Le bitcoin, monnaie légale au Salvador

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Odile Lakomski-Laguerre est économiste et maîtresse de conférences à l’université de Picardie Jules Verne d’Amiens.

Le Salvador, ce petit pays d’Amérique centrale, s’est lancé dans une expérimentation qui éveille la curiosité de toutes les économies du monde. Depuis le 7 septembre, la nation a reconnu le bitcoin comme une monnaie légale. Pour l’heure, c’est la seule devise électronique officielle qui se trouve désormais acceptée dans le pays. Reconnue valide auprès des commerces et des services. En une semaine à peine, près de 500 000 Salvadorien·nes utilisent le portefeuille numérique en bitcoin.

Critiquée pour sa volatilité, son effet néfaste sur l’environnement ou son manque de transparence – le bitcoin faciliterait les blanchiments d’argent et l’évasion fiscale –, la devise star des cryptomonnaies s’identifie-t-elle à une monnaie comme une autre, celle qui coche trois fonctions moyen de paiement, unité de compte et réserve de valeur ? Plutôt non. Un actif spéculatif le qualifierait mieux. En décembre, le bitcoin atteignait les 20 000 dollars. Puis 50 000 dollars en février – soit deux mois après. Aujourd’hui… 47 000 ! La monnaie n’a de sens que si elle gagne la confiance de celles et ceux qui l’utilisent. Un·e commerçant·e qui accepterait de se faire payer via des bitcoins prendrait un risque énorme. Et tomberait dans une économie de casino. GW

Comment expliquer le choix salvadorien ?
« On peut avancer trois arguments. Le premier, c’est que le Salvador est un pays qui avait déjà abandonné sa monnaie nationale au profit du dollar. Le bitcoin trouve un débouché compte tenu de l’ensemble des valeurs qu’il porte, notamment anti-système, dans les pays très fortement dépendants du dollar, qui cherchent à court-circuiter cette domination américaine pour retrouver de l’autonomie. C’est une dimension politique. Le bitcoin est un moyen de pallier les inconvénients d’un système monétaire international fondé sur le dollar.

Le deuxième élément avancé par le Salvador est la possibilité de réaliser des économies sur les transferts de fonds internationaux qui proviennent de la diaspora salvadorienne, qui passent par le système bancaire et font l’objet de frais qui atteignent environ 23 % du PIB. C’est plus un argument politique pour que la population adopte le bitcoin, car les économies vont être réalisées par les émetteurs des transferts.

Enfin, au Salvador, près des deux-tiers de la population ne sont pas bancarisés. Le bitcoin est un moyen de raccrocher ces citoyens au circuit monétaire, ce qui est bon pour le tissu économique. Il y a l’idée d’inclusion financière, dans la mesure où le bitcoin offre facilité d’usage et frais réduits. Un bon argument marketing vis-à-vis de la population.

Une conséquence sur l’inflation ?
Si on raisonne en économie fermée, la création de bitcoins étant limitée, si la demande de monnaie augmente, les prix vont baisser. C’est une logique déflationniste.

Quels effets sur les transactions à l’international ?
A priori, il faut que le Salvador continue les échanges en dollars à l’international, car si les échanges se font en bitcoin contre devises, compte tenu de la volatilité extrême du bitcoin, je vois mal comment ça peut fonctionner. Cette volatilité, on ne l’a que si on considère le taux de change vis-à-vis d’une autre devise. En théorie, si on ne sortait jamais du système, c’est-à-dire si toutes les transactions se faisaient en bitcoin, que l’on payait les salaires en bitcoin, etc., on ne verrait pas ces problèmes de volatilité.

La fonction de réserve de valeur, pour le bitcoin, est un jeu dangereux. Globalement, la tendance est montante. Mais si on s’amuse à faire de la spéculation, cela devient de l’économie de casino. Avec également le risque de reporter la consommation, en espérant des gains de pouvoir d’achat. C’est tout le problème de la bulle spéculative autour du bitcoin, surtout depuis 2015. À partir de 2017, il y a eu un processus d’institutionnalisation du bitcoin par la sphère financière, qui a créé des marchés de trading. C’était un signal fort envoyé aux marchés pour asseoir l’apparition d’un nouvel actif.

Le bitcoin est en effet aujourd’hui davantage un actif qu’un véritable système de paiement. On y entre pour thésauriser, pour s’en servir comme d’un placement rentable. C’est ce qui rend difficile son utilisation comme moyen de paiement stable et comme unité de compte. C’est totalement contraire au principe fondamental de la monnaie comme unité de compte. Un euro, c’est un euro, et ce sera toujours un euro dans dix jours. C’est ce qui permet d’avoir ce que l’on appelle des contrats à valeur fixe. L’extrême volatilité rend les calculs économiques, qui se font en principe dans le temps, extrêmement difficiles. »

Retrouvez l’intégralité de l’entretien publié par L’Usine Digitale ici.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise...). Friand de football et politiquement égaré.

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