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journaliste-chef de service
Notre dépendance au temps n’est plus à prouver. Pour « faire toujours plus » dans un laps de temps qui, lui, n’évolue pas, nous adoptons des comportements qui pourraient bien se retourner contre nous.
Nos yeux rivés sur l’horloge, nous rythmons notre quotidien par rapport au temps. Un bien qui se raréfie dans nos sociétés modernes – notamment parce que nous l’avons décidé. Nous courons et cavalons après le temps. Nos agendas se remplissent de plus en plus vite, jamais la France n’avait compté autant de ministres. Le moindre créneau libre nous culpabilise. Pris dans une injonction selon laquelle l’on ne doit pas gâcher son temps, l’on met au ban l’ennui et la passivité…
… Et l’on accélère, mécaniquement. L’on invente tout ce qui pourrait nous faire gagner de précieuses heures, minutes voire secondes – toujours ça de pris. Alors en 2022 l’on paie sans contact, et, en passant, sans regard. On recourt crescendo aux caisses automatiques – certes imposées par une logique d’accroissement de productivité mais dans laquelle on se satisfait plutôt bien. L’on avale ses repas par nécessité, et l’on sollicite à outrance les fast food, hégémoniques dans ce nouveau monde. Bref « Mangez et cassez-vous » – symbole d’une époque, une chaîne de restaurants parisienne a même choisi de se baptiser ainsi, succès garanti.
Évidemment, l’entreprise, temple de la deadline et du asap, baigne dans cette course contre la montre, cette obsession du temps. L’on travaille toujours plus vite. Dans le train avant d’arriver au bureau. En vacances pour ne pas crouler sous les dossiers dès la rentrée – le fameux phénomène de « tracances ». On privilégie les visios – Zoom, Teams and co – au détriment des rencontres physiques, devenues une « perte de temps ». Les urgences s’accumulent, s’uniformisent, s’indifférencient – alors lesquelles prioriser ? Aller trop vite en entreprise, c’est s’exposer à la perte de sens dans son activité, rendre floue la finalité de son travail, risquer le burn out, perdre en créativité.
Quand on se divertit, là aussi on s’attelle à optimiser son temps. Donc on achète des billets coupe-file dans les parcs d’attractions. Parce que l’amusement se doit d’être efficace. Le cinéma n’y échappe pas, voilà que l’on prend, peu à peu, l’habitude de « consommer » nos films en version accélérée. Une option mise au point, entre autres, par Netflix. Rien de révolutionnaire, YouTube propose cette possibilité depuis de longues années. Mais le speed watching se généralise. « Non, Netflix, non […] Nous vous offrons de belles choses, laissez-les comme elles sont censées être vécues », s’emportait le réalisateur Judd Apatow, qui condamne une sorte d’artificialisation des œuvres proposées.
Face au diktat de la toute vitesse, un mouvement de résistance se forme. Éloge du retard (Albin Michel), a écrit Hélène L’Heuillet, psychologue et psychanalyste : « L’urgence, la vitesse, la fluidité sont les valeurs dominantes de notre société. Il faut tout mettre en œuvre pour gagner du temps. Mais c’est une course infernale dans laquelle on s’engage, car plus on va vite plus il faut accélérer », défend-t-elle. Timothée Parrique, chercheur et auteur de l’ouvrage Ralentir ou périr, invite les entreprises et notre société à moins produire, à ralentir. Le même qui n’hésite pas à soutenir la thèse de la décroissance lors de la rentrée des étudiants d’HEC, fin septembre, censés représenter l’élite économique et les futurs grands chefs d’entreprise du pays.
Ralentissons, au moins un peu. Pour que nous, travailleurs et consommateurs, vivions mieux. Et, bien sûr, pour le plus grand bien de notre planète.