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« Nos start-up partent à l’étranger, et c’est pour le mieux »
Les jeunes pousses françaises de l’innovation et de l’entrepreneuriat ont le vent dans le dos. En revanche, les investisseurs français peinent à suivre le rythme, et nos start-up tendent de plus en plus à se tourner vers l’étranger pour trouver leur compte et assurer leur pérennité. Dans une tribune publiée par Maddyness, Vincent Charlet, délégué général de La Fabrique de l’industrie, voit l’omniprésence des capitaux étrangers au sein de nos jeunes entreprises comme une bonne chose.
Dernièrement, les levées de fonds en provenance de tous horizons réalisées par les start-up françaises se succèdent et des records d’investissements tombent. La French Tech est une tendance qui roule, et les jeunes pousses de métropole bousculent le marché avec leurs innovations. Qui dit projets inédits et offres alléchantes dit fonds et investissements conséquents. Car voilà le hic : les fonds français et les entreprises tricolores ne sont que rarement en position de force au sein des tours de table et des levées de fonds. Et pour cause, les montants français investis sont bien en-deçà de leurs pendants étrangers. De telle sorte que les fonds internationaux sont aujourd’hui indispensables à la survie de nos start-up, affirme Vincent Charlet. Et sont en outre une source de revenus pour l’État. La conviction du délégué général de La Fabrique de l’industrie : il ne faut pas combattre ces rachats étrangers au nom d’un pseudo « patriotisme économique » qui empêche de bien analyser la situation. L’intervention des pouvoirs publics dans des transactions entre groupes privés n’a pas que du bon, loin de là. Parmi les leviers plus « offensifs » à privilégier, l’auteur de la tribune relève notamment la création d’une place boursière française ou européenne capable de rivaliser avec le tout puissant Nasdaq américain. Pas une mince affaire. ABA
Les start-up françaises ont la cote. Pour preuve, la French Tech a réussi à lever plus de 2 milliards d’euros d’investissement privé en septembre. Un record. En revanche, à un moment, les fonds français ne peuvent plus suivre.
Mirakl, Sorare. Aussi encourageantes que soient les nouvelles de leurs levées de fonds exceptionnelles, on s’aperçoit rapidement de l’absence d’entreprise ou de fonds français en position de leader des tours de table. En soutien de premier plan, on trouve plutôt Silver Lake ou SoftBank. L’écosystème français est en effet très actif en early stage, le plus souvent sous la barre des 50 millions d’euros. En revanche, lorsque ces pépites ont besoin de consolider leur activité, en late stage, les investissements français se raréfient.
Une offre domestique quasi-absente sur le late stage
À ce stade, ce sont en effet les capitaux d’origine européenne qui prennent le relais : ils représentent 21 % des levées en capital-risque pour la tranche 50-100 millions d’euros, 31 % pour la tranche 100- 250 millions d’euros et 80 % des levées supérieures à 250 millions d’euros. Sont également présents les capitaux non-européens, comme en témoigne la levée record de 585 millions d’euros pour Sorare menée par Softbank. On est loin des montants français !
Ce phénomène se confirme d’ailleurs au niveau des exits. Entre 2015 et 2021, seuls 36 % des rachats de start-up françaises provenaient d’acquéreurs nationaux. La plupart de nos pépites passent in fine entre les mains d’acquéreurs étrangers, notamment américains : il faut dire que ces derniers sont capables d’investir des montants trois fois supérieurs en moyenne à ceux de leurs homologues européens (100 millions d’euros contre 30 millions respectivement par exit). L’offre domestique ne semble donc pas suffisamment dynamique pour conserver nos start-up sous pavillon français, ou à tout le moins européen. Ce constat fait, on pourrait se lamenter d’une telle fuite de nos plus belles pousses. Qu’on se rassure au contraire : les acquisitions étrangères sont tout autant un remède qu’un symptôme de la fragilité de l’écosystème français.
Des rachats étrangers dépend la survie de nos start-up
Les rachats étrangers ont en réalité plusieurs vertus – en plus d’être une source de revenus pour l’État. Aujourd’hui, 60 à 90 % des start-up meurent avant d’avoir pu dépasser la phase critique de la « vallée de la mort ». Un rachat étranger permet donc avant tout la survie d’une start-up, des emplois et des investissements qui y sont liés. Par ailleurs, ces rachats s’accompagnent très rarement d’une délocalisation des activités et favorisent au contraire la création d’emplois sur le sol français.
À titre d’exemple, Logmatic employait 10 personnes lors de son rachat en 2017 par Datadog ; elle compte désormais 400 employés à Paris. Plus important encore, les entrepreneurs ayant trouvé un acquéreur deviennent très souvent des business angels qui réinvestissent au capital de jeunes start-up, réinjectant ainsi le revenu de la vente dans l’économie française. D’autres créent de nouvelles entreprises, à l’image de Bruno Maisonnier qui a participé à la création de 17 start-up en France depuis la vente d’Aldebaran Robotics à Softbank en 2012. Loin de constituer une menace pour l’économie française, ces rachats – et les réinvestissements qui en découlent – sont donc bien un moyen efficace et rapide de renforcer notre écosystème.
La meilleure défense, c’est l’attaque
C’est la raison pour laquelle il faut se garder de freiner ces rachats en se laissant emporter par un « patriotisme économique » à trop courte vue. Le blocage du rachat de Dailymotion par Yahoo, au début des années 2010, est un cas d’école : en tentant de « protéger » l’entreprise, l’État l’a en réalité privée de capitaux et d’un appui industriel vital, lui portant finalement un lourd préjudice. Comme si cela n’avait pas suffi, le décret signé par Arnaud Montebourg en 2014, ordonnant que toute prise de participation dans une entreprise française dans un secteur jugé « stratégique » obtienne l’accord des autorités publiques, freine toujours le rachat de certaines de nos start-up. La France n’a que trop renforcé son arsenal défensif en la matière. Il faut au contraire mobiliser des leviers offensifs, comme la création d’une place boursière susceptible de créer des champions. Si le destin naturel d’une start-up est de se vendre, elle a généralement été conçue et structurée pour s’introduire en Bourse.
Retrouvez l’intégralité de la tribune ici