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Jean-Yves Camus est politologue et spécialiste de l’extrême droite. Pour Ouest-France, il revient sur l’avenir du Rassemblement national après la défaite de Marine Le Pen.
Était-ce la candidature de trop pour Marine Le Pen ? Même si son score est bien meilleur qu’en 2017, la candidate du Rassemblement national n’a pas réussi à rassembler au moins la moitié des Français·es. Le Front républicain a une nouvelle fois fonctionné, preuve que Marine Le Pen reste encore aujourd’hui une femme politique rejetée. Davantage qu’Emmanuel Macron.
Et pourtant, voilà un certain nombre d’années que Marine Le Pen tente de dédiaboliser le parti – ex-Front national. Le projet RN tente de se diversifier, il ne porte plus simplement sur l’obsession de l’immigration et de l’islam mais aussi sur d’autres sujets qui touchent les Français·es, à l’instar du pouvoir d’achat. Est-ce le nom Le Pen le problème ? Mais qui d’autre aurait pu y aller ? Bref, le plafond de verre, que la candidate nationaliste le veuille ou non, existe bel et bien.
Le résultat de ce second tour vous surprend-il ?
Je le trouve un peu décevant pour le RN. Il y a un fossé assez important entre 42 % et la majorité qui permet de gagner la présidence de la République.
Qu’est-ce qui a manqué ? Il faudra, entre autres, regarder les reports de voix d’Éric Zemmour, savoir s’ils ont été bons ou pas. Marine Le Pen a tout fait, ces dernières années, pour dédiaboliser le parti, rompre avec certaines pratiques. Elle a fait un débat d’entre-deux-tours qui n’était pas mauvais, faisant oublier assez nettement celui de 2017. Elle a aussi fait un bon choix tactique en centrant sa campagne sur les questions liées au pouvoir d’achat et aux questions sociales en général… Pourtant, elle est loin du compte.
Le Rassemblement national doit-il changer, idéologiquement, pour espérer rassembler plus et accéder au pouvoir ?
Le RN est dans une situation de double contrainte. Il peut se dire que s’il abandonne un certain nombre de ses positions les plus clivantes, sur l’immigration, sur l’islam, il réussira à s’approcher de la barre des 50 % ou la dépasser. Mais en même temps, c’est tellement dans l’ADN de ce parti, c’est tellement quelque chose qui amène à lui des électeurs que je ne vois pas comment il peut les abandonner.
L’échec de ce second tour est-il imputable à la candidate ? Si oui, le RN pourrait-il survivre sans Le Pen à sa tête ?
Ce serait lui faire un mauvais procès. Posons-nous la question à l’inverse : qui aurait pu la remplacer et qui aurait fait mieux ? Et encore, il faudrait déjà qu’elle se décide à arrêter la vie politique – ou du moins à ne pas briguer une nouvelle fois la présidence de la République. C’est le congrès du Rassemblement national qui décidera, le moment venu, qui prendra la suite. Évidemment, des noms reviennent : Jordan Bardella, Louis Aliot… Mais auraient-ils fait mieux ? Je ne suis pas sûr.
Dans tous les partis politiques de ce type, on a, à un moment donné, considéré qu’il y avait un chef irremplaçable. En réalité, il a toujours été remplacé. Matteo Salvini, qui est à la tête de la Ligue du Nord, n’en est ni le fondateur ni le leader historique. Il est celui qui l’a transformé d’un parti régionaliste en un parti national.
C’est vrai qu’on est sur une séquence historique où le nom Le Pen est associé, presque ontologiquement, à l’histoire du parti. Mais à partir du moment où il y a un mouvement d’idées et un mouvement de société derrière un parti politique, il arrive à trouver les ressources nécessaires pour avoir une direction qui bouge. Marine Le Pen aura le temps de préparer sa succession, si c’est le cas. Elle a deux ans jusqu’aux européennes, sans parler des cinq ans, par définition, jusqu’à la prochaine présidentielle.
Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur le site de Ouest-France