Le verbatim de… Marie Girard, enseignante

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Marie Girard est enseignante en classes préparatoires et membre du bureau national d’Action & Démocratie. Pour Le Figaro, elle livre sa vision sur ce que l’on appelle encore « baccalauréat » et la réforme du lycée…

Les chiffres ont de quoi donner le tournis. Mais ils confirment l’excellent cru de 2020. Cette année, près de 94 % des 732 000 candidat·es au baccalauréat ont décroché le fameux sésame ! Du moins si l’on inclut la première session de rattrapages. Une édition quasi exclusivement basée sur le contrôle continu,  les candidat·es en terminale ont tout de même passé en fin d’année les épreuves de philosophie et le fameux grand oral. Pour la philo, seule la meilleure note entre le contrôle continu et l’examen était retenue. Mais le côté exceptionnel devrait perdurer puisque le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer entend renforcer le contrôle continu pour le baccalauréat. Encore une réforme après… celle du lycée entamée en 2018 et notamment la disparition des filières scientifique, littéraire et économique et sociale. GW

Nous émergeons à peine d’un an et demi d’un enseignement chaotique où tout ce qui fait la stabilité de l’institution scolaire, a volé en éclat. Certes, les écoles, les collèges et les lycées sont restés ouverts la majeure partie du temps. L’opinion publique a retenu cette « exception française ». Encore faut-il entrouvrir la porte de nos établissements scolaires pour voir ce qui, durant ces longs mois d’incertitude, s’y est réellement passé : innombrables protocoles sanitaires tous aussi rocambolesques les uns que les autres jetés en pâture à une opinion publique chauffée à blanc, diplômes bâclés, programmes inachevés, affectations dans l’enseignement supérieur relevant de la loterie, décisions arbitraires qui permirent à certaines épreuves de se dérouler tandis que d’autres furent annulées.

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Comme par hasard, la crise sanitaire coïncida avec la mise en œuvre de la réforme du lycée et de ce que l’on appelle encore le baccalauréat. L’ultime baccalauréat ancienne manière (2020) fut délivré sur la base du contrôle continu pour les raisons que l’on connaît : exceptionnel, pour cause de force majeure, nous disait-on. Le premier baccalauréat nouvelle manière (2021) est lui aussi assaisonné d’une bonne dose de contrôle continu. De telles décisions ne manquent pas d’engendrer ce qui était prévisible : les relations entre les professeurs ou chefs d’établissements d’une part et les élèves et leur famille d’autre part s’en sont trouvées considérablement dégradées. On ne compte plus les plaintes déposées par les familles remettant en cause la notation des professeurs, on ne compte plus les pressions exercées sur les chefs d’établissement ni les notes remontées de manière intempestive. Les injustices s’accumulent, la défiance des uns envers les autres, familles contre professeurs, professeurs contre chefs d’établissement, chefs d’établissement contre familles et pire encore élèves contre élèves, professeurs contre professeurs. Ce climat dégradé n’a d’égal que le climat d’amateurisme qui règne dans les salles des professeurs : professeurs, chefs d’établissement attendant des consignes qui n’arrivent jamais qu’avec retard, des professeurs ignorant le format des épreuves auxquelles ils doivent former leurs élèves, des délibérations de baccalauréat retardées pour cause de problèmes techniques, des logiciels inopérants, des copies proposées à des correcteurs en échange d’heures supplémentaires distribuées de manière anarchique etc.

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Cerise sur ce très mauvais gâteau, nous apprenons que l’exceptionnel est en passe de devenir pérenne : Jean-Michel Blanquer souhaite pérenniser ce mode d’évaluation et augmenter la part de contrôle continu dans ce que l’on appelle encore baccalauréat.

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À ceux qui se réjouissent de la disparition du baccalauréat, nous ne pouvons que leur donner raison quant au fait que le baccalauréat a été vidé petit à petit de sa substance, au gré des réformes et des injonctions ministérielles. La méthode est habile. En négligeant chaque petite dégradation, nous avons laissé ce monument national se dégrader. Aujourd’hui, il faudrait, nous dit-on, se réjouir de sa mort.

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À ceux qui prétendent que cette nouvelle réforme sauvera ce monument de l’effondrement, nous aimerions seulement leur rappeler qu’ils auraient été bien inspirés de venir faire un petit tour incognito dans une salle des professeurs. Ils auraient entendu quatre ans plus tôt, ce qu’ils dénoncent aujourd’hui du haut de leur Olympe : un système trop complexe où nos élèves sont en permanence évalués, enjoints de faire des choix qu’ils sont incapables de poser.

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« Les idées sont comme les jolies filles: elles peuvent aussi mal tourner », disait Bernanos. Sur le papier, la réforme du lycée était belle. Mais nous savions tous qu’elle était illisible et qu’elle était surtout parfaitement inadaptée à des adolescents. Comment peut-on imaginer demander à un élève de quinze ans d’inventer son parcours d’étude ? Évalués en fin de première, évalués en milieu de terminale, évalués en fin de terminale, jouant de stratagème sur Parcoursup, nos élèves sont désormais transformés en joueurs de dés. Certains arrivent en fin de terminale et découvrent qu’ils ont mal misé.

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Aussi cette réforme a-t-elle à peine vu le jour que nous avons l’impression fâcheuse que nos dirigeants cherchent à se sortir du mauvais pas dans lequel ils se sont mis. La suppression des « E3C » [épreuves communes du contrôle continu, ndlr] qui devaient évaluer le tronc commun en milieu de terminale, vise sans doute à les sortir de cette usine à gaz que constitue ce nouveau baccalauréat. »

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Mais, il y a fort à parier que toutes ces nouvelles idées les feront tomber de Charybde en Scylla. « C’est ainsi que le plus souvent quand on pense sortir d’une mauvaise affaire, on s’enfonce encore plus avant» , prévient Jean de la Fontaine (Fable, « La vieille et les deux Servantes », Livre V, fable 6).

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Le nouveau contrôle continu ne fera que décharger sur les chefs d’établissement l’organisation de ces fameux E3C. L’État serait-il en train de se défausser de ses responsabilités sur les établissements ? Chefs d’établissement et professeurs seront seuls à porter à bout de bras une institution, souvent en prise avec des parents, eux-mêmes follement inquiets de l’avenir de leurs enfants.

> L’intégralité de la tribune ici.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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