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Forum A World For Travel
Il fut touché plus que tout autre secteur par la crise sanitaire : le tourisme cherche à se réinventer. Pour séduire à nouveau les vacancier·ères et les voyageur·ses d’affaires, les acteurs doivent intégrer de nouveaux paradigmes. En France comme ailleurs, le déplacement post-covid sera durable ou rien.
Avec presque 90 millions de visiteur·ses annuels, la France est la première destination touristique au monde. Contrecoup, elle est aussi l’une des destinations pour laquelle les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont les plus importantes. En 2018, l’activité a généré 118 millions de tonnes de CO2, un bilan non compatible avec les objectifs fixés par la loi européenne sur le climat. Laquelle fixe comme objectif aux pays membres la réduction des GES d’au moins 55 % d’ici à 2030, par rapport aux valeurs de 1990. Pour y parvenir, le secteur touristique doit se réinventer. C’est dans cette perspective que s’est tenue la première édition du forum A World For Travel à Evora, au Portugal, du 16 au 18 septembre. La France dispose de nombreux atouts pour gagner le pari du tourisme durable. Pour y parvenir, elle doit en premier lieu relever le défi du transport et de l’hébergement « propres ».
Le transport aérien en ligne de mire
Premier poste d’émission de GES pour le secteur tourisme en France, le transport. Il est responsable de plus des trois quarts des émissions de ces gaz délétères, sachant que 68 % de ces émissions sont causées par les transports aller-retour pour se rendre sur le lieu de séjour. Voiture, avion, train, bus… La palme du pollueur revient… au transport aérien. Il ne concerne certes que 12 % des arrivées de touristes en France, mais représente 43 % du volume en passager/distances moyennes parcourues. Les visiteurs étrangers sont à l’origine de la grande majorité des émissions GES liées au transport (80 %) alors qu’ils ne représentent que 32 % du nombre d’arrivées sur le lieu de séjour. Rien d’étonnant quand on considère que la distance qu’ils parcourent est presque cinq fois supérieure à celle d’un touriste français. Pour un tourisme plus durable, il revient en premier lieu au secteur transport d’entreprendre sa mue vers les énergies vertes.
Même s’ils se révèlent moins polluants que les transports, l’hébergement, la restauration et les achats de biens cumulent tout de même 20 % des émissions totales de GES du secteur touristique. Parmi les premiers « coupables », on trouve l’hébergement non marchand (56 % des émissions de GES de l’hébergement), l’hébergement marchand (36 %) et pour une faible part, la location saisonnière (7 %).
Le tourisme d’affaires sur la sellette
Le secteur tourisme dans sa globalité accuse le coup d’une crise sans précédent. Le travail « business », lui relève du sinistre. La part du transport dans le poids carbone du voyage des touristes d’affaires est deux fois plus importante que celle des touristes qui voyagent pour motif personnel. En cause surtout, la durée moyenne plus courte des séjours. Une étude Olivier Wyman réalisée en juin 2021 révèle en outre que 67 % des voyageur·ses d’affaires considèrent qu’ils·elles peuvent travailler de chez eux.elles à partir de juin 2021. 35 % disent que leur entreprise a déjà revu à la baisse leur politique en matière de business travel. L’étude démontre que les visioconférences se sont montrées efficaces, tant pour le développement commercial que pour la collaboration en interne dans l’entreprise. Dès lors, le voyage d’affaires est-il appelé à disparaître ? « Non je ne pense pas », opine Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie. « Il est amené à se transformer. L’étude Wyman présente des signaux intéressants. Les entreprises envisagent à nouveau l’option permettant les déplacements de leurs collaborateurs, notamment pour les signatures de contrat. Nous assisterons certainement à une adaptation du modèle. On l’a vu, la visio est entrée massivement dans les vies et l’hybridation est déjà bien présente. Nous aurons toujours le besoin de nous rencontrer. Se voir par pixel interposé ne remplace pas la relation humaine et ce qu’on peut se dire en face à face. Transformation oui, disparition non. »
Les nouveaux paradigmes
Lors du forum, l’écrivain-chercheur Marc Halévy a analysé le changement de paradigme auquel le secteur du tourisme se retrouve actuellement confronté. Il se traduit par la rupture technologique et le passage au numérique, par un changement des modes d’organisation et du modèle économique. « Le modèle “industrialo-financier”, actuellement dominant, est basé sur une économie de masse », explique Marc Halévy. Pour qu’il continue de fonctionner, nous devons produire et vendre beaucoup. Seuls des prix bas assurent une productivité maximale. « Toutefois, ce modèle industriel est arrivé à son terme, prévient le chercheur. Notre ancien modèle est mort, tandis qu’un nouveau reste à développer. Nous sommes dans ce que j’appelle “une zone chaotique”. Comment intégrer le changement et poser les bases d’un modèle sain ? En intégrant le concept de frugalité », estime l’écrivain. « Tout ce qu’on fait, nous devons le faire mieux en qualité et moins en quantité. La valeur d’utilité va devenir la nouvelle norme. Nous aurons des séjours de plus en plus courts, mais plus nombreux et plus luxueux. La notion de service sera essentielle. Le touriste sera sensible aux possibilités de ressourcement, plus que de défoulement. La quête de sens constituera une attente essentielle. » Pour remporter ce pari, les atouts de la France sont nombreux : richesse du patrimoine culturel, savoir-faire dans le secteur du luxe, grande variété des offres de séjours…
Marie Bernard