Temps de lecture estimé : 3 minutes
Si le jazz était un mouvement architectural, il aurait sans doute un peu le visage de l’Art déco. Ce mouvement artistique, plein de liberté dans ses formes, malgré un aspect apparemment plus sévère que son prédécesseur l’Art nouveau, caractérise les années 10 et plus encore les années 20. Une décennie d’optimisme au sortir de la Grande Guerre. En France, on parle d’années folles, aux États-Unis de « Roaring Twenties » (les vingt rugissantes), en Allemagne de « Goldene Zwanziger » (les années dorées). La fête fut de courte durée, comme on le sait en ouvrant les livres d’histoire… Parenthèse enchantée.
L’Art déco est un peu le premier choc du design (mot qui n’existe pas encore) c’est-à-dire le rapprochement entre le nécessaire et le beau, au service de la novation artistique. Il est assez difficile de définir précisément l’Art déco, mouvement qui embrasse large et qui fut l’un des rares à se déployer en mondovision, de l’Amérique du Nord à l’Asie en passant par l’Europe.
Des lieux emblématiques
Le théâtre des Champs-Élysées en est sans doute, à Paris, la plus belle illustration. Cette grande salle à l’italienne, conçue par Auguste Perret et inaugurée le 2 avril 1913, figure parmi les quatre ou cinq grandes salles européennes. Sa façade immanquable présente cinq bas-reliefs de Bourdelle qui sont autant d’allégories des arts : La Sculpture et l’Architecture, La Musique, La Tragédie, La Comédie et La Danse. Notons que Perret substitua son habituel béton (notamment observable dans ses réalisations au Havre) à un marbre blanc qui sied davantage au caractère exceptionnel de cette cathédrale des arts, dotée d’une remarquable acoustique. Notons que le maitre-verrier René Lalique, lien entre l’Art nouveau et l’Art déco, eut l’occasion d’y concevoir 62 pièces exceptionnelles. Paris abrite d’autres grands lieux de l’Art déco comme le Palais de Chaillot au Trocadéro ou encore le Palais de la Porte Dorée, hommage à la présence française à l’étranger, situé non loin du bois de Vincennes. N’oublions pas enfin les formidables Folies Bergères qui sont un autre témoignage de ce mouvement qui fit les nuits et les jours de la vie parisienne durant une quinzaine d’années.
Dans le monde comme dans nos régions, une présence invaincue
Au titre des autres grandes adresses de l’Art déco, nous pourrions citer le Chrysler Building à New York, le Colony Hôtel de Miami Beach, le Palais ARA de Prague, la grande poste de Varsovie… Ou encore la merveilleuse villa Empain de Bruxelles, sur laquelle il est impossible de ne pas s’attarder. Tour à tour ambassade d’URSS en Belgique puis siège de la station RTL, ce haut-lieu de l’Art déco légèrement orientaliste abrite aujourd’hui la fondation Boghossian.
Mais l’Art déco se décline également au coeur de nos régions. Au contraire de tant de mouvements artistiques circonscrit aux grandes métropoles, l’Art déco a su accompagner le développement des villes de France, particulièrement dans le Nord ou l’Est du pays ; preuve de son lien indéfectible avec le monde industriel. Reims, Lille ou Nancy sont des villes admirables de ce point de vue. Citons aussi de magnifiques monuments comme l’hôtel Majestic de Cannes, le cinéma Eldorado de Dijon, l’hôtel de ville de Puteaux, la gare de Saint-Quentin (Aisne), le petit casino de Vichy, l’immeuble de la métropole à Rouen, la piscine Judaïque de Bordeaux, l’ancien siège de La Dépêche du Midi à Toulouse… N’en jetons plus ! Il y a forcément un exemple Art déco près de chez vous.
Ces objets inanimés qui réveillent l’Art déco
Comme nous l’avons vu, il y a au coeur du mouvement Art déco l’envie de placer la beauté au coeur de la vie quotidienne. Cela se décline par de grands monuments mais aussi par une pléiade d’objets magnifiques, des luminaires Jean Perzel (dont l’atelier subsiste toujours à Paris, non loin du parc Montsouris) aux laques de Jean Dunand en passant par les peintures de Gerda Wegener, les sculptures de Paul Jouve, les vases Frères Mougin ou les meubles de la maison Saulaie… Une effusion incroyable qui se poursuit aujourd’hui encore, tant l’Art déco semble échapper aux modes, témoin d’une sorte de fantaisie invincible. Nous pourrions dire un mot, aussi, des créations Pierre Legrain, dont les étuis à cigarette Art déco sont toujours du dernier chic. Demandez aux antiquaires de Saint-Ouen-sur-Seine : ils vous diront que l’Art déco est un invariable, très demandé, faisant fi des modes et des époques. L’Art déco, en perte de vitesse lors des années 30, s’abîmera dans l’oubli au coeur des années de guerre. Il faudra attendre les années 60 – elles aussi pleines d’effusion – pour que l’Art déco retrouve ses lettres de noblesse. De grands ambassadeurs comme Yves Saint Laurent ou Alain Delon (collectionneurs indomptables) s’emploieront à faire revivre ce mouvement plein d’audace et de lumière. Le rêve continue.
VALENTIN GAURE