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Geoffroy Roux de Bézieux a beau ne pas se présenter à la présidence française en avril, le président du Medef déploie bien sûr un programme économique qui pourrait inspirer quelques candidat·es…
Le titre même de l’attendu programme s’engage : Faire réussir la France. On n’en attend pas moins de l’instance qui regroupe des milliers d’entreprises en France, à partir de 47 salarié·es (fruit d’une moyenne). Soit 700 000 à 800 000, sur les quelque 3 millions de « boîtes » qui « réussissent la France ». Le cadre est donné par la question même du journaliste d’ÉcoRéseau Business au cours de la conférence de presse de présentation de la réflexion du Medef : il s’est inquiété auprès du patron des patrons de l’intérêt qu’il porte aux TPE et aux indépendants… malgré tout. À l’évidence peu concerné par le commerce des magasins, le Medef à travers Geoffroy Roux de Bézieux dit s’intéresser aux TPE dont le dirigeant a fait de sa très petite entreprise une activité à plein temps que ses efforts visent à ériger en PME. Le cadre est fixé.
À travers, d’abord, un diagnostic.
Le discours de la méthode
L’opinion publique confirme son plébiscite de l’entreprise au moment où l’économie est devenue l’otage d’une pandémie – sondage Ifop octobre 2021, 83 % des répondants disent avoir une bonne image des entreprises et des entrepreneurs, soit 12 points de plus qu’en 2017. De quoi, pour le Medef, parler de « réconciliation » et inciter les candidat·es à la présidentielle à s’appuyer sur ces « points de repère ». À l’État de définir les politiques publiques, sans « brider l’énergie entrepreneuriale ». Autrement dit : f… la paix aux entrepreneurs qui doivent relever six défis, selon le Medef : une mondialisation mais sans protectionnisme, une compétitivité où la protection sociale mutualisée doit en passer par une baisse des prélèvements obligatoires, une production en France qui s’attaque enfin au déficit du commerce extérieur. Le tout en respectant des transitions (climatique et numérique) qui impliquent des « investissements colossaux » – avec renchérissement des coûts de production – et… du temps. Des transitions pour lesquelles il faut des compétences, des ressources humaines aujourd’hui menacées par un « essoufflement démographique » et « le recul préoccupant du niveau scientifique » et mathématique. Sans têtes bien faites et ingénieur·es, les futur·es ministres de l’Éducation nationale auront des comptes à rendre.
Obligeant et intéressé, le Medef livre même aux dirigeant·es la méthode pour réformer : études d’impact complète des décisions majeures, comparaisons avec l’étranger, consultation citoyenne respectée, fin des politiques financées par des organismes paritaires à l’objet social détourné (les frais généraux de Pôle Emploi couverts par l’Unedic entre autres exemples).
Réussir au nom d’une certaine souveraineté
Les propositions du Medef ont l’ambition d’inspirer plus d’un programme présidentiel. Elles sont le fruit des réflexions de dizaines d’entrepreneur·es recueillies sur le terrain par les instances locales du Mouvement des entreprises de France. Certes, elles entrent dans un modèle de profit et de croissance que reniera un Poutou mais que caressent une Pécresse ou un Macron, ou revendique même un Jadot écologiste : pour les patrons, seule « une croissance forte et responsable est capable de soutenir le pouvoir d’achat, de rendre possible la transition écologique et de financer notre modèle social ». On notera les éléments de langage indispensables : responsable, pouvoir d’achat, transition. Les moyens d’y parvenir ne se veulent pas révolutionnaires, contrairement au mélenchonisme de la VIe République, mais les recettes énoncées préfigurent un gouvernement qui, hors crise, pérenniserait un éden entrepreneurial.
- La croissance, mère de toutes les vertus, exige une compétitivité que les politiques du passé ont handicapée de toutes les façons possibles.
Pour le Medef, un gouvernement sage dépensera moins et taxera moins, en établissant « un calendrier bien défini […] dès le début du quinquennat ». Une feuille de route de chef d’entreprise où figure en gras la « baisse des impôts de production » (sur les terrains, les actifs fixes, la main-d’œuvre occupée, la taxe sur les salaires, les versements compensatoires liés au transport, la contribution économique territoriale, les taxes foncières, etc.), aujourd’hui très au-delà de la moyenne européenne (une charge énorme à réduire de 35 milliards en cinq ans). En gras aussi, la création d’avantages compétitifs durables associés à la décarbonation (prix de l’électricité stable, fiscalité écologique fléchée, abandon des législations parasites de l’Europe et des doublons législatifs, intégration européenne du prix de la tonne carbone…). Troisième pan du toute croissance, les dispositions pour affronter le durcissement de la compétition internationale (concurrence équitable, libre-échange conditionné par les Accords de Paris, en finir avec les normes d’évaluation extra-financière sur des critères anglo-américains, sécuriser les approvisionnements, redresser le commerce extérieur…).
- Deuxième grand axe des propositions, mais toujours en vue d’une croissance soutenue, bâtir la souveraineté économique de la France et de l’Europe (un vocable, « souveraineté » qui, souligne le président, « n’existait pas au Medef » autrefois).
Il préfère du reste parler de reconquête de l’« autonomie stratégique » (filières d’excellence et approvisionnement vitaux – hydrogène, nucléaire, gaz renouvelables, rénovation des bâtiments, batteries, semi-conducteurs, agroécologie…). Au prix d’une commande publique (200 milliards d’euros en 2019) qui privilégie enfin les entreprises de l’UE et d’un euro érigé en monnaie internationale.
Les autres mesures passent par la lutte contre l’oligopole des GAFAM, la numérisation généralisée, la redynamisation des territoires par leur attractivité. Il faut pour le Medef sortir des taxonomies discriminantes de l’Écolabel par lequel se déterminent des « secteurs proscrits » (énergies fossiles, agriculture avec pesticide) où pourraient entrer les profits juteux de la défense – on laissera au Medef son appréciation du sujet.
Un pays fâché avec son éducation ?
Le troisième volet des propositions touche le point clé de la formation « aux compétences de demain ». Et comme le défend avec force la rapporteur Roux de Bézieux, « la formation et l’accès à l’emploi tournés vers les besoins réels de l’économie ». Il a raison : au moment où des escrocs s’efforcent de pomper les droits à la formation, le constat d’une France aux dépenses publiques énormes en éducation et formation, mais classée dans les tréfonds de la performance éducative (classement Pisa…) exige des futur·es président·es une reprise en main déterminante.
Le Medef veut que des têtes bien faites alimentent des filières d’emploi demanderesses. Les propositions ne surprennent nullement : « liens précoces avec les entreprises », baccalauréat vidé de sens, choix des filières au début des études supérieures, il s’agit de « rapprocher le monde économique et l’éducation » et « faire de l’entrepreneuriat un véritable accès à l’emploi », aux prix d’un « financement de la formation professionnelle recentré sur les compétences attendues ». Il s’agit là de présupposés sensibles – naître et s’éduquer pour travailler dans des cases prédéfinies que certains startupeurs pourraient critiquer… Il n’empêche que la France, à l’image des États-Unis, ne peut plus s’en tenir à ses « humanités » sorbonnardes.
En revanche, régionaliser Pôle Emploi par souci d’efficacité, accompagner les demandeurs d’emploi et réformer l’assurance chômage restent des revendications « naturelles » – et vitales – du Medef.
La croissance, condition sine qua non
Les points 4 à 7 du document se révèlent tout aussi riches, mais ils ne sont plus que les conséquences positives d’une croissance tous azimuts. Faire réussir la France l’érige en mère de toutes les réformes. Pour le Medef, c’est la croissance qui « implique un dialogue social renforcé », elle qui autorisera « un capitalisme décarboné », qui « contribuera à préserver la cohésion sociale grâce à la solidarité, à l’inclusion et à l’intégration », enfin c’est par la croissance que s’exprimera « la dynamique territoriale, tant en métropole que dans les outre-mers ».
Le document du Medef doit désormais circuler auprès des inspirateur·rices des candidat·es à la présidence française, car si la France veut compter dans cinq ans, un grand nombre des propositions programmatiques doivent entrer dans les visions des présidentiables. Au moins ceux et celles qui s’inscrivent dans une conception capitaliste du modèle économique. En se gardant bien de nommer l’un ou l’autre des candidat·es qui lui sembleraient « Medef-compatible », Geoffroy Roux de Bézieux opère par élimination naturelle puisque certains des piliers de son cahier des charges ne figurent pas du tout dans les prises de position d’une certaine extrême droite, pas davantage dans les principes d’une gauche déterminée à changer le système. Restent une Valérie Pécresse dont il se refuse à dire qu’elle l’aurait déçu et un Emmanuel Macron dont il souligne l’absence totale de programme faute de déclaration de candidature. Quant à l’écologiste Jadot, qui a dit à plusieurs reprises que l’écologie n’était pas l’ennemie du système libéral, il le disqualifie en souriant : « L’écologie est un sujet trop sérieux pour la confier aux écologistes. » Aux entrepreneur·es « contraint·es » à des objectifs, mais allégé·es de charge alors ?
Olivier Magnan