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Il est temps de s’initier à ce monde spéculatif extravagant mais réel.
Des nuls, nous sommes nombreux à en faire partie. Avec ce regret : « Et si je passais à côté de l’enrichissement, puisque l’on n’arrête pas de me dire que telle cryptomonnaie atteint des records ! » Possible. Comme il l’est tout autant de perdre sa mise. Vraiment ? Deux journalistes se sont pris au jeu du mode d’emploi de cette monnaie aussi virtuelle que spéculative dont la crédibilité repose sur un concept technologique du XXIe siècle tout aussi abscons, celui de la « chaîne de blocs » (blockchain). On peut tout acheter en bitcoins et autres ether, dash, ripple ou litecoin, et même des œuvres d’art. Chiche ? On est tombé sur ce passage en or massif (quoique virtuel). On a beau être nuls, on n’en est pas moins attentif·ves…
L’œuvre numérique quotidienne de Beeple rassemblée sous forme de mosaïque
Le 11 mars 2021, une nouvelle fait la une de médias du monde entier.
Depuis le 1er mai 2007, l’artiste Beeple s’était astreint à réaliser une œuvre numérique chaque jour. Le 7 janvier 2021, la 5 000e œuvre de cette série a vu le jour.
Beeple a alors décidé de réaliser une vaste mosaïque de ces diverses créations entreprises depuis 2007. Il s’agit d’un NFT*, soit une œuvre numérique associée à un code qui la rend unique sur la blockchain Ethereum. Mise en vente par Christies à partir du 22 février, l’œuvre intitulée Everydays : The First 5 000 Days a finalement été emportée pour 69,3 millions de dollars, un record.
Fin février, Beeple avait déjà fait parler de lui grâce à la vente d’une œuvre, Crossroads, une satire de l’ancien président Donald Trump, qui avait atteint 6,6 millions de dollars.
La vente de Everydays : The First 5 000 Days a marqué un tournant à deux égards. Alors qu’il était encore peu connu quelques mois plus tôt, Beeple est devenu, du jour au lendemain, l’un des trois artistes les plus chers du monde, derrière David Hockney et Jeff Koons.
Avant tout, cette vente record a mis en avant le phénomène lié aux cryptomonnaies que sont les NFT. Des œuvres numériques rendues uniques par la blockchain et susceptibles à ce titre d’attirer un public prêt à débourser ses ETH [ether] ou autres monnaies pour les acquérir.
Grâce aux NFT, l’artiste australienne Serwah Attafuah a pu vendre certaines de ses œuvres sur des plates-formes telles que Sothebys.
Autant le dire, cette nouvelle marotte de l’univers numérique a de quoi dérouter. D’une certaine façon, il paraît normal de considérer que des logiciels tels qu’Adobe Illustrator ou Photosphop, Cinema4D ou Octane sont devenus les pinceaux des artistes de l’ère numérique. Et donc apparaître salutaire de voir émerger un système qui autorise la vente de ce qui s’apparente à de véritables œuvres d’art.
Le tout premier tweet de Jack Dorsey, fondateur de Tweeter, a été acquis par un internaute identifié comme @sinaEstavi
Il reste qu’un marché lucratif s’est rapidement mis en place et qu’il serait possible de le qualifier de « fétichisme geek ». Car certaines des œuvres les plus prisées sont souvent des fragments de codes ou communication jugés comme historiques pour le fan-club des milliardaires de la Silicon Valley.
Tel Jack Dorsey, le fondateur de Twitter, qui a pu vendre pour 2,9 millions de dollars son premier tweet :
« just setting up my twttr »
(je prépare mon compte Twitter)
Ce tweet remontait au 21 mars 2006, il avait été mis en vente aux enchères sur Valuables, en décembre 2020. Le plus étrange, c’est que durant plusieurs mois ce NFT a plafonné aux alentours des 3 500 dollars avant de soudain dépasser le million de dollars le 6 mars 2021 ! Et atteindre l’équivalent de 2,5 millions de dollars. La montée en flèche d’Ethereum durant les 15 jours qui ont suivi a fait le reste. Il est bon de noter que Jack Dorsey a fait don de ce montant à une association caritative.
L’acheteur du tweet de Jack Dorsey, Sina Estavi, est le PDG d’un exchange iranien de cryptomonnaies, Cryptoland. Le 19 mai 2021, il a été arrêté par les autorités de son pays, en raison d’activités potentiellement irrégulières pratiquées par cet exchange. Il n’en demeure pas moins le propriétaire du NFT de Jack Dorsey.
Le lanceur d’alerte Edward Snowden a vendu pour l’équivalent de 5,4 millions de dollars la copie d’une décision de justice !
Et que dire du NFT mis en ligne le 16 avril 2021 par le célèbre lanceur d’alerte Edward Snowden – qui a révélé en 2013 comment l’agence de renseignement américaine NSA opérait des activités de surveillance des citoyens américains avec la participation indirecte de sociétés comme Yahoo !, Google ou Facebook. Le NFT de Snowden consiste simplement en une copie de la décision de justice selon laquelle cette surveillance de masse avait violé la loi – avec au bas, la signature du même Snowden. Cette « création » s’est tout de même vendu 2 224 ETH, soit 5,4 millions de dollars.
Daniel Ichbiah et Jean-Martial Lefranc, Le Bitcoin et les cryptomonnaies pour les Nuls, First interactive, octobre 2021.
*NFT (non-fungible token, littéralement « jeton non fongible ») est un type spécial de jeton cryptographique qui représente un objet numérique tel qu’une image, une vidéo, un fichier audio, donc aussi une œuvre d’art, auquel est rattachée une identité numérique qui est reliée à un ensemble non vide de propriétaires.