Après le télétravail, réapprendre à travailler sur site

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Salons des achats et environnement de travail et Workspace expo

Surprenant mais vrai, le retour au bureau n’est pas simple. Hors les salarié·es pas demandeur·ses du tout d’un isolement à domicile, ceux et celles qui ont trouvé bien des attraits au travail chez soi ont du mal à revenir dans des bureaux qui ont changé de nature. Il s’agit désormais de remotiver des cadres et des employé·es, parfois au nom de méthodes très… « scolaires » !

« Il n’y aura plus de nombre de jours minimal imposé aux entreprises pour le télétravail. » La ministre du travail Élisabeth Borne a balayé d’un revers de main fin août le protocole sanitaire en place depuis plus d’un an et demi. Fini le télétravail « fortement conseillé » avec un ou plusieurs jours de retour en présentiel possibles pour les salarié·es qui font la demande. La consigne est claire, le retour à son poste de bureau est « obligatoire ».

« L’annonce a été un peu rapide dans notre bureau, confie Delphine, cadre administrative. Du jour au lendemain, il a fallu reprendre le chemin du travail en présentiel et retrouver les transports. » L’année et demie écoulée a été vécue différemment selon les salarié·es. Certain·es ont apprécié le vent de liberté offert par des périodes de télétravail, la possibilité d’échapper au train-train quotidien et de gérer son temps comme ils et elles le souhaitaient, quand d’autres subissaient l’isolement dans des espaces de vie parfois trop petits pour se révéler épanouissants.

Le télétravail a produit des impacts parfois durables sur les modes de vie des employé·es. L’association nationale des directeurs et directrices des ressources humaines (ANDRH) a mesuré que 30 % des DRH étaient confronté·es à des salarié·es qui avaient carrément déménagé, en demande d’un aménagement de leur temps de travail pour éviter les longs trajets…

Reste la question de l’accompagnement au retour au bureau. Quand le métro-boulot-dodo redevient la norme, un challenge de taille s’impose aux managers : donner l’envie de revenir. « Le plus important dans la période de retour au travail, c’est véritablement le dialogue entre managers et équipes, analyse Adrien Fender, senior manager chez Stimulus, un cabinet de conseil sur le bien-être au travail. Les situations des salarié·es sont différentes d’une entreprise à l’autre, d’un service à l’autre et parfois au sein du même service, il faut donc se montrer à l’écoute des problématiques. »

Donner envie de revenir !

En conseillant plusieurs entreprises confrontées à des salarié·es réfractaires pour un retour au travail, Fender a bien cerné l’attrait du télétravail. « Il représente une situation de confort. La possibilité de faire ses courses à 16 heures, de choisir ses horaires de pause, etc. » Pour lui, il ne faut absolument pas forcer les salarié·es qui n’en éprouvent plus le besoin ou la nécessité à revenir au bureau à tout prix. « La clé, c’est d’organiser des événements présentiels qui leur donnent envie de revenir. Sur place, il faut qu’ils·elles vivent une expérience stimulante sur leur lieu de travail. En en cas d’absence, leur parler de ce qu’ils ont manqué pour avoir des regrets. » Surprenant, presque « scolaire », mais efficace…

En clair, dans cette phase de retour au travail, le but pour les managers est de créer une véritable fear of missing out chez leurs collaborateur·rices, le fameux syndrome de la peur de passer à côté du moment de sa vie.

Le retour au bureau dans l’ère post-covid pose obstinément la question du bien-être au travail. « Il est important que les salarié·es vivent une véritable expérience au bureau, que les employeurs leur proposent des petits “plus” qui les motivent à revenir, animations, cours de yoga, sport. Il faut que pour eux·elles le travail soit le lieu d’une nouvelle expérience qui les coupe du télétravail », insiste le bien nommé expert Stimulus. Au nom d’un important paradoxe : « Aujourd’hui, lorsque des salarié·es retournent sur leur lieu de travail, il arrive souvent qu’ils·elles retrouvent les mêmes réflexes acquis en télétravail : réunion en visio, échanges par mails ou tchat, etc. Le plus important, c’est donc qu’ils·elles vivent autre chose sur leur lieu de travail. » Des moments de détente, de convivialité, de fête également. Le tout est de ne pas générer chez eux et elles le sentiment d’avoir perdu une journée que l’on aurait pu passer chez soi en télétravail.

Un appétence de bureau personnel contre les open spaces

Cette analyse de quasi-enfants gâté·es, Laurent Botton, organisateur du Salon des achats et de l’environnement de travail, la partage : « La dimension informelle a fortement disparu avec le télétravail, les échanges entre collègues se faisaient bien souvent uniquement pour le travail par mail et messages instantanés, d’où des situations de mal-être qu’il va falloir démonter. » Ces échanges informels, textuels ont pu parfois faire naître des tensions entre les gens. Formalisées par l’ANDRH. On lit, dans le mémo que l’association a consacré à l’accompagnement au retour au travail, ce conseil aux services RH : « Analyser les conflits exacerbés par la distance. » L’absence d’emojis dans un message, une tournure de phrase un peu brusque ou la mise systématique en copie des mails des n +1 ont parfois été sources d’agacement pendant la période.

La notion du bien-être au travail se double également de la question de l’aménagement de l’espace de travail. Dans son enquête sur le bureau post-covid, Ingrid Nappi, professeure-chercheuse à l’Essec Business School a ainsi mis en avant qu’une majorité des salarié·es plébiscitent, pour leur retour au bureau, un espace individuel et fermé de travail. Avec la crise sanitaire, les grands open spaces peu aérés sont vite devenus les « lieux maudits » de la transmission du virus. « De manière très immédiate, nous avons observé que les constructeurs de mobiliers bureautiques ont développé des gammes de produits conçues pour le maintien de l’intégrité sanitaire des collaborateurs, analyse Laurent Botton. Planche de plexi, signalétique spécifique pour la covid… L’objectif était véritablement de faire face à l’urgence. » Mais désormais, le temps est à la réflexion sur les usages du bureau. « Lorsque des entreprises décident de mettre en place une hybridation, avec une partie des salarié·es sur site et l’autre partie en télétravail à des moments glissants de la semaine, se pose la question de garder des locaux aussi grands », observe le spécialiste. Le flex office – pratique de non-attribution de poste fixe aux salarié·es – fut une réponse intéressante. Mais c’est sans compter sur son manque d’attrait au regard des intéressé·es, souligné par l’étude d’Ingrid Nappi.

Reste alors la possibilité d’attribuer le même bureau à plusieurs personnes en alternance. « Nous voyons fleurir de plus en plus de gammes de casiers pour ranger ses affaires de manière sécurisée sur son bureau partagé », confirme Laurent Botton. La condition de la réussite : faire preuve de civisme avec son·sa colocataire de bureau. Une cadre administrative raconte ainsi comment à son retour elle s’est retrouvée à devoir partager un espace de travail avec une collègue maniaque qui reclassait systématiquement ses affaires lorsqu’elle utilisait leur bureau. Pas facile…

Chez Thalès DIS, jongler avec les taux d’occupation

Mais aussi paradoxalement qu’on puisse le penser, la crise sanitaire n’a pas forcément effacé tous les projets d’aménagement de bureau. « Ce que l’on observe, c’est que certains projets mis en suspens pendant la période de la crise reprennent avec le retour au bureau, mais au nom de quelques modifications », analyse Jean-Pascal Foucault, fondateur de tbmaestro, tout en minuscules, agence de gestion de parcs d’actifs. C’est le cas au sein de Thales DIS, filiale du grand groupe. Avant la crise sanitaire, un vaste projet de transformation de bureaux en région parisienne était à l’étude. L’objectif ? Transformer les bureaux cloisonnés en espaces de baseworking. Des bureaux flexibles, mais avec des zones délimitées pour les salarié·es. « Avant la crise sanitaire, l’idée était de repenser la gestion des lieux, explique la responsable du site, Christine Burgevin. Nous voulions créer des espaces plus conviviaux et nous avions prévu un taux d’occupation de 80 %. » Mais les confinements et la perspective du retour des pandémies dans les années à venir a forcé à repenser le projet. « Nous avons mené des études à partir de la mise en place de règles de distanciation. Nous tombions à un taux d’occupation des lieux de l’ordre de 50 %. » Un constat qui aurait pu remettre en cause le bien-fondé du projet. Mais finalement, les chiffres sont en faveur de la poursuite des travaux. « Les personnes qui évoluent dans nos locaux sont des cadres, poursuit Christine Burgevin. Ils sont amenés à beaucoup voyager, à se rendre dans d’autres sites, tant et si bien que le taux d’occupation réel de nos locaux avant la crise sanitaire n’était qu’à peine au-dessus des 50 %. » Les travaux se sont donc poursuivis, l’inauguration du site remonte à quelques mois.

Hygiène et kits mobiliers

Jean-Pascal Foucault, qui est également enseignant chercheur à l’université de technologie de Compiègne, analyse la reconfiguration à venir comme un « nouvel hygiénisme » capable d’irriguer les villes. « Remettre des normes d’hygiène partout dans nos espaces pourrait nous pousser à nous faire reconfigurer l’espace public avec des normes hygiénistes telles que nous les avons connues au XIXe siècle. » Un exemple pour illustrer sa pensée ? La gestion des cycles de nettoyage dans le site géré par Christine Burgevin. « Auparavant, nous avions un contrat de nettoyage à l’usage, de manière ponctuelle, explique-t-elle. Désormais, les espaces de travail, qui plus est partagés, doivent être nettoyés tous les jours. » Un coût supplémentaire réduit, tout de même, grâce à la possibilité de signaler un bureau qui a été utilisé, ou non.

Dernière innovation en date dans le domaine de l’aménagement des bureaux, le concept de « mobiliers portatifs ». « Avec le télétravail, on s’est rendu compte que certains collaborateurs n’avaient pas chez eux et elles des espaces de vie adaptés au travail, décrypte Laurent Botton, le patron du Salon de l’environnement de travail. Des constructeurs ont, donc, développé des mobiliers portatifs à destination des salarié·es pour un emport à domicile, histoire d’aménager un poste de travail nomade. » L’expression « ramener des dossiers à la maison » prend donc tout son sens : on ramène aussi la chaise…

Guillaume Ouattara

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