Business : Ne venez pas comme vous êtes

"Si avec ça je n'arrive pas à m'intégrer..."

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Faire des affaires au Brésil sans s’adapter au contexte, c’est la croix du Corcovado et la bannière…

Quand je suis arrivé ici, j’ai tout de suite recherché des opportunités de business. Mais les Brésiliens comme les étrangers m’ont tous dissuadé de sauter le pas, parce que c’était « trop compliqué » », se souvient Emmanuel Guinet, entrepreneur qui a malgré tout monté Autobid aidant à la revente de flottes de véhicules. La raison de cette pusillanimité ? Le fameux embrouillamini administratif et fiscal. La séparation des systèmes « federal » (gouvernement de Brasilia), « estadual » (de l’ordre de l’Etat), et « municipal » complique la donne pour les entreprises comme pour les particuliers, qui paient parfois une partie d’impôt par ci, une autre par là. Des démarches si complexes qu’elles en laissent perplexe. « Ne nous leurrons pas, le but de ce flou artistique entretenu par le législateur est d’engranger toujours plus de taxes et d’impôts », résume Yasmina Diouri, responsable contrôle de gestion chez Latécoère, sous-traitant d’Airbus ou d’Embraer. Arrivée en 2012 à São Paulo, cette jeune Française a aussi connu la rudesse de l’expatriation à cause des obstacles administratifs. « Personne ne connaît la loi. Au bout de 11 mois mon mari a dû changer de visa pour que je puisse travailler. Son entreprise a accepté malgré les frais supplémentaires occasionnés. Dans les équipes il faut intégrer un profil spécifique qui fait accélérer les démarches administratives, au risque de se perdre dans les méandres. »

Management gap

Mais le plus grand choc pour tout Français souhaitant s’expatrier sous ces latitudes plus clémentes se situera dans le management. « A São Jose dos Campos (ville de business située à 72 km de São Paulo, ndlr) nous avons assisté à plusieurs cas de départs de managers occidentaux, parce qu’il ne sont pas parvenus à s’adapter au contexte brésilien », observe Johann Wasserer, CFO de la filiale LM Farma, filiale de Vivasanté qui regroupe les marques Urgo, Mercurochrome ou Juvamine. Le DG d’Ericsson Brésil a dû par exemple faire face à des mouvements sociaux en réaction à son comportement. Les causes de ces hiatus ? La difficulté à critiquer les équipes comme en Europe. Le Brésilien se braque très facilement et fait preuve de sensibilité. Mieux vaut passer par la phase d’incentive et de compliments avant d’aborder les aspects qui fâchent. « L’erreur suprême est de faire des reproches à un manager devant ses subalternes, car ce serait lui faire perdre la face », illustre Johann Wasserer. Manque de chance, les Français ont la critique facile. « Nous regardons en priorité ce qui ne va pas », ironise Yaelle Boquet, directrice trésorerie chez Carrefour Brésil. La brusquerie directe du manager aboutit donc généralement au pire scénario pour l’entreprise : la bouderie du salarié qui rentre dans sa coquille et s’en tient au strict minimum. Le conflit est rare « parce que les Brésiliens ont généralement un respect excessif pour la hiérarchie, ne disant jamais à leur chef qu’il fait fausse route… Avec pour corollaire une prise d’initiative réduite à la portion congrue », déplore Johann Wasserer. Enfin la rigueur n’est pas leur point fort, des frictions surviennent donc à cause de l’exigence occidentale de planification et de reportings précis. Les délais dépassés et les coûts supplémentaires occasionnés lors des travaux pour la Coupe du monde en sont une triste illustration. « Ils les finiront quoi qu’il arrive, en trouvant un système D au dernier moment. Les gens aiment faire les choses à la dernière minute, et arrivent généralement à leurs fins à l’aide d’une astuce. Le « jeitinho » est un comportement culturel de tous les instants en entreprise », soutient Yaelle Boquet. Pour les Brésiliens le management dans les filiales françaises est donc direct, difficile, assez politique. « Ils ne supportent pas les slides à répétition pour justifier d’une décision, se rapprochant en cela des Américains qui accordent leur confiance rapidement », précise Johann Wasserer. Mais le grand pays lusophone d’Amérique latine a aussi ses atouts.

Dynamisme à toute épreuve

Le bon caractère spontané des Brésiliens en fait en revanche d’excellents commerciaux, plutôt business friendly. Très volontaires, ils cumulent souvent travail et cours du soir. « L’icône de la paresse, née de l’image nonchalante et du fameux « tudo bem », est à brûler sur le bûcher des clichés. Ceux-ci bénéficient de quatre semaines de vacances par an, mais souvent n’utilisent pas leur quota », précise Yasmina Diouri. Volontariat et optimisme semblent inscrits dans leurs gènes. Du pain béni pour toute entreprise comme le confirme Johann Wasserer : « Ils ont sans cesse envie de faire bouger les lignes, ne rechignent pas à la tâche, ne se limitent pas à leur fiche de poste et s’inscrivent facilement dans des projets ». Guidés par une foi en l’avenir, à la limite de l’insouciance parfois, les Brésiliens sont des consommateurs invétérés, quelle que soit leur classe sociale. Ils ont connu l’hyperinflation et s’empressent donc de consommer. « Autant de traits positifs, combinés au fait que ce pays émergent présente des retard dans de nombreux domaines, qui sont autant d’opportunités pour les entrepreneurs », insiste Emmanuel Guinet. Mais pour réussir les entreprises comme les hommes occidentaux doivent accepter de « se tropicaliser », sous peine d’échec cuisant. EDF, après avoir racheté Light dans la distribution d’électricité, a dû se retirer au bout de deux ans à peine sans jamais avoir pu imposer ses process. En revanche Carrefour, Casino, Décathlon ou Leroy Merlin se sont imposés en se fondant dans le paysage. Message reçu cinq sur cinq pour Emmanuel Guinet, qui malgré les dissuasions de son entourage, s’est lancé dans une autre aventure avec deux associés : une nouvelle société qui propose une prestations de e-commerce et de logistique à de grandes marques étrangères comme Ray-Ban.

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