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Antoine Roux est un entrepreneur toulousain et fondateur de la marque Yogah. Il est en parallèle porte-parole du Syndicat professionnel du chanvre.
On le sait, la France demeure très restrictive quant aux produits dérivés du cannabis et leur consommation. Le même pays qui s’affiche comme l’un des plus grands producteurs de chanvre au monde. Un paradoxe qui s’explique par un usage très précis et encadré : on parle de chanvre industriel plutôt que de cannabis !
Chaque partie de la plante s’utilise à des fins spécifiques. Les graines par exemple – aussi appelées chènevis – servent à l’alimentation. Dès lors qu’on les presse, on peut obtenir une huile riche en omégas-3. Ces mêmes graines servent aussi de composants pour produits cosmétiques. Concernant les fibres de la tige, on peut les retrouver dans la papeterie (papier bible et autres papiers spéciaux) ou même dans le bâtiment, pour la partie isolation. L’usage n’est donc qu’industriel et non récréatif. Aujourd’hui, l’encadrement est strict, un plant de cannabis sativa L ne peut être cultivé et exploité commercialement que s’il n’excède pas 0,2% de THC, la substance psychoactive du cannabis. Ce même plant doit aussi appartenir à une variété de chanvre autorisée par le gouvernement français, des freins juridiques qui empêchent de grandes opportunités économiques pour les agriculteur·rices ainsi que des créations d’emploi.
« Le CBD est un véritable phénomène de société, et cela s’explique aisément. Environ 1 000 CBD shops ont fait irruption ces derniers mois dans nos centres villes, la GMS (grande et moyenne surface, ndlr) distribue certaines marques au succès naissant, près de 8 000 buralistes en commercialisent. Enfin, des acheteurs de grands groupes de parapharmacies me confient que 10 % de leurs officines ont référencé des produits avant même que leur centrale n’ait eu le temps de finaliser le cahier des charges.
Ce boom, on le doit d’abord à l’Europe qui, en vertu de la libre circulation des marchandises, a contrecarré la politique conservatrice prohibitionniste du gouvernement français. On le doit aussi à la mondialisation: l’écrasante majorité des produits finis est importée de nos pays limitrophes. Quant à la matière première issue de l’extraction de la plante, elle provient de ceux qui ont eu la volonté d’accompagner leur filière agricole, tels que les États-Unis, l’Amérique du Sud, le Canada et nombres de pays de l’Union européenne…
Sur le plan du développement d’une filière CBD en France, on en est à l’âge du minitel quand la majorité des États déploient la 5G…
Ce retard, nous le devons en premier lieu au type de chanvre qui est donné à cultiver aux agriculteurs. Les 600 cannabiculteurs recensés par l’AFPC (Association française des producteurs de cannabinoïdes, ndlr) en 2021 sont contraints par les limites du catalogue français. Celui-ci est en effet uniquement composé de semences fibreuses adaptées au secteur du BTP, du textile ou de l’alimentaire, mais nullement à l’extraction des cannabinoïdes. Un autre frein majeur réside dans le taux de THC autorisé dans la plante, de seulement 0,2 % en France aujourd’hui, contre 0,5 % en Italie ou 1 % en Suisse.
Les taux de CBD et de THC étant liés par un rapport de proportionnalité, on comprend que nos agriculteurs sont très loin de partir sur un pied d’égalité face à leurs concurrents. Dans la compétition sur un marché estimé en France à 900 millions d’euros, le handicap de départ est démesuré. Pour entrer dans la course et être en mesure de développer une filière française du CBD, le seuil acceptable pour ce taux de THC se situe assurément à 0,5 %.
On voit bien que nos territoires se privent aujourd’hui d’une manne financière exceptionnelle. La majorité des agriculteurs passerait d’un état de précarité à une capacité d’investissement importante et pourrait vendre leur production en circuit court. Avec, à terme, un maillage territorial potentiellement comparable à celui des vignerons.
Mais cela reste pourtant aujourd’hui une chimère. Notre gouvernement s’oppose à la législation européenne et tend à interdire la vente de fleurs (voir le projet d’arrêté du 20 juillet 2021).
Cette décision casserait complètement la dynamique agricole actuelle. Les pays performants sur le sujet ont tous une agriculture forte et « décomplexée ». La fleur représente en général 60 à 80 % des revenus dans un premier temps, avant que les produits transformés ne prennent le pas.
Il ne faut donc pas rêver : si les agriculteurs ne vendent pas de fleurs et continuent d’avoir un cadre réglementaire de culture qui date de l’après-guerre, les extraits continueront de provenir de l’étranger. La France sera un pays de distribution et les agriculteurs auront été floués. »
Retrouvez l’intégralité de la tribune publiée pour LSA ici.