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La fin du ticket de métro et la généralisation des procédures en ligne s’inscrivent dans le vaste projet de disparition de la paperasse. Sauf qu’à chaque formulaire disparu correspondent toujours plus de serveurs faits de câbles et d’électronique gourmande en électricité. Et que l’illectronisme grandit.

Combien de transitions technologiques va connaître cette génération d’humains, à des rythmes décalés ? Les confinements nous ont numérisés, notamment, à vitesse grand V. Tout le monde s’en réjouit, à commencer par les entreprises soudain beaucoup plus productives, réactives, bardées de bases de données. Ça ne sera évidemment pas indolore.
En France, les services publics qui se refont une virginité numérique à coups de .gouv n’ont apparemment pas embauché des cadors de la programmation doublés d’ergonomes : à part Antai qui surperforme en matière d’amendes et de suspensions de permis, demander un certificat d’immatriculation ou acheter un Crit’Air pour circuler à Paris quand on roule au GPL relève d’un parcours d’obstacles hérissés de codes. Pour le plus plus grand bonheur d’officines nées du besoin qui, moyennant finances, gèrent les interactions des illectroné·es (victimes d’illectronisme, le mot nouveau parle de lui-même, 50 millions d’Américains en sont déjà les victimes). Au point que le site républicain de délivrance des certificats d’immatriculation vous recommande… le recours auxdites officines (sic).
Autre bonheur, celui des pirates et autres opportunistes qui vous assurent que vous avez un colis en instance mais qu’il vous faut payer 2,30 euros pour affranchissement insuffisant – moindre mal face aux abuseurs qui disent vous avoir détourné la webcam de l’ordi pour vous espionner, et que ce que vous faisiez ce jour-là est tellement contraire à la morale qu’ils vous demandent 500 euros pour étouffer l’affaire… Or des naïf·ves et des personnes âgées rentabilisent ces abus qui jouent justement sur le nombre faramineux de mails récoltés si facilement à droite ou à gauche.
Au chapitre des bévues vécues, le coup de la vieille plaisanterie du mail que l’on double d’un fax avant de confirmer au téléphone. Dans une certaine clinique d’Amiens à l’entrée de laquelle un robot scanne votre passe sanitaire, mais qu’il faut doubler d’un personnel humain pour expliquer aux visiteurs comment l’utiliser, l’administration aime bien tester son nouveau pouvoir. Comme exiger l’envoi d’un « consentement éclairé » à une opération au moyen de documents dématérialisés à signature électronique certifiée (faute de quoi on vous menace de reporter l’acte chirurgical). Ou, mieux, l’impérative nécessité de présenter non pas un test PCR véhiculé par Tousanticovid – ce que l’on a pourtant tant de fois imposé –, mais le document imprimé sur papier ! Faute de quoi, le secrétariat appelle le labo émetteur du certificat pour qu’il maile ledit au service !
Cet illectronisme aggravé par les incompétences des administrations bousculées dans leur ancienne paperasserie vont peser lourd sur la start-up nation vieillissante et les impacts écologiques associés. Faire disparaître le papier, qui s’y opposerait ? Mais il faut bien comprendre qu’à chaque formulaire ou laissez-passer dématérialisé correspond une dépense énergétique via des fermes de serveurs goulus en électricité et sujets à pannes. Facebook récemment et, naguère, l’incendie du premier fournisseur de services dématérialisés, le français OVHCloud, sonnent les premières alertes de dysfonctionnements à échelle planétaire. Au 1er trimestre 2021, les entreprises et institutions du monde entier ont dépensé 34 milliards d’euros pour stocker et traiter leurs données, essentiellement sur des serveurs américains.
L’affaire de la suppression progressive des tickets de métro en Île-de-France fait craindre à certain sociologue que la disparition de la « friction » au profit de la fluidité ne se montre trop rapide pour éviter d’autres frictions nées de l’utilisation nécessaire de cartes à puce (Navigo), bancaires ou smartphones. Il faudra pourtant bien un jour se passer, outre des tickets, de monnaie et billets. Mais inventer alors une autre dématérialisation, sans smartphone qui risque de disparaître ou de tomber en panne. Tout ça sent l’avènement de l’homo pucé qui trimballerait sous la peau de quoi vivre en société. Le cauchemar des complotistes.