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Samba, caïpirinha, carnaval et telenovelas… Le pays pèse indéniablement à l’international par l’image qu’il dégage. Mais pas seulement.

Depuis qu’elle est arrivée en France il y a 13 ans, Thais écoute comme une rengaine les mêmes clichés sur son pays, le Brésil. « Il ne se passe pas une journée sans qu’un Français ne me parle de football, de samba, de carnaval, de caïpirinha et de femmes en string », raconte un brin agacée la jeune expatriée. Comme si toutes les Brésiliennes se baladaient en string sur la plage du matin au soir avec un cocktail à la main ! » Difficile en effet d’échapper aux stéréotypes quand on évoque le pays des Brasileiros. Ces sympathiques lieux communs sont pourtant loin de déplaire à tous. Depuis une décennie, les dirigeants du géant lusophone ont largement exploité l’image positive véhiculée par le pays à travers sa culture populaire et le sport pour assurer son rayonnement à travers le monde. Cette arme « douce » est même devenue un enjeu majeur dans l’affirmation de l’identité́ du Brésil sur la scène internationale.
La Seleção, une équipe à but très lucratif
La musique, le cinéma et le football constituent de redoutables canaux de diffusion à l’international. Le succès retentissant remporté notamment par les telenovelas, dont le Brésil s’est fait une spécialité, a largement dépassé les frontières de l’Amérique latine pour s’immiscer dans les foyers des quatre coins de monde. Depuis quarante ans, ces feuilletons sentimentaux ont apporté au Brésil une formidable visibilité en Asie, en Europe de l’Est et surtout en Afrique où l’influence du pays a tendance à se décupler. Quelque deux milliards de téléspectateurs suivent avec assiduité ces aventures à rebondissements, sur fond d’inégalités sociales, de corruption ou de trafic de drogue. Conséquence inattendue : depuis une dizaine d’années, on constate une augmentation des petites Teresa, Juliana, Lucas ou encore Jose dans les maternités africaines. Et que dire de l’impact du football brésilien sur la planète quand on sait que plus de trois milliards de téléspectateurs ont regardé la Coupe du monde de 2010 ? L’emblématique équipe nationale participe activement, elle aussi, à la renommée internationale du pays du « futebol ». Avec plus de 500 joueurs professionnels brésiliens évoluant rien qu’en Europe, le pays de Pelé a su se placer au premier rang mondial des exportateurs de joueurs. « Même dans ce domaine ludique, mais qui est aussi et de plus en plus un business, il est clair que la position du Brésil dans la mondialisation se renforce », résume Hervé Théry, directeur de recherche au CNRS-Creda et professeur à l’Université de Sao Paulo (1).
Joue-là comme Lula
L’émergence des charmes brésiliens chez les gringos ne date pas d’hier. Dans les années 1950, la musique et le cinéma brésiliens avaient déjà largement dépassé les frontières latino-américaines pour venir conquérir l’Europe et le reste du monde grâce à des artistes comme João Gilberto ou des films comme « Orfeu Negro ». « A cette époque, il n’y avait aucune volonté politique d’exploiter cet atout car le pays vivait sous une dictature militaire, observe Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS sur les questions ibériques. Ce n’est qu’avec l’avènement de Lula au pouvoir que le pays a pris un positionnement clair en faveur du soft power. » Cette stratégie d’influence n’a pas eu à souffrir de l’alternance politique puisque l’actuelle présidente, Dilma Rousseff, n’a pas hésité, dans une moindre mesure, à emboîter le pas de son prédécesseur. Lors de son discours de politique générale devant le Parlement, la chef d’Etat a nettement affiché sa volonté de jouer la carte de la diplomatie culturelle : « Nous allons investir dans la culture et accroître notre production de biens culturels. Nous allons également développer nos exportations de musique, de cinéma et de littérature qui sont les emblèmes vivants de notre présence dans le monde. » Et ce positionnement stratégique semble payant. Même si le Brésil connaît depuis trois ans un fort ralentissement de sa croissance, le pays émergent s’est hissé en quelques années dans le cercle fermé des dix plus grandes économies mondiales. Est-ce à dire qu’il suffit à un pays de ne plus vivre caché pour vivre une économie heureuse ? Rien n’est moins sûr. Nombre d’observateurs, à l’instar de Carlos Quenan, vice-président de l’Institut des Amériques, nuancent l’impact du soft power sur l’économie d’une puissance. « L’essor économique qu’a connu le Brésil jusqu’en 2010 tient moins au développement de la politique de soft power qu’au vaste programme de réformes économiques et sociales qui ont été engagées sous Lula », souligne ce professeur d’économie à la Sorbonne Nouvelle.
Une stratégie d’influence hors-jeu ?
Même son de cloche pour Hervé Théry, spécialiste du Brésil. « Même si les marchés du football et des telenovelas représentent des centaines de millions d’euros dans l’économie brésilienne, ces atouts de séduction restent néanmoins davantage symboliques au regard du reste de l’économie. » Le Brésil doit en effet, principalement, sa prospérité a ses ressources naturelles. « La ferme du monde » représente plus de 22% du PIB et emploie le cinquième de la population. Premier producteur de café et de canne à sucre dans le monde et deuxième producteur de graines de soja derrière les Etats-Unis, le titan agricole possède, en outre, une grande richesse en ressources naturelles telles que le pétrole et les métaux qui en font un grand producteur de matières premières. Un terrain fertile qui a donné naissance à des géants comme Vale ou encore Petrobras. Autant d’atouts économiques et touristiques qui ont aussi permis au Brésil d’accueillir les deux prochains événements sportifs planétaires. La Coupe du monde de football de cette année et les Jeux olympiques de 2016 offriront une extraordinaire vitrine sur le monde à des Brésiliens toujours soucieux de présenter leur pays sous un jour favorable. Ces deux grands rendez-vous devraient avoir un impact majeur en termes d’image mais aussi de retombées économiques. A condition que les deux fêtes sportives ne virent pas au cauchemar. D’importants problèmes de logistique (retard dans la construction, manque d’infrastructures, etc.) et des manifestations sociales pourraient renvoyer au monde entier une image désastreuse du Brésil et plonger le pays dans une crise profonde. Gare aux stratégies de communication trop poussées qui pourraient se retourner contre leur instigateur. Parions que le Brésil, passé maître dans l’art des dribbles, saura tacler les trouble-fêtes.
(1) « Le Brésil, pays émergé » d’Hervé Théry, éd. Armand Colin, 2014
Article réalisé par Aude Abback-Mazoué