Le verbatim de… Corinne Lepage, avocate et ex-ministre de l’Environnement

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Total, ennemi de la transition climatique ?

« Total savait, Total ment ? » Depuis la sortie, le 20 octobre, d’un documentaire « coup de poing » qui accuse la multinationale d’avoir instillé le doute autour de l’urgence climatique, les esprits s’échauffent. Les trois historiens, à l’origine de ce documentaire, ont décortiqué, retracé et regroupé, archives à l’appui, les actions du géant pétrolier sur cinquante ans… Verdict ? Total aurait tenté de discréditer la science, en minimisant les effets du réchauffement climatique. Ainsi, le groupe évitait tout contrôle de ses activités. Une manière de poursuivre, dans l’ombre, la production massive d’énergies fossiles. Depuis ces révélations, les associations de défense du climat montent au créneau. Et à juste titre. L’association « Notre Affaire à Tous » et l’ONG 350.org exigent une commission d’enquête parlementaire pour tenter d’analyser « la responsabilité climatique passée et présente » du groupe pétrolier. En parallèle, 350.org vient de lancer la campagne de mobilisation #TotalMent. L’objectif ? exiger des décideurs publics qu’ils reconnaissent la culpabilité de Total. Les deux associations tentent également d’obliger la multinationale à financer des fonds de dédommagement pour les effets climatiques engendrés.

Dans un entretien au journal Ouest France, Corinne Lepage, avocate et ex-ministre de l’Environnement, évalue les risques encourus par le géant de l’industrie pétrolière. Une affaire qui ne semble pas gagnée d’avance, puisque la désinformation par les lobbys du pétrole ne date pas d’hier. Comme le souligne très justement Corinne Lepage, le livre-enquête Perdre la Terre écrit en 2019 par le journaliste Nathaniel Rich, mettait d’ores et déjà en lumière des pratiques douteuses. L’ouvrage remonte aux années 1980, débutait alors la genèse des Accords de Paris sur le climat. Très vite interrompue par l’arrivée, en grande pompes, de Ronald Reagan au pouvoir. Le président américain démarrait alors le processus de désinformation de l’industrie pétrolière. Il aura fallu attendre 35 ans, pour que la coalition internationale adopte les Accords de Paris.

Mais alors, que disent ces pratiques de l’encadrement des grandes puissances aujourd’hui ? À l’heure où le réchauffement climatique est sur toutes les lèvres, la menace ne peut être ignorée. Pourtant, certaines multinationales se cachent derrière de fausses campagnes environnementales, (Total « Énergies » ?) et continuent d’œuvrer pour la production de masse. « Notre Affaire à Tous » et 350.org dénoncent la responsabilité de la loi française sur l’encadrement des puissances nationales et multinationales. Car à la question « que risque réellement Total ? », la réponse se rapproche du néant. Les faits ne peuvent être considérés comme un délit puisqu’ils ont duré moins de dix ans. Bref, on marche sur la tête. MM

Corinne Lepage

Le rôle joué par les groupes pétroliers face au réchauffement climatique était-il méconnu ?
En réalité, la question n’est pas nouvelle, elle avait été décrite par Nathaniel Rich [journaliste au New-York Times, ndlr] dans le livre Perdre la Terre, paru en 2019. Il montrait que juste avant les années 1980, tout était prêt pour conclure l’accord qui a finalement été entériné trente ans plus tard à Paris [via l’accord international sur le climat signé en 2015]. Là-dessus, arrivent Ronald Reagan à la présidence des États-Unis et la prise de pouvoir par les pétroliers. C’est là que débute le travail de désinformation par cette industrie – ce qui stoppe les discussions en cours – qui monte également une série de think tanks pour s’opposer au sujet climat qui commençait à monter. Ce qui est horrible, c’est que si on avait fait en 1980 ce qu’on avait prévu de faire, on aurait pu résoudre le problème.

Le lobbying pétrolier a-t-il utilisé les mêmes méthodes que les cigarettiers ?
C’est exactement la même : nier d’abord l’existence du problème, c’est d’ailleurs tout le mouvement climato-sceptique. Une première étape qui s’est poursuivie très tard, puisque le sommet de Copenhague a échoué en 2009 notamment à cause de la campagne menée par les industriels pour déconsidérer le Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr] et remettre en cause la base scientifique sur laquelle il établit ses rapports.

La deuxième étape, c’est de dire : peut-être que le dérèglement climatique –​ ils ne parlent pas de réchauffement climatique​, notez la sémantique – existe, mais c’est multifactoriel et la part industrielle est finalement modeste, ce n’est pas le sujet principal. Maintenant, on arrive au sixième rapport du Giec : la situation est totalement accablante pour le CO2. Alors qu’il leur devient impossible de nier l’évidence, la posture des pétroliers est de dire : laissez-nous du temps pour faire la transition. Ce, alors que l’Agence internationale de l’énergie elle-même dit qu’il ne faut plus forer !

Dans quelle mesure leur responsabilité peut-elle être mise en cause sur le plan juridique ?
Il y a déjà la responsabilité des pétroliers en tant qu’émetteurs de gaz à effet de serre, qui a été reconnue dans quelques décisions de justice aux États-Unis. Par ailleurs, une décision rendue par le tribunal néerlandais en mai 2021 contre Shell, établit clairement que les pétroliers doivent réduire de 45 % leurs émissions de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 2019. Ce jugement est très intéressant car il dit : c’est vous qui définissez la stratégie de votre groupe, vous êtes donc responsable pour votre groupe et vos clients.

Et dans le cas de Total ?
À mon sens, il y a en plus une faute pour avoir volontairement dissimulé l’information et diffusé de fausses nouvelles, ce qui est une infraction. Ce délit se prescrit au bout de trois ans, mais on peut éventuellement impliquer la responsabilité civile pour faute malgré tout.

Est-ce que cela remet sur le devant de la scène la question de l’écocide ? Oui la question peut être clairement reposée. En France, c’est seulement considéré comme un délit, et pour qu’il soit constitué il faut que le préjudice dure au moins dix ans. Problème, les faits reprochés à Total ont été commis avant que ce délit n’entre dans la loi.

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