Temps de lecture estimé : 3 minutes
Temps de lecture 4’40
L’ancien grand reporter au Figaro a publié en mars un livre qui n’a pas tant défrayé la chronique. Sa lecture renvoie à un portrait essentiellement consacré à Claude Bébéar, patron d’un autre temps. Et à l’Institut Montaigne que Christophe Labarde présente volontiers comme le creuset du macronisme. Entre autres.

On parle parfois de pavé dans la mare. C’en est un, au sens littéral du mot, un « pavé » de livre qu’a publié en mars de cette année mon confrère Christophe Labarde chez Plon, Les grands fauves. Labarde est un ancien reporter du Figaro, auteur, directeur et éditeur de revues.
Le pavé de 520 pages en question s’intitule Les grands fauves. Qui sont-ils ? Claude Bébéar, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, David de Rothschild, Serge Kampf, Michel Pébereau, Henri Lachmann, Didier Pineau-Valencienne, Jean-René Fourtou, Thierry Breton… Qu’est-ce qui les réunit ? La création d’une association archidiscrète, Entreprise et Cité, le genre de petite société entre puissants qui ne se réunit pas pour parler de la pluie et du beau temps. De tels « grands fauves », sous la houlette de Claude Bébéar, le créateur ou le « façonneur », comme l’écrit Christophe Labarde, de l’assureur Axa, de BNP-Paribas, de Vivendi… Avec les membres d’Entreprise et Cité, les champions mondiaux du capitalisme à la française…
Se plonger, avec Labarde, dans la « cage aux fauves », comme il dit, c’est comprendre que le journaliste qui avait su, comme le suggérait à ses proches l’ancien patron du Monde, Hubert Beuve-Méry, forger le contact et garder la distance, a été le confident de plusieurs de ces géants.
Les fauves aiment parler et, le temps venant, se confier. À l’évidence, Labarde a su les écouter. « On peut dire sans exagérer que, pendant vingt-cinq ans, le capitalisme français se faisait et se défaisait autour de cette table », les tables, plutôt de l’association, lui a dit un jour Vincent Bolloré.
Au printemps 2019, Claude Bébéar en a dit plus à l’auteur de ce pavé dans la mare.
Pourtant, au fil des pages, saynètes et anecdotes défilent sans réelle aspérité. Certes, on y lit quantité de ces destins de managers faits et défaits par les « fauves » au gré des événements. Mais au fond, à part les « révélations » de l’influence inattendue de ce think tank orgueilleux qu’est l’Institut Montaigne né des soirées bébéariennes d’Entreprise et Cité, présenté comme le creuset du macronisme et le calice de l’actuel président de la République, le « pavé » restera comme un hommage – sans doute mérité – au plus influent des penseurs d’un capitalisme social, Claude Bébéar. Le retraité à un milliard d’euros. OM
Dès le début, les rencontres sont réglées comme du papier à musique. « En gros, nous organisions un dîner par moi, toujours à l’initiative des uns et des autres », se souvient Daniel Laurent [sénateur de la Charente-Maritime, proche du lobby des industriels de l’agroalimentaire]. Bébéar, bien sûr, est toujours à la manœuvre. La règle du off est de rigueur. Tout entre et rien ne sort. Aucune programmation rigide non plus. Au contraire, un fonctionnement souple et agile.
Rituellement, les dîners commencent par un tour de table. « La différence entre L’Afep et Entreprise et Cité ? Roux faisait tourner les tables, Bébéar, lui, faisait le tour de sa table », s’amuse un habitué qui a bien connu les deux.
Très vite, les personnalités se révèlent, s’affirment. Il y a les bavards et les taiseux. Les passionnants et les moins passionnants. Les sérieux et les moins sérieux. « Beffa [PDG de Saint-Gobain] était sérieux, mais surtout très ch… Ce qui agaçait prodigieusement Michel Pébereau, qui était tout aussi sérieux, mais pas ch… du tout ! » se souvient un habitué. « Chacun avait sa personnalité, mais c’étaient des moments toujours passionnants, confirme Daniel Laurent. Je me souviens de Bolloré parlant de l’activité du fret maritime, des banquiers parlant de la politique monétaire et de Pierre Bellon [fondateur de Sodexo] nous parlant de pays exotiques où beaucoup d’autres n’étaient pas encore implantés et où lui approvisionnait déjà des bases militaires, des universités, des milliers d’entreprises, de Jean-Louis Beffa nous parlant de verre et de tuyaux… C’était une tour d’observation du monde assez unique ! Je pense qu’il n’y avait, à Paris, aucun autre endroit pour balayer ainsi la conjoncture en quelques minutes. Nous avions à la fois les meilleurs analystes et les meilleurs praticiens. »
[…]
À propos de l’Institut Montaigne
Claude Bébéar peut être fier de son « bébé », aujourd’hui bel adolescent de 20 ans, qui vit désormais sa vie… sans lui ! Mais avec le succès, viennent toujours les polémiques. Et la jalousie. L’Institut Montaigne ne fera pas exception à la règle. […] Les mêmes qui reprochent à Henri de Castries [le président de l’institut, jusqu’alors président du groupe de Bilderberg, autre think tank un peu secret qui fait tant fantasmer les conspirationnistes] sa trop grande proximité avec le capitalisme américain, ou, plus tard, d’avoir été le potentiel ministre des Armées de François Fillion avant que la candidature de ce dernier explose en vol, ne se gênent pas pour reprocher également à son directeur général, Laurent Bigorgne, sa proximité avec… le nouveau président de la République, Emmanuel Macron […]
Rien de choquant, bien sûr, à ce que des dirigeants aient également des opinions politiques et des engagements personnels. Mais lorsque le site Mediapart révèle que le mouvement politique d’Emmanuel Macron En Marche ! est enregistré officiellement… au domicile privé de Laurent Bigorgne, Claude Bébéar doit rappeler que l’institut qu’il a fondé est « totalement indépendant » des partis politiques. Ce qui ne l’empêche pas de tout faire, bien entendu, pour promouvoir ses idées et de pousser ses hommes aux postes de décision, et si possible au gouvernement.
[…]
Le jeune institut, bouillonnant et disruptif, aurait laissé la place à une machine de guerre plus laborieuse et convenue ? L’Institut Montaigne se soucierait plus, aujourd’hui, de faire parler de lui, à grand renfort de communication tous azimuts, que de préparer concrètement l’avenir de la France ?