Temps de lecture estimé : 4 minutes
Temps de lecture 4’40
Voici pourquoi. Géopolitique de la haine ordinaire.
Un article traduit de Sal – c’est tout ce que l’on saura de son nom –, free-lance américain et aspirant historien. Éclairant. Pour lire les quatre premiers conflits analysés
L’Inde et la Chine : à couteaux tirés, et pire
Les relations entre l’Inde et la Chine sont instables depuis des décennies, en raison de différends frontaliers et de la haine des deux pays pour leurs alliés. Bien que plus d’un tiers de la population mondiale réside dans leurs pays, les échanges commerciaux entre les deux nations ne sont guère significatifs, de l’ordre de 85 milliards de dollars, soit la moitié de ceux entre la Chine et l’Australie. Un chiffre qui en dit long sur leur antagonisme.
L’origine de cette tension réside dans le différend frontalier autour du territoire contesté du Cachemire au Ladakh. L’affrontement de 1962 entre les deux pays a donné le coup d’envoi de cet antagonisme qui perdure. Les experts des deux pays concluent que les relations entre l’Inde et la Chine ne pourront s’améliorer que si la question frontalière est résolue.
Presque tous les secteurs des deux pays témoignent de leur animosité. Du tourisme aux vols directs, la limitation des échanges en dit long sur leurs relations. Détail amusant qui met les choses en perspective : en 2013, seuls 175 000 Chinois ont visité l’Inde en tant que site touristique. En comparaison, plus de 4,6 millions de Chinois ont visité la Thaïlande. Pour un pays voisin, ce décalage montre l’ampleur de la répulsion. En outre, les Chinois conservateurs ont tenu à exprimer leur opinion sur la manière dont le sud du Tibet sera repris par la force au Premier ministre indien Modi après que celui-ci a censuré Weibo, l’alternative chinoise aux médias sociaux. L’Inde a interdit plus de 50 applications chinoises.
Leur conflit s’aggrave encore si l’on ajoute à la guerre larvée les relations amicales que la Chine entretient avec le Pakistan, alors que l’Inde et le Pakistan sont en désaccord depuis la partition du pays (et même avant). Le président Xi, pourtant, s’est bien rendu en Inde en 2014, mais il s’agissait de la première visite d’un Premier ministre chinois depuis huit ans ! Pour un maigre résultat : un investissement de 20 petits milliards de dollars annoncé par le président chinois. Dans le même temps, Xi Jinping a annoncé un plan d’investissement de 46 milliards de dollars au sein du Pakistan, qui est considérablement plus petit que l’Inde. Une forme de camouflet de plus.
L’année dernière encore, en pleine pandémie, les deux pays se sont affrontés dans un conflit sanglant, une fois de plus aux frontières contestées. Vingt soldats indiens ont été tués. L’acmé de la colère est atteint.
Arabie saoudite et Iran : les frères ennemis
L’Arabie saoudite et l’Iran sont à touche-touche, séparés seulement par une bande appelée le golfe Persique. Mais leurs idéologies religieuses, politiques et culturelles les divisent dangereusement. Les tensions entre l’Arabie saoudite et l’Iran se sont du reste concrétisées par la guerre qui se poursuit aujourd’hui sous une forme de guerre par procuration que chaque pays mène au Yémen pour dominer et contrôler le Moyen-Orient. Alors que l’avenir diplomatique de l’Arabie saoudite et de l’Iran semblait radieux dans les années 1920, que s’est-il passé pour conduire à de si sombres conflits ?
Dans les années 1960, le wahhabisme conservateur était en plein essor en Arabie saoudite quand l’Iran du Shah se modernisait à toute vitesse. De qui gêner passablement la Maison des Saoud. La lettre du Shah d’Iran à l’Arabie saoudite, qui l’exhortait à mettre fin à la ségrégation entre les sexes et à entrer dans l’ère moderne, a été accueillie par une réponse sévère de l’Arabie saoudite, pleine de raillerie. On a rappelé au Shah que l’Iran était un pays musulman avec une population musulmane.
Mais il y a musulman et musulman. L’Arabie saoudite est majoritairement wahhabite, branche de la secte sunnite, tandis que l’Iran est majoritairement chiite, près de la moitié de la population chiite mondiale vit en Iran. Cet élément est devenu un facteur important dans leurs relations lorsque le Shah d’Iran a été chassé en 1979 et que le leader chiite dictatorial et fanatique, l’Ayatollah Khomeini, a pris le contrôle du pays. Le nouveau régime iranien condamne ouvertement l’Arabie saoudite sunnite et ses relations cordiales avec les États-Unis.
Les tensions entre les deux États ont atteint un sommet après que l’Arabie saoudite a soutenu l’Irak dans sa guerre contre l’Iran en 1980, qui a duré environ huit ans. Puis les relations diplomatiques se sont dégradées. Après le soutien de l’Iran à Bachar Al-Assad contre l’Arabie saoudite et les États-Unis dans la crise syrienne, les choses ont fini par empirer. Toutes ces tensions ont débordé jusqu’à la guerre du Yémen où ces deux pays tentent d’exercer leur domination. Non pas pour gagner des terres, mais pour pousser leurs idéologies respectives à prendre le contrôle du Moyen-Orient, tant sur le plan politique que religieux.
La Grèce et la Turquie : la guerre ottomane de l’Antiquité ne s’est jamais achevée
Le conflit entre la Turquie et la Grèce remonte à plusieurs siècles, à l’époque d’Alexandre le Grand et de sa conquête de l’Empire perse. Depuis, leurs idéologies se sont affrontées, ce qui s’est transformé en une guerre religieuse, culturelle et terrestre sous le règne des Ottomans. Plusieurs attaques, des conflits sur les ressources et des tensions liées à l’adhésion à l’UE ont figé la Grèce et la Turquie dans une haine non cordiale.
Elle trouve son origine dans les événements historiques qui ont façonné leurs relations. La Grèce n’a obtenu son indépendance qu’après la guerre sanglante contre l’empire ottoman au xixe siècle. Cette vague de liberté était portée par un sentiment nationaliste, le besoin d’une patrie séparée, associée à un État pro-chrétien libéré de la domination islamique. Dans le cas de la Turquie, la république moderne s’est également formée après la fin de la domination ottomane lors de la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle la Turquie s’est principalement battue contre la Grèce et a réussi à gagner suffisamment de territoire pour créer un État. Mustafa Kemal Ataturk a mené cette charge qui a expulsé la plupart des Grecs, nettoyage ethnique des deux côtés à la clé.
Les relations déjà ternies entre les deux pays n’ont fait que s’aggraver à la suite de la question chypriote des années 1960 et 1970. Vite transformée en différends sur l’exploration des ressources dans les eaux côtières de Chypre. Les deux pays se regardent désormais en chiens de faïence. La Turquie prétendait que l’exploitation de la mer était déterminante pour son autosuffisante en matière d’énergie. La Grèce n’y voyait qu’une nouvelle manœuvre hostile de la Turquie, suspectée de tenter de rétablir l’Empire ottoman. Sans doute pas à tort.
À ce jour, Chypre, tout comme la relation entre la Turquie et la Grèce, est divisée, sans qu’aucune avancée n’ait été réalisée en vue de sa réunification.
Les États-Unis d’Amérique et la Corée du Nord : le plus grand risque de guerre nucléaire
Parois, les rivalités prennent la forme « amour-haine ». Pour la Corée du Nord et les États-Unis, mieux vaut parler de mépris mutuel. À chaque fois que les dirigeants militaires de Corée du Nord s’expriment, c’est pour rappeler aux civils que les États-Unis sont une nation impérialiste et agressive qui détruit tout ce qu’elle touche. Aux États-Unis, tout le monde est conscient de cette haine et vit dans une crainte quasi perpétuelle de voir la Corée du Nord bombarder des villes américaines importantes forte de son arsenal nucléaire.
Le nœud de leur haine réside dans la guerre de Corée, commencée en 1950 après que l’Union soviétique et les États-Unis ont divisé la région en Corée du Nord et Corée du Sud le long du 38e parallèle. Cette année-là, dans le but de réunifier la Corée, le dirigeant communiste de la Corée du Nord, Kim Il Sung, prend les armes et lance une attaque générale contre la Corée du Sud par surprise. L’assailli, complètement pris au dépourvu, n’a pas les moyens de réagir rapidement et l’armée nord-coréenne s’empare de la ville de Séoul. La victoire de la Corée du Nord était inéluctable.
C’était sans compter sur les Américains, immédiatement sur place : la guerre de Corée change d’allure, l’armée nord-coréenne est chassée de la Corée du Sud jusqu’à Pyongyang dont s’emparent les États-Unis. Jusqu’à ce que les alliés chinois n’en chassent les Américano-Coréens.
La guerre a laissé dans l’esprit de la Corée du Nord un horrible héritage de haine et de sang versé contre l’Amérique, pour une « bonne » raison : pendant la guerre, les États-Unis ont largué 635 000 tonnes de bombes sur la Corée du Nord, anéantie. C’était une raison suffisante pour que la Corée du Nord lance une campagne de propagande haineuse contre les États-Unis pour les décennies à venir. La famille Kim va régner sur la Corée du Nord pendant plus de 70 ans. Le gouvernement rappelle sans cesse à son peuple que sa « misère » a pour cause une unique nation : l’Amérique.
Qui, elle aussi, a plus d’une raison de haïr la Corée du Nord. Avec une menace toujours plus grande de guerre nucléaire totale, l’enlèvement de personnel civil et militaire américain et des atteintes majeures aux droits de l’homme, l’ennemi coche toutes les cases de l’inexpiable.
Malgré les tentatives américaines de resserrer les liens avec la Corée du Nord pour mettre fin à une animosité qui dure depuis des décennies, il semble que la Corée du Nord ne soit pas prête à oublier les horreurs de la guerre de Corée.