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Le dernier des sionistes (éditions Les Liens qui Libèrent) est l’exploration des paradoxes du sionisme « dans son histoire européenne et son contexte proche-oriental ». Il se projette dans « un autre sionisme, ouvert, travaillé par le tournant postcolonial de la pensée contemporaine, détaché de la tentation nationaliste et du récit exilique ».
Comment parler du sionisme, un mot « accusé de colonialisme et de nationalisme expansionniste ou encore d’agent du complexe militaro-industriel américain, de capitalisme libéral effréné entraînant une domination politique, quand ce n’est pas de trahison et d’infidélité au judaïsme ». Il faut qu’un philosophe israélien s’en mêle pour que l’on ose enfin exposer l’avenir du sionisme. C’est tout le pari de Raphaël Zagury-Orly, déjà l’auteur de Questionner encore (Éditions Galilée, 2011) et, en collaboration, de L’adversaire privilégié (Galilée, 2021).
Ce Dernier des sionistes (éditions des Liens qui Libèrent) devrait rester lisible pour tous les bords et constituer une réflexion nécessaire depuis le soudain écart du pouvoir du controversé Benyamin Nétanyahou et l’arrivée d’une droite radicale emmenée par le nouveau Premier ministre Naftali Bennett.

Israël va mal. Plus précisément, Israël est usé. Si j’emploie ici le mot d’usure, c’est tout d’abord parce qu’on ne saurait simplement la doser. Il n’y va probablement pas d’un clin d’œil ou d’une décadence comme pourraient le dire les néoconservateurs de tous bords. Ce n’est pas une fatigue passagère. L’usure est trop grave pour cela. Rien à voir non plus avec une quelconque « crise momentanée » de la démocratie et de la raison politique. Nous sommes, d’une certaine façon, en défaut de règles, en manque de normes à partir desquelles mesurer ce qui arrive. Nous ne saurions avoir recours à ces notions dont le sens et l’histoire animent le plus souvent les discussions et logiques socio-économico-politiques. Ces concepts impliquent que l’on ait quelque connaissance de la normalité, de la « bonne santé », de la finalité ou du dessein, du cap ou de l’orientation de l’histoire. Évoquer une « crise » ou un « déclin », c’est inévitablement parler de « moment à traverser », de « pathologie momentanée », de laquelle, en appliquant les soins appropriés, il sera toujours possible de guérir. Cela sous-entendrait que l’on sait trouver l’horizon de la normalité et comment dépasser ce qui serait provisoirement interrompu. (page 11)
L’enjeu pour les Juifs, à en croire Netanyahou serait de s’adapter, voire se fondre dans la région, au Proche et Moyen-Orient, si l’on ne veut pas « se faire balayer » parce que nous maintiendrions des valeurs démocratiques, abstraites et universelles. Il faudrait se conformer à la compétition, l’autoritarisme, la loi de la jungle, à l’égoïsme national et de la, à la course aux armements. Selon ce manichéisme, les seules options sont soit la survie par l’adaptation à la mondialisation néolibérale et à la soi-disant culture politique rétrograde de la région, soit la disparition des Israéliens. (page 102)
En exil, on ne se pose pas de la même manière la question de savoir ce que veut et peut vouloir dire « être-juif » politiquement. Être juif en France ou aux États-Unis ne soulève pas le même ordre de questionnement qu’être juif en Israël. Car en diaspora, le Juif vit en état de minorité, son horizon politique est déterminé par les craintes, les revendications, les aspirations d’une minorité au sein d’un État-nation constitué. À l’inverse, l’espace politique israélien rejoue entièrement et de nouveau la question politique par excellence : comment constituer un État capable de faire droit à un vivre ensemble équilibré ? Dans le cas particulier d’Israël, cette dernière interrogation peut se poser de quatre façons : la constitution de l’État se construira-t-elle comme État-nation, comme État-thoracratique, comme État-citoyen ou comme une tout autre détermination politique encore d’en finir ? J’énonce ces formes sans hiérarchisation.
Évidemment, je soutiens que la constitution de l’État d’Israël doit éviter toute forme de thoracratie et se méfier sans relâche pour s’en prémunir du risque de sombrer dans l’identité nationale et nationaliste qui guette toujours l’État-nation. Je pense également qu’il est bon de soupçonner les différentes formes d’État-citoyen qui paraissent aujourd’hui usées et produisent des contre-mouvements antipolitiques inquiétants. (p. 130)