Chasseurs à l’affût

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Désuet ? Certainement pas. Ce loisir s’apparente aujourd’hui à un véritable art de vivre à la française, qui a su se renouveler tout en conservant quelques fondamentaux rassurants pour l’homme moderne…

Un loisir complet. Se changer les idées, parcourir la nature, viser juste… Et parfois courir très vite…
Un loisir complet. Se changer les idées, parcourir la nature, viser juste… Et parfois courir très vite…

En Haute-Marne, François Jehlé est connu comme le loup blanc. Il ne compte plus les chasses, les gibecières pleines ni les gueuletons, mais ce professionnel de l’hôtellerie au réseau tentaculaire – il dirige notamment l’hôtel Terminus Reine à Chaumont – se souvient de ses premiers frissons de chasseur… sans aucun animal dans le viseur. « Je suis allé à la chasse pour la première fois emmené par l’un de mes clients dans l’hôtellerie. J’avais 24 ans. Ce qui m’a passionné, c’est la connaissance que l’on peut avoir de l’homme. À la chasse, difficile d’être dans la retenue. L’homme se livre, se dévoile, parce que c’est passionnel. » Des centaines de trophées plus tard, ce patriarche cynégétique, président de la même société de chasse dans la Haute-Marne depuis 35 ans – qui œuvre entre autres pour la référence Arc-en-Barrois et ses 7 800 ha –, pense que le passage de témoin n’est pas complètement assuré. « C’est un art de vivre difficile à perpétuer, car chasser coûte de plus en plus cher et le mode de vie a changé. Les jeunes, notamment, ont un temps réduit pour leurs loisirs et cela pénalise la chasse. » Pas de chiffres fiables sur la population des chasseurs, estimée à 1,3 million par la Fédération nationale de la chasse (d’ailleurs réticente à divulguer ses chiffres), et à moins d’un million et en chute libre par les opposants à la chasse. Bien difficile donc d’analyser la tendance.

Une philosophie particulière

Il y a de la tradition, parfois un peu poussiéreuse, mais cela bouge aussi ici et là. Olivier d’Ussel a 25 ans. Sans Baccalauréat, il a lancé le site culture-chasse.fr il y a deux ans, après un crochet formateur par les États-Unis qui lui a donné le goût d’entreprendre. Son objectif : devenir le vestiaire de l’élégance à la française. « Je vends des produits qui me plaisent vraiment, pour pouvoir capter une clientèle jeune qui porte attention à son code vestimentaire, fusil en main comme à la ville. Et du made in France autant que possible », explique le jeune homme, que la main d’un oncle a conduit jusqu’à ses premières sorties en bottes et veste huilée, de préférence au gros gibier. La chasse ? « Ni sport ni loisir. C’est une philosophie de vie. Cela commence par se lever tôt, s’habiller, partir quand il fait -5°C, marcher 4 heures… Il faut le vouloir. Quelque part… cela se mérite. Cela passe par le filet de biche à 8h du matin, le bon vin… Le casse-croûte est important ! Et il y a cet échange entre les générations qui est formidable. » Une émotion revenue comme un boomerang lors d’un récent jeu-concours qui permettait de gagner un permis de chasse. « J’ai reçu ce mail : « Je ne sais pas comment vous remercier. Je vais pouvoir aller chasser avec mon père… comme avant. » ». D’habitude on reçoit des remerciements mais là… Cela m’a beaucoup touché. »

Au patrimoine mondial ?

Et les grands patrons de côtoyer sur les domaines, politiques, ténors du barreau mais aussi représentants de commerce, ouvriers agricoles… sans oublier les femmes qui depuis quelques années revendiquent aussi leur présence sur le terrain et au milieu des battues, avec l’ambition de parler de la chasse autrement et de bousculer les vestes kaki à cols de velours. « Nous sommes entre 3 et 4% de chasseresses, estime Martine Pion, présidente et fondatrice de l’Association nationale de la chasse au féminin (ANCF) qui compte 900 adhérentes réparties dans 30 départements. J’ai fondé l’association il y a 15 ans afin de créer du dialogue, de donner une autre image de la chasse en insistant sur le fait qu’il s’agit d’un univers très riche. C’est la nature qui nous rassemble, également le contact avec les chiens dont nous nous occupons. Nous mettons en place des ateliers photos, d’autres de cuisine de gibier, nous développons l’artistique autour de la chasse. » Facile d’être une chasseresse en 2014 ? Cette infirmière libérale n’esquive pas la réponse : « Passer le permis de chasse reste le premier frein, avant le choix et le maniement de l’arme. Il faut l’avouer, il est encore difficile pour une femme de dire qu’elle chasse, elle préfère le garder pour elle. »

Jean-Sébastien Tavernier, officier général de l’armée de terre en retraite, désormais gérant de Polka Consulting, a emmené ses fils mais aussi sa fille arpenter avec lui les terres bretonnes, à pas feutrés en suivant ses chiens de l’oreille. « Nous avons chacun notre manière de vivre la chasse, mais nous sommes tous dans la position du prédateur, et il y a la mort d’un animal à la fin. C’est peut-être là que le bon chasseur est aussi celui qui sait attendre le moment opportun, se retenir, faire preuve d’une forme de délicatesse parce que la chasse peut-être considérée comme un art. »

Charles-Antoine de Vibraye, dynamique propriétaire du château de Cheverny, qui ne se lasse pas du spectacle offert par les départs de chasse à courre avec la centaine de chiens du domaine et les équipages devant le Château, va plus loin. « La vènerie est l’héritage d’un mode de chasse qui pourrait avoir sa place dans le patrimoine immatériel de l’Unesco, comme la corrida. D’autant que cette activité humaine immémoriale fait partie intégrante de la culture du bâti, de la peinture, de la sculpture… », avance celui qui se définit davantage comme un veneur que comme un chasseur.

La chasse, finalement, ne serait-elle pas une tradition d’une grande modernité ? Olivier d’Ussel et ses 25 ans en sont convaincus : « Aujourd’hui, le temps est un bien précieux, plus encore qu’il y 50 ans, car le monde va très vite. La chasse permet de s’arrêter, de se retrouver soi-même. Quand je reste deux heures au poste à la chasse au gros, j’ai –enfin – le temps de penser. » Charles-Antoine de Vibraye pose le débat autrement : « Ce qui est important, c’est le lien entre l’homme et la nature. Les chasseurs apportent autant que les écolos radicaux. La chasse est-elle moderne ? J’ai du mal à le dire. Pourquoi aurait-elle à l’être d’ailleurs ? La modernité n’est pas la clé du bonheur. En revanche, plus la technique progresse, plus nous assistons à un retour aux valeurs d’harmonie entre les gens autour de choses simples ». Saint-Hubert, patron des chasseurs, s’en félicitera…

Article réalisé par Olivier Remy

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