de contraintes chronophages, leur montant est faible. Même avec les conditions avantageuses qu’il obtient auprès de son factor (il verse à Pierre 90% de ses créances sous 24 heures, contre une commission de 0,60% des montants cédés), le véritable tremplin pour son entreprise se fait toujours attendre.
Article réalisé par Mathieu Neu