Lost in transition

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Le débat national sur la transition énergétique, engagé fin janvier et qui débouchera sur un projet de loi cet automne, soulève bien des questions : quelle place pour le nucléaire et l’énergie verte ?
Quel en sera le prix ? Quel impact économique ?

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120 milliards d’euros, c’est 6% du PIB annuel de la France. C’est aussi, selon les calculs de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) récemment publiés, ce que coûterait un accident nucléaire grave à la France. Pour une catastrophe de type Fukushima, comptez 430 milliards d’euros. L’essentiel du coût serait dû à un abandon accéléré du nucléaire et à l’impact sur le tourisme et le secteur agroalimentaire d’une image dégradée du pays. En plus de justifier les efforts demandés pour la sûreté des centrales, cette étude apporte un éclairage nouveau sur le débat national sur la transition énergétique engagé par la ministre de l’écologie, Delphine Batho, le 30 janvier 2013. Celui-ci, qui devrait déboucher sur un projet de loi à l’automne 2013, fait suite à la conférence environnementale de septembre 2012, où Jean-Marc Ayrault avait donné le coup d’envoi à cette fameuse transition énergétique : « Il faut rompre avec le tout nucléaire pour la production d’électricité, mais il faut rompre aussi avec le tout pétrole pour les transports, car ils sont antinomiques avec cette société de la sobriété que nous voulons promouvoir », avait-il alors déclaré. Mais à quel rythme et pour quels objectifs ? Déjà, des voix se font entendre pour appeler à la modération : « La façon dont on prend aujourd’hui la transition énergétique risque de pénaliser la croissance française », affirme ainsi Jacques Masurel, président de l’association Sauvons le Climat.

Le prix de la transition

La transition énergétique présente bien des intérêts. D’abord, elle permettrait de réduire la dépendance du pays aux combustibles qu’il importe : « Sa facture énergétique est de 60 milliards d’euros, soit exactement le montant du déficit de notre balance commerciale », calcule Corentin Sivy, animateur de la commission Ecologie du think-tank Terra Nova. Ensuite, elle permettrait de créer des emplois, notamment dans les filières des énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque, à condition de développer ces secteurs d’activité plutôt que d’importer les équipements, ou dans le bâtiment, par la rénovation des bâtiments anciens. Surtout, elle nous épargnerait les risques de l’atome et réduirait les émissions de gaz à effet de serre. Car cette transition n’implique pas seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi la diminution de la consommation d’énergie. Le chantier est vaste et implique de nombreux pans de la société : bâtiment, transport, industrie… Il est aussi économiquement sensible, car très coûteux, alors que la période est plutôt à la rigueur.
Il suffit de regarder de l’autre côté du Rhin pour se rendre compte que le passage d’un modèle énergétique à un autre n’est pas chose aisée. En 2011, l’Allemagne a lancé sa propre transition, sous le nom « d’Energiewende », avec des objectifs radicaux : abandon du nucléaire avant 2022 et réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95% avant 2050. Pour cela, gaz, pétrole et charbon céderaient leur place aux énergies renouvelables, qui compteront à terme pour 80% de l’électricité consommée, contre 23% aujourd’hui. Dans la pratique, les défis posés ne seront pas simples à relever. Pour relier le réseau aux parcs d’éoliennes off-shore en mer du Nord et dans la Baltique, il faudra débourser 32 milliards d’euros pour construire 3500 km de lignes. Le prix de l’électricité devrait encore augmenter, alors qu’elle coûte déjà deux fois plus cher qu’en France. Le stockage de l’électricité solaire et éolienne devra progresser, car les jours sans soleil ni vent, il faudra recourir à de coûteuses centrales à gaz.
En France, l’abandon du nucléaire n’est pas officiellement envisagé, et l’Etat n’a pas encore établi de scénario à long terme. Seul engagement : celui pris auprès de l’Union européenne de réduire les émissions de CO2 de 20%, d’améliorer l’efficacité énergétique de 20%, et de faire passer la part des énergies renouvelables dans son « mix » énergétique à 23%, contre à peine 13% aujourd’hui.

Les énergies vertes à la peine

Ce dernier engagement est-il réaliste alors que celui d’atteindre 21% d’électricité consommée d’origine renouvelable en 2010 a déjà été manqué ? « L’objectif n’est pas farfelu compte tenu du potentiel de l’Hexagone, assure Joël Vormus, responsable projets au Comité de liaison des énergies renouvelables (Cler). La richesse renouvelable du pays est unique en Europe, avec une grande réserve de forêts, les côtes les plus longues du continent et un ensoleillement important. » Dès 2008, l’Etat s’est donc doté d’une batterie de mesures pour tirer le meilleur profit de cet avantage : crédit d’impôt pour les moyens de production utilisant les énergies vertes, tarifs d’achat spécifiques pour chaque filière, simplification des démarches administratives pour les projets domestiques, aides spécifiques pour la Recherche…
Mais passé le premier élan d’enthousiasme du Grenelle, les choix politiques n’ont pas brillé par leur stabilité. « Le stop and go a été regrettable pour la visibilité des petites entreprises », déplore Thierry Salomon, président de Negawatt, une association qui milite pour la transition énergétique. Le secteur photovoltaïque a ainsi pâti des hésitations des pouvoirs publics : « Après avoir fixé des tarifs d’achat trop favorables, ce qui a créé une bulle, l’Etat les a brutalement modifiés pour éviter la surchauffe », rappelle Joël Vormus. Résultat, en 2011, le secteur a perdu 62750 emplois, selon les calculs d’Observ’ER.
Du côté de l’éolien, le vent semblait être plus favorable. Le pays dispose du deuxième potentiel en Europe derrière le Royaume-Uni et jusqu’en 2011, le taux d’installation augmentait régulièrement, dopé par des coûts en forte baisse, qui permettaient même à certains exploitants de se passer des tarifs d’achat pour vendre leur énergie sur le marché. Mais voilà qu’en août 2010, le gouvernement a soumis l’éolien terrestre au pointilleux régime des Installations classées pour l’environnement (ICPE). Résultat : des démarches plus longues et plus complexes pour les exploitants, devenus aussi plus vulnérables aux fréquents recours des anti-éoliens. « En France, il faut plus de cinq ans pour faire aboutir un projet, contre deux à trois ans en Allemagne », déplore Joël Vormus. Du coup, en 2011, Observ’ER a calculé que le taux d’installation a diminué de moitié par rapport à 2010. Pour Jacques Masurel, de Sauvons le Climat, ce n’est pas une si mauvaise nouvelle : « Le développement de l’éolien et du photovoltaïque renchérit considérablement le coût de l’électricité, avec un effet direct sur le pouvoir d’achat, et leur impact sur les créations d’emploi est discutable, car beaucoup de produits sont importés et ne bénéficient pas aux filières françaises ». Pour combattre le dioxyde de carbone (CO2), son association milite pour le maintien de la part du nucléaire dans la production électrique en parallèle à l’utilisation d’énergies renouvelables de type chaleur.
D’ailleurs, cette dernière se porte un peu mieux que le solaire et l’éolien, en particulier grâce au Fonds chaleur, doté de 1,2 milliards d’euros, qui a pour objectif de développer biomasse, géothermie et solaire thermique. Mais il ne soutient que l’effort des bâtiments collectifs et des collectivités locales, pas celui des particuliers. Or, le principal frein au développement du renouvelable en France reste l’atome : le parc de centrales amorties offre une électricité très bon marché à des particuliers qui ne voient souvent pas l’intérêt de s’équiper en chauffe-eau thermodynamiques ou solaires pour produire une énergie somme toute plus onéreuse.
En outre, les EnR, comme on les surnomme, se heurtent à la tradition centralisatrice du pays de Colbert alors qu’elles sont, par définition, décentralisées. « L’Etat a davantage opté pour les appels d’offres qui favorisent les grands groupes, comme pour les centrales biomasse ou l’éolien offshore, que pour les tarifs d’achat, qui permettraient à des entreprises plus modestes et aux particuliers de s’emparer du sujet », pointe Joël Vormus.
Quel bilan peut-on tirer aujourd’hui ? Bien qu’en quantité la France produise beaucoup d’énergie estampillée renouvelable, elle fait figure de mauvaise élève européenne, puisqu’elle se place 16e sur 27 pour la part de ces énergies dans la consommation brute d’électricité en 2011, avec 12,8%, et 12e pour la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation brute d’énergie finale, avec 13,2%. « Le retard sera difficile à rattraper en sept ans », redoute déjà Thierry Salomon.

Carbone-dépendance

L’autre condition d’une transition énergétique réussie réside dans la réduction de la consommation et des émissions de gaz à effet de serre. « Dans l’industrie, le logement ou les transport, les gisements d’économie sont considérables », assure Thierry Salomon. La chasse au gaspillage est ouverte. Illustration sur ces trois terrains concrets. Le secteur du bâtiment, aussi bien résidentiel que tertiaire, fait figure de priorité, puisqu’il est responsable de 43% de la consommation d’énergie en France, et de 25% des émissions de CO2. Première mesure à prendre : construire des logements et des bureaux sobres en énergie. Le mouvement est lancé, avec la mise en place de la réglementation thermique 2012 (RT 2012), conçue dès le Grenelle de l’environnement, et qui prévoit que toutes les constructions neuves devront remplir les exigences du label « Bâtiment basse consommation » (BBC). A partir de 2020, ces bâtiments devront même être à énergie positive, c’est à dire qu’ils produiront plus d’énergie qu’ils n’en consommeront. Parmi les mesures que le gouvernement devait présenter le 20 mars pour soutenir le BTP, les associations environnementales avaient bon espoir de voir figurer l’objectif de rénover 500000 logements par an à partir de 2017, contre 100000 aujourd’hui. Un projet coûteux – entre cinq et dix milliards d’euros par an – mais qui présenterait l’intérêt de réduire la facture de chauffage des ménages, qui lui consacrent 900 euros en moyenne chaque année.
Les transports sont la première source de gaz à effet de serre en France. Pour les rendre plus propres, l’ennemi numéro 1 est connu : haro sur la voiture ! Bien qu’elle soit aujourd’hui indispensable pour bien des déplacements, aucune chance de réduire les émissions de CO2 si la situation ne change pas. Elle devra se racheter une conduite grâce aux moteurs électrique et hybride. Si ce dernier semble bien parti pour convaincre son monde, grâce à sa simplicité, le moteur électrique, lui, a des retards à l’allumage. La faute à un coût élevé à l’achat mais surtout à un nombre de bornes de recharges encore insuffisant pour pallier une autonomie faiblarde. Début mars, le P-Dg de Renault, Carlos Ghosn, lançait d’ailleurs un SOS à l’occasion d’une interview aux Echos : « La voiture électrique a besoin des infrastructures de recharge ». Mais à long terme, c’est le modèle même de la voiture individuelle qui doit être dépassé. Les véhicules devront être en libre-service, mutualisés, et spécialisés selon leurs usages pour en optimiser la consommation. Grâce à une meilleure organisation urbaine, les temps de trajet seront optimisés. Voire même réduits au strict minimum grâce au développement du télétravail et des « télécentres » à proximité des lieux de vie. Le transport de marchandise aussi devra faire sa mue, en optimisant la logistique, en réduisant les emballages, et en rapprochant les lieux de production des lieux de consommation.

Ecologie industrielle

Si l’industrie a fait des progrès ces dernières décennies, « le gisement est encore important, juge Corentin Sivy, de Terra Nova. On pourrait encore gagner l’équivalent de la production d’un ou deux réacteurs nucléaires ». Ici, les  avancées sont beaucoup plus diffuses, avec une amélioration continue des procédés de fabrication. Un marché autour de cette problématique est d’ailleurs en train d’émerger, puisque des PME, comme CertiNergy, proposent aux industriels de les aider à maîtriser leur consommation et leurs émissions de CO2. Mais « l’énergie n’est pas encore assez chère pour que toutes les innovations aujourd’hui envisageables soient rentables à court terme pour les industriels », regrette Michel Dancette, Directeur innovation et RSE du groupe Fives. Des initiatives originales émergent et dessinent les contours de « l’écologie industrielle ». C’est le cas par exemple de l’éco-conception, qui consiste à prendre en compte tous les aspects environnementaux d’un produit à chaque étape de son cycle de vie, depuis les matières premières jusqu’à la fin de vie, en passant par la logistique et l’usage. Ou l’économie circulaire, qui consiste à intégrer les déchets dans le processus de production afin de mieux les valoriser. Ainsi, depuis 2001, l’association Ecopal, à Dunkerque, rassemble 200 entreprises autour d’une idée simple : « Le système industriel est pensé tel un écosystème naturel – avec ses flux entrants et sortants de matière, d’énergie et d’information – dont le fonctionnement peut évoluer vers un mode durable et efficace où rien ne se perd grâce à une étroite coopération des entreprises (échanges d’informations, transferts énergétiques et hydriques, réutilisation de déchets industriels dans le cycle de production, mutualisation des services…) », comme l’explique son site Internet. Selon l’Ademe, « ces démarches ont un impact positif sur le chiffre d’affaires, ainsi que sur la marge des entreprises », en réduisant leurs coûts par exemple.
La réduction des coûts, voilà un stimulant efficace pour s’engager dans une démarche de développement durable. Un problème que ne connaissent pas les ménages français, habitués qu’ils sont à l’électricité bon marché. Résultat : hors chauffage, ils consomment 25% d’électricité de plus que les ménages allemands. Pour forcer les habitudes et financer la transition énergétique, le gouvernement réfléchit à la mise en place d’une fiscalité écologique. Un comité pour traiter la question a été formé en décembre autour de l’économiste Christian de Perthuis. Sa tâche s’annonce délicate, car les projets de taxes vertes ont toujours peiné à s’imposer en France, comme l’a démontré l’échec de la « contribution carbone », censurée en 2009 par le Conseil Constitutionnel. Les Sages avaient estimé que la loi créait trop d’exemptions – ce qui est « contraire à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique » – ainsi qu’une inégalité face à l’impôt. La lutte contre le carbone, en France, n’est pas un long fleuve tranquille.

Aymeric Marolleau

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