Le « quoi qu’il en coûte » ? « C’est reculer pour mieux sauter ! », estime Me Alexandra Sabbe-Ferri, avocate en droit social

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Me Alexandra Sabbe-Ferri, par Anne Bied.

Avec Mesindemnites.com,
Me Alexandra Sabbe-Ferri bouscule les codes d’une profession connue pour son conservatisme.

Me Alexandra Sabbe-Ferri est avocate en droit social, diplômée d’Assas et spécialiste de la rupture des contrats de travail. Consciente de l’enfer vécu par les salarié·es et les employeur·euses, complètement dépassé·es par la complexité juridique liée à une rupture de contrat, Alexandra Sabbe-Ferri a créé le site Mesindemnites.com. Sa volonté d’apporter une patte numérique dans la profession, les problématiques rencontrées durant la crise, son regard sur le « quoi qu’il en coûte » du président de la République… Entretien.

Pourquoi avoir conçu Mesindemnites.com ? Quel accueil votre site a-t-il connu dans la profession ?

J’ai voulu inverser le processus. Généralement, en tant qu’avocate, on commence par le droit, par exemple comprendre les motifs de licenciement, on s’attarde à bien suivre la procédure. Or, ce qui intéresse les clients avant tout, c’est combien. Combien va me coûter la procédure en tant qu’employeur si je vais au bout de cette rupture de contrat ? Pour les salarié·es : quelles seront mes indemnités ? Donc j’ai procédé ainsi, je commençais par calculer les indemnités de mes clients, ils étaient très contents, rassuré·es et j’avais le sentiment de répondre à leurs besoins.

Bien entendu, la création de mon site n’a pas reçu un bon accueil au sein de la profession, très traditionnelle. Les avocat·es ont vraiment un mode de fonctionnement archaïque et continuent à faire ce qu’ils ou elles ont toujours fait en dépit d’un monde qui change et qui se numérise. On s’envoie encore des fax, imaginez ! Sans oublier le papier, encore très présent chez pléthore d’avocat·es… ils·elles ne veulent pas transposer dans leur vie professionnelle les changements qu’ils·elles opèrent eux·elles-mêmes au sein de leur vie privée, ce monde connecté fait peur. À côté de ça, on m’a accusée de concurrence déloyale et même de « braconnier du droit » ! Effectivement, mon site calcule plus vite, via un algorithme, les montants d’indemnités par exemple, ce qui rend dingues les confrères·sœurs contraint·es à pratiquer des prix plus élevés puisqu’ils y passent plus de temps. Libre à eux et elles de changer et de s’adapter ! « Heureusement », la crise sanitaire a quelque peu changé la donne, la place du numérique dans le droit s’est fortement intensifiée.

Durant la crise sanitaire, sur quelles problématiques avez-vous le plus accompagné vos clients ?

Pas mal de sujets sont venus sur la table depuis le mois de mars. D’abord l’activité partielle, car personne n’y comprend  rien ! Notamment parce que le dispositif légal est difficile à suivre, des décrets sortaient en retard avec des effets rétroactifs. Il faut savoir que certaines entreprises démarraient le mois sans avoir la connaissance exacte des caractéristiques de prise en charge du mois en question. Le télétravail a aussi été un sujet préoccupant : qu’ai-je le droit de faire ou de ne pas faire ? J’ai aussi rencontré des problématiques liées aux salarié·es qui ne voulaient pas revenir travailler. Pour beaucoup, la peur de se confronter au risque sanitaire prenait le dessus.

Et puis – bien évidemment – la question des licenciements et des ruptures individuelles. Soit parce que des entreprises ont commencé à vouloir réduire leurs effectifs. Soit car certain·es salarié·es voulaient complètement changer de métier ou se reconvertir. Pour les PSE [plans de sauvegarde de l’emploi, ndlr], ça reste assez marginal mais ils apparaissent progressivement. Et pour certains d’entre eux, c’est de l’opportunisme ! Ni plus ni moins.  Une façon  clean pour les entreprises – sur le dos de la crise – de revoir leurs effectifs. Tous ces gens que les entreprises conservaient par défaut… ceux-là sont déjà partis.

Quel regard portez-vous sur le « quoi qu’il en coûte » tant prôné par Emmanuel Macron. Faut-il s’en féliciter ?

C’est reculer pour mieux sauter ! Je pense que cette crise a – dans un premier temps – débouché sur un choc psychologique très brutal, qu’il a fallu absorber. Imaginez si l’on ajoute un choc économique en parallèle ? Non, je comprends la décision politique du gouvernement, je la trouve bonne. La santé prime sur l’économie. Malgré tout, dès lors que l’activité économique ne sera plus sous « perfusion », on subira une nouvelle claque, non plus sanitaire mais économique. On commencera à constater les dégâts au deuxième semestre 2021 et 2022, sauf en cas de nouveau report de remboursement comme les prêts garantis par l’État. Les Français·e devront faire preuve de résilience et d’agilité pour rebondir et oublier notre ancien monde, qui s’est écroulé. Il faudra aussi s’appuyer sur toutes ces success stories – et il y en a eu – nées « grâce » à la crise.

Propos recueillis par Geoffrey Wetzel

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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