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20 minutes d’un discours digne de figurer dans les annales. Emmanuel Macron s’est bien sorti de l’épreuve Napoléon.

Nul doute que Brigitte Macron, professeure de lettres, aura goûté le discours de son président de mari, discours de commémoration (on se souvient) et non de célébration (on applaudit) à l’Institut de France. Il fut parfait. Si le Président l’avait écrit tout seul, il mériterait un coup de « petit chapeau » (le nom du bicorne porté à l’horizontale par l’empereur). Il fut sans doute aidé par quelque plume élyséenne (et sans doute relu par sa femme), mais la copie mérite 18 ou 19 sur 20.
Que n’avait-on pas attendu ou craint de ce style de positionnement face au personnage considérable qui fit la France, comme le discours présidentiel l’a rappelé presque à chaque phrase ? Qu’il n’encense trop le guerrier ? Qu’il tente de montrer en quoi Emmanuel Macron serait l’héritier du « grand homme » ? Il n’était pourtant pas si difficile pour l’hôte de l’Élysée de faire la part des choses. D’un côté le bâtisseur et, surtout, le législateur, de l’autre le guerrier peu économe de vies humaines et le restaurateur de l’esclavage.
Ce fut un jeu d’enfant pour l’orateur que de naviguer entre ces deux faces de Janus, en coulant pour la postérité cette allitération de haute volée, à la Chateaubriand : « Le meilleur de l’Empereur sans oublier le pire de l’empire. » Tout était dit. Le reste du propos ne fut plus qu’une suite d’oxymores à la Napoléon : de « la République a un empire » à l’aigle et l’ogre en passant par Alexandre et Néron.
Un parcours sur-mesure pour les lycéen·nes masqué·es convié·es à l’Institut. Commentaire de texte : « Que retenir du portrait de Napoléon Bonaparte composé par le Président de la République ? Vous soulignerez les relations qu’il établit avec la République actuelle et ce que les gouvernements ont gommé des excès napoléoniens. Vous avez 4 heures. »
Car c’est vrai, l’on a aboli à nouveau l’esclavage (pas partout), supprimé la peine de mort (pas partout) et rendu à la femme une égalité civile (pas partout, à commencer par la France et sa grammaire « masculine »). Côté guerres, le Président Macron aurait pu reconnaître que si Napoléon « ne s’est pas préoccupé des pertes humaines », la France des essais nucléaires de De Gaulle et Chirac et celle de la vente d’armes de Macron ne s’en préoccupe pas non plus, même si l’on meurt moins sur les théâtres d’opérations comme se nomment aujourd’hui les champs de bataille. Le Président l’a rappelé en filigrane, les « valeurs » humaines, à l’époque de Napoléon, n’avaient pas la même portée : « Nous avons placé la vie humaine plus haut que tout. » Hum, est-ce toujours si sûr ?
Au fond, il ne fallait pas tant craindre cet exercice de style qui consistait à « commémorer » le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte, à l’image de la prudence d’un Chirac qui s’en était dispensé. D’autres « célèbrent » les anniversaires de Jeanne d’Arc pour des raisons et sous des formes bien peu glorieuses.
À l’Institut de France, Emmanuel Macron a prononcé un discours digne d’un académicien. Les manuels retiendront cette envolée superbe : la France est « une nation palimpseste qui reçoit les héritages sans testament ». C’est beau comme l’antique.
Olivier Magnan