Pourquoi la retraite minimale à 1 200 euros est un leurre

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Geoffrey Wetzel, journaliste-chef de service

Plus les Français comprennent la réforme des retraites, moins ils en veulent. Parmi les ruses du gouvernement pour parvenir à ses fins : une pension minimale à 1 200 euros. Fausse promesse.

N’est pas de gauche qui veut. Emmanuel Macron, lui, a définitivement tiré un trait sur son passé socialiste. Celui qui se prétend « ni de droite ni de gauche » s’obstine à laisser derrière lui une réforme des retraites plutôt de droite tant les volets sociaux passent au second plan. Car oui, « la mère des réformes » vise une prise en compte partielle de la pénibilité puisque certains critères avaient été abandonnés en 2017 comme le port de charges lourdes ou l’exposition à des vibrations mécaniques, cette réforme n’aide pas non plus les femmes fortement touchées par le temps partiel et les carrières hachées… même la pension minimale à 1 200 euros, lorsqu’on la dissèque, ne revêt plus le caractère si solidaire qu’elle ne revendique. Ce qui était censé représenter le « sucré » de la réforme, en opposition aux 64 ans et au « salé », pourrait in fine laisser un goût amer aux Français.

« Les salariés et les indépendants qui ont cotisé toute leur vie avec des revenus autour du Smic partiront désormais avec une pension de 85 % du Smic net, soit une augmentation à 100 euros par mois. Soit près de 1 200 euros par mois, dès cette année », expliquait la Première ministre Élisabeth Borne, mi-janvier. Voilà que le gouvernement fait de cette pension minimale à 1 200 euros son cheval de bataille pour mieux faire passer la pilule aux détracteurs du projet. Donc, a priori, 1 200 euros au minimum promis pour tous les salariés qui détiennent une carrière complète. Oui, mais non…

… Nombre d’économistes ont battu en brèche cette annonce, l’un des piliers de la stratégie de communication du gouvernement. Parmi eux : Zemmour – non pas le polémiste d’extrême droite peu à l’aise avec les questions économiques, mais Michaël Zemmour, maître de conférences à Paris 1 et spécialiste des retraites. « Tout le monde a compris qu’on aurait pour une carrière complète 1 200 euros minimum […] C’est totalement faux. On aura toujours au moins une personne sur quatre très nettement sous ce chiffre. 1 200 euros, c’est un objectif : compte tenu de la revalorisation, on considère qu’une personne fictive qui aurait passé toute sa vie au Smic à temps plein, on espère qu’elle se rapprocherait de ces 1 200 euros. Mais par exemple, une personne qui aurait eu une partie de sa carrière à temps partiel ne les aurait pas », détaille l’économiste sur France Inter. Difficile de parler d’une retraite à 1 200 euros, c’est davantage une revalorisation d’une cinquantaine d’euros, en brut. « Il y a environ 5 millions de retraités dont la pension brute est inférieure à 1 200 euros […] Les seuls qui passeront peut-être les 1 200 euros sont déjà à plus de 1 100 euros, environ 5 % des retraités […] Après réforme, il y en aurait toujours au moins 4,25 millions sous les 1 200 euros », chiffre Michaël Zemmour sur Twitter.

Dit autrement, atteindre ces 1 200 euros par mois n’est pas acquis, il y aura celles et ceux qui y auront droit, et les autres, qui n’entreront pas dans les cases. Bref, ces 1 200 euros n’ont rien avoir avec l’Aspa (Allocation solidarité aux personnes âgées), là un réel minimum vieillesse, peu importe les carrières : au 1er janvier 2023 à 961,08 euros par mois pour les personnes seules et à 1 492,08 euros par mois pour les couples, rappelle le site du Service Public. Pour rappel, la moitié des personnes âgées de plus de 65 ans vivant seul(e) avec des revenus inférieurs à 961,08 euros par mois n’ont pas recours à l’Aspa, alors qu’elles y ont droit.

Alors, certains ministres ont dû rétropédaler. Et quelque peu nuancer ce raccourci volontaire. D’un tweet ambitieux mais trompeur en décembre, « pas moins de 1 200 euros pour les retraités », Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement le concède aujourd’hui : cet économiste ne dit pas faux ! Résultat, les discours du gouvernement qui se succèdent depuis plusieurs semaines n’étaient pas dans le vrai. Nombre de journalistes ont aussi trop pris pour argent comptant les dires du pouvoir… ce qui a au passage renforcé cette confusion.

Plus les semaines défilent, et moins Macron et sa bande ne peuvent faire passer cette réforme des retraites comme une mesure de justice sociale. Au mieux, elle vise un équilibre, dans le futur, du système des retraites. D’un « travailler plus pour gagner plus », dont pas mal de jeunes se fichent désormais, voilà venue l’ère du « travailler plus pour équilibrer les comptes », bien insuffisant pour convaincre. D’autant plus celles et ceux qui partiront à la retraite en 2040, 2050 ou 2060… et qui savent pertinemment qu’une dizaine de réformes des retraites seront passées par-là. Surtout, en 2050, plutôt que de savoir si l’on touchera 50 ou 100 euros de plus par mois à la retraite, la priorité tend plutôt à faire en sorte d’y arriver… le réchauffement climatique, lui, depuis nombre d’années, coche hélas tous ses trimestres, mais ne prévoit pas pour autant de lever le pied.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise, etc.). Friand de football et politiquement égaré.

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