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Les États-Unis ont les Gafam, qu’on ne présente plus. La France ses « Pareo » – en référence à Peugeot (devenu PSA puis Stellantis), Airbus, Renault, EDF et Orange. Non les deux pays ne jouent pas dans la même cour. Mais ils se doivent, c’est aussi vrai pour d’autres États, de mettre en avant leurs grandes entreprises pour démontrer leur puissance à l’international. Pourtant, loin des sociétés mastodontes, le poids économique de l’hexagone provient davantage de ses petites structures, les fameuses PME-TPE. Lesquelles représentent 99 % de l’ensemble des entreprises tricolores. TPE-PME, à quoi bon ne pas vouloir grandir ?
On a longtemps expliqué la réticence de nos entreprises à grandir par les franchissements de seuils. Dépasser tel ou tel nombre de salarié·es pouvait entraîner des devoirs et obligations – donc des contraintes supplémentaires – pour les sociétés françaises. Mais depuis la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, comprenez loi Pacte, les effets de seuil se sont clairement adoucis. Depuis janvier 2020, les seuils sociaux d’effectifs ont largement été harmonisés, autour de trois niveaux – 11, 50 et 250 salarié·es. Soit bien moins qu’avant. La loi Pacte a notamment supprimé le seuil de 20 salarié·es, hormis pour l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés (OETH). Pour un franchissement à la hausse, les effets de seuil ont aussi été lissés dans le temps : les obligations seront effectives – sauf exception – uniquement lorsque le seuil sera atteint ou franchi pendant cinq années civiles consécutives. Bref, le refus de grandir pour éviter de franchir tel ou tel seuil paraît quelque peu dépassé.
Une peur de grandir ?
Tous·tes les dirigeant·es ne font pas forcément une priorité à voir leur entreprise grossir encore et encore. Fin 2017 déjà, le journal Maddyness, qui s’appuie sur une étude menée par la plate-forme de gestion Teamleader, rappelle l’un des principaux freins à la croissance d’une entreprise : le·la dirigeant·e ! Dans le détail, 25 % des dirigeant·es de PME estiment que le stade de développement de leur entreprise est satisfaisant et qu’ils·elles n’envisagent pas de passer un cap supérieur. Dans le même sens, environ 30 % – seulement – des patron·nes interrogé·es font de la croissance de leur entreprise une priorité… de quoi sans doute briser les idées reçues !
Mais surtout, ce qu’il ressort de cette étude, c’est l’aversion au risque. Puisqu’un risque considéré comme trop élevé freine plus de 45 % des dirigeant·es ! L’extrême prudence des entrepreneur·ses français·es – en comparaison notamment avec leurs homologues des pays anglo-saxons – dépasserait donc le mythe. Grandir, c’est prendre le risque de tomber de plus haut. Hautement redouté dans un pays qui stigmatise bien trop, encore aujourd’hui, l’échec. Alors, les boîtes bleu blanc rouge seraient-elles victimes du syndrome de Peter Pan ? Là encore, une enquête réalisée par Réseau Entreprendre chiffre à un quart seulement le nombre de chef·fes d’entreprise qui ne perçoivent aucune limite à leur croissance. On a ici une réelle tendance à s’accommoder de ce qui fonctionne bien, à rester dans une zone de confort qui serait mise en péril en cas de trop fort développement. Mais plutôt que de pointer du doigt un soupçonné manque d’ambition des entreprises françaises, penchons-nous sur les raisons pour lesquelles leur petite taille leur va si bien…
Des avantages certains
C’est bien l’agilité des PME et TPE qui revient dès lors que l’on évoque les atouts des petites structures. Agilité ou flexibilité. Un même changement, qu’il relève d’une évolution dans l’organisation d’une entreprise ou d’une rupture avec une stratégie antérieure, n’entraînera pas le même degré de bureaucratie et de ralentissement du processus d’activité selon s’il opère au sein d’une TPE ou d’un grand groupe. Quatre chercheurs et experts ont pointé le phénomène dans un article de recherche publié en 2020 – et intitulé Innovation et agilité – identification de stratégies de déploiement pour le développement des PME. « À sa création, une entreprise est généralement très agile, parce que l’adaptation est un facteur différenciateur par rapport aux grandes entreprises déjà installées sur les marchés et parce que les moyens financiers, souvent plus limités, conduisent à exploiter au maximum les ressources existantes. Cette agilité a tendance à disparaître avec la croissance de l’entreprise […] en raison notamment de l’augmentation des moyens, du cloisonnement des services et de la multiplication des niveaux hiérarchiques », écrivent dans leur article Laurent Muller, Carlos Moya, Mauricio Carmago et Stéphane Gouttes. Bref, les plus petites entreprises ont cette faculté à s’adapter plus rapidement aux variations du marché. Et c’est notamment cette force d’agilité que veulent garder les patron·nes des PME ou TPE.
En parallèle, les entreprises à taille humaine apportent davantage de confiance entre patron·nes et collaborateur·rices. Du fait d’une plus grande proximité entre tous les échelons hiérarchiques. Sur un plan plus global, les Français·es voient d’un bon œil les dirigeant·es des PME et TPE ! À en croire un sondage Ifop mené en 2019, ces « petit·es patron·es » rassurent (à presque 60 %). Un chiffre d’autant plus étonnant qu’à l’époque, la société se trouvait en pleine crise des gilets jaunes et marquée par une défiance envers tous types d’autorités. Alors vous le comprenez, les petites structures attirent. Notamment pour l’aspect humain qu’on serait susceptible de moins retrouver au sein d’ETI ou de grands groupes. Aller travailler aujourd’hui, c’est avant tout rejoindre non pas des collègues mais des ami·es (55 % des jeunes salarié·es le pensent d’après un sondage sorti en octobre). Et les relations fortes se tissent en petits comités.
Gérer les relations avec les grands groupes
Il est indéniable que les TPE et PME jouent parfois les sous-traitantes pour de grands groupes. Dans le secteur des transports routiers de marchandises (TRM) express, par exemple, « les sous-traitants représentent plus de 50 % d’entreprises individuelles et même 89 % d’entreprises de moins de 10 salarié·es […] Les donneurs d’ordres à l’inverse sont des groupes de grande taille, ce qui implique un déséquilibre de poids économique dans la relation commerciale », écrit en 2020 dans la revue Droit et Société la chercheuse Pétronille Rème-Harnay. Sachez qu’il y a dépendance économique dès lors qu’une « entreprise réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires avec un même donneur d’ordre, sans pouvoir disposer de solution équivalente » – Stéphane Carré, spécialiste en droit commercial, notamment.
Mais voyons au-delà, dans une relation où David se mêle à Goliath, la petite structure peut aussi tirer des effets d’aubaine. C’est le cas, entre autres, de la start-up WeWard, habituée à nouer des partenariats avec des grands groupes – comme Nike, Adidas, Philips, Booking.com etc. Son PDG, Yves Benchimol, nous le confirmait fin septembre : « Un partenariat réussi entre une start-up et un grand groupe est gage d’une meilleure visibilité, surtout pour la première. » Parmi les autres bénéfices : une plus forte présence à l’international ! Mais Yves Benchimol le répète, « nous avons déjà noué une trentaine de partenariats avec de grands groupes », l’objectif n’est pas de se raccrocher à une seule grande entreprise, sous peine de basculer dans une situation de dépendance. Autrement dit, la petite taille de certaines structures ne rime pas forcément avec un tandem asymétrique, dans le cadre d’un partenariat, dès lors que la TPE, PME ou start-up, ne met pas tous ses œufs dans le même panier.
Geoffrey Wetzel
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