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« Un cygne endormi sur les eaux ». Voilà comment le duc d’Aumale décrivait Chantilly, cet impressionnant domaine au coeur de l’Oise, à l’orée d’une forêt, entre jardins et plans d’eau. Le fils de Louis-Philippe hérite en 1830 de l’impressionnante bâtisse, à l’âge de huit ans. En effet, son parrain, le dernier prince de Condé, fut retrouvé pendu à l’espagnolette d’une fenêtre du château de Saint-Leu, dans des conditions assez troubles. Le malheureux n’avait pas d’enfants. Toutefois, il faut imaginer l’émerveillement que ressentit le tout jeune duc d’Aumale lorsqu’il découvrit sa nouvelle demeure aux airs de paradis bucolique.

 

Des jardins vraiment extraordinaires

Dans les couloirs du château, il rêve en observant les portraits du Grand Condé, ce cousin de Louis XIV qui fit connaître Chantilly dans tout le Royaume. Tour-à-tour seigneur de guerre et traître à la couronne, le Grand-Condé transforma Chantilly en « contre-Versailles » et y reçût la fine-fleur artistique française, en toute liberté, loin de l’oppression de la Cour. C’est au Grand-Condé que Chantilly doit ses prodigieux jardins, commandés à André Le Nôtre. De manière assez originale, ils ne sont pas organisés par rapport au château, mais vis-à-vis de l’escalier du Connétable. Ces jardins à la française sont un modèle du genre : ils repoussent la nature sur les côtés et dévoilent un univers organisé, maîtrisé, entièrement tenu par la main de l’Homme. Et puis bien sûr, il y a l’immense plan d’eau, les fontaines, le grand canal long de plus de deux kilomètres (plus grand que celui de Versailles). Sans compter les ajouts plus récents que constituent le jardin anglais et le jardin anglo-chinois. Le duc d’Aumale n’aura toutefois pas la chance d’observer les jeux de la fontaine de Beauvais, chef d’oeuvre d’André Le Nôtre malheureusement détruit à la Révolution… Mais aimera s’amuser avec les nombreux animaux qui peuplent les lieux : cygnes, oies égypt iennes, moutons, poules d’eau… Et bien entendu, les chevaux, qui sont l’âme même de Chantilly. Les grandes écuries voisines sont un véritable temple dédié à cet animal fascinant, sans compter les courses qui se tiennent tout à côté. Citons notamment le prix de Diane, incomparable rendez-vous de l’élégance française, où les dames rivalisent de magnificence avec leurs chapeaux.

Le destin de Chantilly se confond dans celui de son bienfaiteur, le duc d’Aumale

 

« CHANTILLY EST
LA PLUS BELLE MAISON
DE FRANCE » – HENRI IV

Revenons au duc d’Aumale, passons quelques années. En 1843, devenu jeune homme, Aumale se distingue en Algérie, vainqueur d’Abd-el- Kader. Il rentre à Paris tout auréolé de gloire. Son roi de père, Louis-Philippe, commande un immense tableau à Horace Vernet pour inscrire cet événement dans l’Histoire. Mais l’apothéose est de courte durée. En 1848, une révolution chasse Louis-Philippe du pouvoir. Les Orléans doivent fuir la France. Aumale doit dire au revoir à Chantilly. Tout ce beau monde se retrouve à Orléans House, non loin de Londres, où ils couleront un exil confortable sur le plan matériel, mais tout de même assez amère. Aumale s’y révèle aussi bon amateur d’art qu’il ne fut chef de guerre. Toute la bonne société britannique vient admirer ses collections. Napoléon III, à la faveur d’un coup de force, condamne plus tard les Orléans à se défaire de tous leurs biens
en France. Aumale vend tout, sauf Chantilly, qu’il parvient à conserver dans son escarcelle, grâce à des prête-noms anglais. Le voilà du même coup à la tête d’une immense fortune, pratiquement inégalée en Europe… Il faudra attendre 1870, la chute de Napoléon III à Sedan et le retour de la République, pour que le duc d’Aumale soit autorisé à regagner la France. Il sera d’ailleurs élu député de l’Oise dans la foulée, et certains tenteront même de le porter à la Présidence de la République. Son retour à Chantilly est évidemment marqué par l’émotion. Après vingt-deux ans d’exil, il porte
haut sa devise : « J’attendrai ». Aumale décide de consacrer son immense fortune à l’entretien du château, qu’il rêvait déjà de réhabiliter dans sa prime jeunesse. Les jardins sont magnifiés, des tours sont ajoutées, les douves sont reconstruites. Le duc d’Aumale décide d’entreposer à Chantilly son impressionnante collection de tableaux anciens – encore à ce jour la deuxième de France, après celle du Louvre.

Une ode à la défense du patrimoine

L’âge venant, une angoisse le traverse. Comment garantir l’avenir du château et de ses jardins, lorsqu’il ne sera plus là pour le défendre ? Il imagine avec horreur l’éparpillement de sa collection, fruit d’une vie de labeur… Et puis l’homme a appris – comme on l’a vu – à se méfier des tribulations politiques françaises. Le duc d’Aumale finit par trouver la solution. Il lèguera Chantilly, le château, ses jardins et toutes ses collections à l’Institut de France. Cette maison le compte d’ailleurs trois fois parmi des membres (Académie Française, Institut des sciences morales et politiques, Académie des beauxarts). La Coupole, qui se tient à l’écart des bouleversements politiques, saura préserver son héritage, cela jusqu’à aujourd’hui. Conformément à ses dernières volontés, l’agencement des pièces est laissé tel qu’il l’avait voulu. Aucune oeuvre de sa sublime collection de peinture n’est d’ailleurs autorisée à sortir du château, fusse pour un prêt. Le duc d’Aumale, par ses innombrables efforts, est ainsi le père de tous les défenseurs du patrimoine. En léguant ses biens à l’Institut de France, c’est finalement à nous tous, Françaises et Français, qu’il fit un immense cadeau.

VALENTIN GAURE

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