To burn, burnt, burn out : quand la France s’enflamme !

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Qu’est-ce que le burn out ? Ce terme emprunté aux anglophones que l’on met à toutes les sauces. Ce n’est pas un simple coup de fatigue. Ce n’est pas non plus une dépression. C’est une usure. Une usure induite par une trop forte charge de travail. Et le phénomène prend de l’ampleur. En raison de la pandémie, mais pas seulement.

« Je pensais que cela n’arrivait qu’aux autres. Que cela ne pouvait pas m’arriver », lâche Sophie, 48 ans. Il y a deux ans, celle qui ne souhaite pas révéler le nom de l’entreprise pour laquelle elle travaillait, reçoit un mail de son directeur adjoint. Le coup de trop : « Il se demandait ce que je faisais sur mon poste… Ce que je faisais là. » Une ultime remise en question de son travail et de ses compétences. La goutte d’eau, le point de rupture. Sophie craque : « Je n’étais plus en capacité de réfléchir, comme paralysée, j’ai dû arrêter de travailler. Chez moi impossible d’échanger avec mes proches, de discuter. Je dormais  souvent. J’étais sur mon canapé en boule, sans bouger à me demander ce qui allait encore me tomber dessus. »

To burn out. Se consumer. Une traduction littérale qui évoque l’anéantissement par le feu. Sans équivoque. Le terme est emprunté aux Américain·es. « Les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consommer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte », écrivait Herbert J. Freudenberger, psychologue et psychothérapeute américain, dans La brûlure interne, publié au cours des années 1980. La Haute autorité de santé choisit de se référer aux travaux de Christina Maslach, docteure en psychologie américaine, spécialisée dans les questions de l’épuisement et du stress au travail : « Un processus de dégradation du rapport subjectif au travail à travers trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail ou dépersonnalisation (déshumanisation, indifférence), la diminution de l’accomplissement personnel au travail ou réduction de l’efficacité professionnelle. » En France, l’assurance maladie reconnaît le burn out sous l’appellation « syndrome d’épuisement professionnel ».

Des chiffres en constante augmentation
« Il existe énormément de définitions du burn out », déplore Fabrice Bak, psychologue cognitiviste et membre fondateur de l’association Vaincre le burn out. Avant d’ajouter : « C’est une surcharge de travail, une usure qui s’installe et qui amène la personne vers une situation de rupture globale : cognitive, affective et physique. Ce n’est pas qu’un simple coup de fatigue. » Et pour cause. La liste des symptômes est impressionnante selon le dictionnaire Vidal  : fatigue permanente, maux de dos, insomnies, migraine, maux de ventre, infections fréquentes, vide émotionnel, anxiété, irritabilité, tendance à s’isoler, difficulté de concentration, démotivation, cynisme, sentiment d’échec, trouble du comportement alimentaire, dépression et même maladies cardiovasculaires, diabète ou obésité. S’ajoutent « des lésions physiologiques au niveau cérébral : les zones qui concernent la gestion de l’humeur et les fonctions exécutives », précise Fabrice Bak. Des lésions toutefois « récupérables » dans un délai de 6 à 24 mois.

Sophie, elle, pensait que cela n’arrivait qu’aux autres. Qui sont ces autres ? Impossible pour l’assurance maladie de nous communiquer les chiffres des arrêts maladie relatifs au burn out : « Les médecins n’écrivent pas toujours syndrome d’épuisement professionnel sur les documents », nous confie l’organisation. Il faut chercher ailleurs car il n’existe pas, en France, de statistiques précises sur le nombre de salarié·es touché·es.

Le burn out n’est comptabilisé dans les statistiques de la CPAM que s’il est reconnu comme maladie professionnelle. Pour cela, il doit répondre à des critères stricts : « Lorsqu’il est établi qu’elle (la maladie ndlr) est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente » (article L461-1 Code de la sécurité sociale). Ce taux d’incapacité permanente doit être égal à au moins 25 %. Ainsi en 2019, 1 051 « affections psychiques » ont obtenu un avis favorable de prise en charge au titre de maladie professionnelle pour un total de 2 018 demandes. Des chiffres largement inférieurs au nombre de salarié·es touché·es par le burn out dans l’hexagone, mais qui, lorsqu’on les compare, permettent de constater une évolution fulgurante du syndrome. Entre 2012 et 2019, on observe 90 % d’augmentation des demandes et des avis favorables.

Avec la pandémie, les salarié·es ont perdu leurs repères
Selon un sondage mené par OpinionWay et le cabinet Empreinte Humaine, ce sont 2,5 millions de salarié·es qui seraient en situation de « burn out sévère ». Une estimation à appréhender avec précaution. Selon cette même étude, la détresse psychologique au travail toucherait plus facilement les femmes (44 %) que les hommes (33 %). Pour le psychologue Fabrice Bak, les chiffres masculins sont sous-estimés : « Les femmes vont se manifester plus facilement. Dans l’imaginaire sociétal, l’homme doit être fort. Il est ainsi moins enclin à exprimer sa souffrance ». D’autre part, les jeunes seraient « les plus exposés » avec 50 % des moins de 40 ans en situation de détresse psychologique. « Il a été remarqué qu’il pouvait y avoir une perte de sens au travail très jeune. Les générations précédentes connaissaient ce phénomène à partir de 40 ans, observe Elodie Chevallier, chercheuse et consultante sur le sens au travail. On l’explique par le fait que le monde du travail n’a pas vraiment évolué depuis les dernières décennies. Les valeurs liées au développement personnel ont changé et la génération qui entre sur le marché du travail n’a pas du tout les mêmes attentes que ses aîné·es par rapport au travail. » Fabrice Bak apporte d’autres éléments de précision : « On constate, au fil du temps, une évolution du fonctionnement cognitif. L’être humain perd de plus en plus de compétences et s’adapte difficilement à des situations complexes. » L’enquête pointe aussi la surreprésentation des managers dans les victimes du burn out. 12 % d’entre eux seraient touchés et 80 % seraient en détresse psychologique. « Oui, les managers sont présents, mais cela touche toutes les catégories professionnelles et sociales », tempère Fabrice Bak. Et d’ajouter que la pandémie a probablement joué un rôle important pour cette catégorie de salarié·es. Difficile de manager face à un écran d’ordinateur…

Difficile de travailler tout court durant ces temps troublés. La covid-19 a eu une incidence non négligeable sur la santé mentale des salarié·es. « Il y a deux formes d’impact. Des gens pour qui cela a été assez dramatique en termes de sens au travail, les soignants en tête. Avec une charge de travail sans reconnaissance financière. Chez d’autres personnes la notion d’activité non essentielle a pu engendrer une souffrance. Quand vous passez 9 h par jour au travail, être considéré comme non essentiel n’est pas motivant. Cela a accentué le sentiment que ce qu’ils faisaient ne servait à rien », explique Élodie Chevallier. Ajoutez à cela une dose de télétravail,  soit « une évolution sociétale en France dans laquelle nous avons basculé du jour au lendemain. Certains ont perdu leurs repères », précise Fabrice Bak.

La pandémie n’a fait qu’exacerber un mal déjà bien présent. Mais absent des débats publics. Dans l’attente d’une enquête nationale sur le sujet du burn out, nous voilà réduits aux hypothèses et estimations. D’ores et déjà nous pouvons agir. Car pour le psychologue cognitif, des salarié·es en bonne santé mentale participeront « à la qualité, à la cohérence » des entreprises. Et de conclure : « Sur le plan physique, je ne peux travailler que si mon corps est bien entretenu. Sur le plan affectif, je ne peux être efficace que si je ne suis pas parasité par mes émotions. Sur le plan social, je ne peux travailler que dans une collaboration sereine. Sur le plan cognitif, je ne peux être compétent que si mes aptitudes sont en phase avec mon poste. » Et si la solution résidait dans la prévention du burn out en entreprise ? Et si les entreprises se penchaient sérieusement sur le bien-être de leur salarié·es ? Et s’il ne suffisait pas d’un canapé confortable, d’un babyfoot, d’une jolie plante verte ou de cafés gratuits pour s’assurer que les salarié·es travaillent dans de bonnes conditions ? Avec des « si », on refait le monde comme dirait l’autre. En attendant, la France prend feu.

À l’extrême opposé du burn out, le bore out. Il s’agit là d’un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui. Encore une fois, le terme est emprunté aux Anglais·es. Boredom signifie ennui. « C’est une notion dont on parle très peu car beaucoup de gens n’osent pas dire qu’ils n’ont rien à faire », lâche Élodie Chevallier, chercheuse et consultante sur le sens au travail. En conséquence, le diagnostic est rendu difficile. « Avec le bore out, le·la salarié·e a l’impression que les temps de repos ne sont pas mérités par exemple. Ils·elles s’épuisent psychologiquement. C’est aussi destructeur qu’une sur-sollicitation professionnelle », alerte Élodie Chevallier. Cette dernière conseille la lecture du livre Bullshit jobs, de David Graeber, anthropologue américain. Un pavé dans la mare qui a libéré la parole des victimes de ce syndrome.

Encadré 2 : Déceler les signes, les conseils de Fabrice Bak, psychologue cognitif

« Nous sommes tous des soignants du burn out. Comment ? En étant vigilant. En prêtant attention à son collègue, à son équipe. Ce qui doit alerter : une personne qui brusquement ne réagit plus émotionnellement. Une personne qui commence à se plaindre de manière répétitive : « Oh, je suis souvent fatigué·e. » Simplement en étant à l’écoute de l’autre. Observer les attitudes, on ne regarde jamais suffisamment les gens. À la pause café ! Tout simplement. Quelqu’un se met plus en retrait, parle un peu moins… Il faut l’interpeller. D’une façon ou d’une autre, ils·elles vont s’exprimer, ils·elles vont montrer quelque chose physiquement. Cela s’appelle de la bienveillance et de la bien-traitance. »

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