UTC : improvisation, hybridation

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Former des ingénieurs humanistes ? Concilier plaisir et travail comme l’on apprécie l’écoute d’une œuvre musicale ou la pratique d’un instrument ? Puiser dans l’énergie de l’improvisation ? Que tout cela paraît abstrait… Jusqu’au moment où Pascal Alberti, enseignant-chercheur à l’Université de technologie de Compiègne, l’UTC, n’en fasse l’objet d’une thèse et d’une recherche de terrain. Et ne multiplie expériences et conférences pour ensemencer les champs du possible.

 

Pour l’expert en créativité et innovation et jusqu’à récemment directeur de l’innovation et du développement territorial au sein de la même UTC, tout est affaire de rencontres. Celle de José Pendje en fut une qui a consacré une partie de son mémo de DEA, Le sens du projet, à la musique, singulièrement l’improvisation en jazz. Les deux hommes, le chercheur et l’ingénieur en design industriel, iront jusqu’à créer sur scène, devant un parterre d’entrepreneur·ses et de managers, des impros destinées à rapprocher les deux mondes : « L’improvisation existe dans le monde de l’entreprise. Alors pourquoi ne pas toucher les PME qui sont souvent dans l’urgence du quotidien, dans l’instantanéité du travail ? Pour cela, nous imaginons mobiliser les grands patrons qui aiment le jazz afin de présenter à leurs fournisseurs un parcours inédit d’accompagnement de leur potentiel d’innovation. »

Nouvelle démonstration le 1er octobre 2021, à Amiens, quand Pascal Alberti monte un vrai spectacle, à la Maison de la Culture, De l’improvisation artistique à l’innovation technologique. Vont se succéder sur scène des impros de jazz avec Boris Pelosof Trio et Trio François Thuillier, du théâtre avec le comédien Mayel Elhajaoui, du beatbox joué par Antoine Pinchaud (champion de France de beatbox 2015) ou encore de la breakdance avec le danseur Kamil Bousselham.

 

Du musicien à l’ingénieur

Le public – des patrons membres de la CPME, du Medef, de la CCI – aura certes apprécié les performances, mais le but reste l’application de processus spontanés, alimentés par les soft skills, ces compétences comportementales que s’arrachent les entreprises. « Derrière les improvisations, explique Pascal Alberti, se cachent beaucoup de travail et d’entraînement avec les autres. » Transposé à l’entreprise, c’est redécouvrir que le groupe vaut plus que l’individu. Sabrina Yactine, chanteuse du groupe et psychologue, l’avait exprimé à l’occasion du premier colloque organisée par Écoréseau Business en 2019 : « Le musicien, tout comme l’ingénieur, a, en général suivi un parcours rigoureux et structuré. Le musicien, tout comme l’ingénieur, peut par un travail conséquent, acquérir une expertise reconnue et appréciée. Cependant, ce parcours n’est pas suffisant, voire discriminant dans la pratique de l’improvisation et de la créativité. Nous faisons donc l’hypothèse que d’autres paramètres sont mobilisés pour passer d’un “groupe expert” à un “groupe agile et créatif”. » L’improvisation « déséquilibre », constate Pascal Alberti, mais « celui qui innove doit être capable d’écouter pour pouvoir innover ».

 

Solar Impulse, une démonstration du 1+1 = 3

La seconde partie de la soirée du 1er octobre aura illustré à merveille le rapprochement éclairant que le chercheur établit entre l’entreprise au sens large, l’innovation et la réalisation. Pascal Alberti avait convié Bertrand Piccard, coinventeur et copilote du Solar Impulse, cet immense aéronef ultraléger aux hélices mues par l’énergie des panneaux solaires. C’est le 26 juillet 2016 qu’avec son « co », André Borschberg, de l’École Polytechnique de Lausanne, Bertrand Piccard a atterri à Abou Dabi d’où les deux hommes avaient décollé 16 mois plus tôt. Une heure durant, le petit-fils d’Auguste Piccard – la figure qui inspira le Tournesol d’Hergé – démontrera qu’entre sa « prétention » initiale – son projet de fabriquer et faire voler sans carburant un aéronef – et la réalisation, prit place un « jeu », celui de « l’humilité, pour Bertrand Piccard, de laisser s’exprimer autour de lui des gens aux opinions opposées », souligne Pascal Alberti. Solar Impulse, en toute logique, en toute rationalité, aurait dû être construit par des ingénieurs en aéronautique, vers lesquels s’était d’abord tourné le tandem. Mais les experts du vol ont dit : impossible ! Piccard et Borschberg se sont alors tournés vers… un chantier naval, des gens capables de construire en fibre de carbone des bateaux ultralégers et qui ne savaient pas que construire un planeur de 72 mètres d’envergure plus léger qu’une voiture était impossible. Alors, dans les improvisations d’un orchestre humain où Piccard + Borschberg égalent 3, les protos sont sortis des hangars jusqu’à l’envol de l’« Impulsion solaire ». Au cœur de cette incroyable mélange d’inspiration et d’improvisation, se sont combinées les sciences de l’ingénieur et les sciences humaines et sociales. Le but, pour Pascal Alberti et l’UTC, former des ingénieurs humanistes, hybrider mathématiques et physique à la philosophie et la sociologie. « Nous souhaitons que nos ingénieurs ne conçoivent pas des produits sans se poser de questions d’un point de vue éthique. » Il est urgent que toutes les grandes écoles adoptent ce parti pris.

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