La bande dessinée, support roi des sujets complexes

Le prochain bestseller ? Le burnout de Thierry et le bien-être au boulot…
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Le neuvième art booste le journalisme et décrypte des sujets jugés trop complexes, grâce à ses spécificités.

La BD, miroir de nos mœurs ? Au regard de son histoire et de l’évolution des genres ces dernières décennies, nous pourrions répondre à cette question par un oui franc et massif. En atteste d’abord la vocation originelle des différents types de BD. Le manga fut créé en tant qu’outil de propagande au service de l’empire. De même pour le comics américain. Captain America et Superman étant deux symboles évidents de la politique du gros bâton alors à l’œuvre. Même cantonnées à l’entertainment, les BD n’en demeurent pas moins un art mouvant porteur de messages. Au fil du temps, les superhéros ont aussi vu leur personnage évoluer : Green Lantern, d’abord caucasien, a pris les traits d’un Afro-Américain. Et aujourd’hui, l’univers de ce panthéon contemporain se dote pour la première fois de son histoire d’une héroïne de confession musulmane. Si en France, nos madeleines sont d’abord venues de Belgique, la BD, au fil des années est devenue un vecteur à part entière de nos changements sociétaux. « Rappelons que la BD à ses origines en France était très “genrée”, c’était une BD d’aventure faite pour les garçons », se souvient Jean-Pierre Nakaché, libraire des Bulles en Tête. Par essence attractive et bénéficiant d’une trame narrative rythmée grâce à sa mise en page et la liberté qu’offrent les phylactères, la BD développe aussi ses propres codes pour étonner sur des sujets sérieux, sulfureux et complexes : économie, philosophie, politique, société. Mieux même. Le support rend cristallins l’enquête, le reportage et le documentaire et vulgarise sans dénaturer la substantifique moelle d’idées et de concepts, de prime abord abscons pour nos esprits. Photographie des dernières tendances de la pensée par les bulles.

 

Subjectivisme et crédibilité

Avec son « Palestine, dans la bande de gaza » ou encore « Soba, histoire de la Bosnie », le journaliste Joe Sacco s’est rapidement taillé une réputation de pape de l’enquête en bande dessinée. Récompensé à de nombreuses reprises pour son travail qui n’a visiblement pas d’équivalent dans les mondes de la presse et de la BD, Joe Sacco a également ouvert la voie à une nouvelle forme de journalisme empreinte d’aventure et de récit graphique. Le genre d’ailleurs connaît aujourd’hui un succès grandissant. Autre exemple celui d’Albert Drandoy, collaborateur au Canard Enchaîné ou encore à Charlie Hebdo, qui a fait également ses armes en tant que journaliste scénariste de BD avec son fameux « Amiante, chronique d’un crime social ». Plus récent, le trimestriel XXI accueille dans ses pages une enquête dessinée à chaque numéro. Surtout, la Revue Dessinée s’est imposée en trois numéros dans le paysage éditorial français. L’idée ? « Nous voulons fermer le robinet d’eau tiède, se débarrasser de ce flux d’infos sans intérêt qui polluent notre quotidien tout en cultivant l’idée et l’obsession de ne jamais oublier les sujets essentiels », nous explique Franck Bourgeron, directeur de la publication. Face à une presse formatée, le reportage graphique s’émancipe donc pour accoucher d’un nouveau journalisme où les possibilités plastiques permettent des dosages différents et un sens du détail qui s’en trouve enrichi. Et à l’image d’un orchestre où les cordes répondent et dialoguent avec les bois, le texte et l’image se parlent pour immerger le lecteur dans le lieu et le temps réel de l’enquête, avec des allers-retours dans le temps.

« A l’origine nous sommes dessinateurs, c’est le vocabulaire que nous maîtrisions le mieux. Les mariages aujourd’hui se font très bien. Mais surtout, nous réconcilions les gens avec l’enquête, sur un format original, et cela permet d’obtenir une approche où nous gardons la maîtrise du temps. C’est d’autant plus important que les sujets complexes, politiques, économiques, sociaux… exigent cette maîtrise du temps. Un sujet est traité dans une durée oscillant entre un et six mois. Notre approche ne se veut pas objective, elle engage une singularité journalistique et créative », note le directeur de cette publication née en 2013.

 

Quand le sérieux se sert d’un art mouvant

Les BD sérieuses sont donc devenues monnaie courante, mais surtout créent des émules. Cette floraison d’œuvres pour adultes a été rendue possible grâce à l’émergence dans les années 1990 de maisons de diffusion sorties de leurs ornières underground ou ayant pris le relais des maisons alternatives, à l’image de l’Association ou de Cornélius au côté du géant Dargaud. « Les lectorats se sont multipliés à mesure que les sous-genres se sont développés : BD, romans graphiques, enquêtes, mangas, documentaires, etc. Aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle segmentation centrée sur le réel avec les ouvrages de vulgarisation économique, philosophique ou mathématiques. “Logicomix” se veut être une histoire qui questionne les fondements mathématiques. Dans la même veine, “Economix” reprend les grands principes de notre économie capitaliste pour en montrer les déviances et les dysfonctionnements », cite Jean-Pierre Nakaché. Une BD en bâtonnets a également été mise en ligne pour expliquer le mécanisme des subprimes. Un régal ! Nous vous l’assurons. Révolue donc l’époque où l’on jugeait la BD prisonnière de ses préjugés vulgarisateurs. Elle traite aujourd’hui de sujets lourds et autorise des degrés de complexité incroyables comme en témoigne le prix MacArthur décerné à Allison Bechdel, pour son « Fun Home », avec une bourse de 500000 dollars délivrée en récompense de l’œuvre léguée à l’humanité. Autrefois attribué à des médecins, musiciens, chercheurs, le prix a été décerné à l’auteure d’une BD considérée comme un des meilleurs livres autobiographiques, redessinant les contours du genre. Un must. Et aussi la preuve que l’art peut mobiliser M. Tout-le-Monde sur des sujets de premier ordre.

 

Geoffroy Framery

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