Mondial au Qatar, à quoi bon stigmatiser les spectateurs ?

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Geoffrey Wetzel,
journaliste-chef de service

Le Mondial au Qatar se déroulera du 20 novembre au 18 décembre. Jamais un événement n’avait autant divisé. Malgré toutes les dérives, ne nous trompons pas de coupable(s).

« Mondial de la honte », dixit le journal Mediapart. « Sans nous », titrait Le Quotidien de la Réunion, le premier journal français à assumer boycotter l’événement. Plusieurs villes françaises ne diffuseront pas les matchs. Des personnalités ont affiché publiquement leur dégoût d’une Coupe du monde qu’ils ne regarderont pas. Comme les ex-footballeurs Éric Cantona et Vikash Dhorasoo, ou des acteurs comme Vincent Lindon. Écœurés des conditions dans lesquelles le Qatar peut accueillir ce rendez-vous planétaire… au prix de 6 500 morts sur les chantiers, de droits humains bafoués, d’une indifférence totale à l’égard du réchauffement climatique. Et de soupçons de corruption quant à l’attribution de cette Coupe du monde. Bref, tous les voyants sont au rouge.

Les passionnés de football, forcément sujets à un biais cognitif, ne savent plus s’ils doivent assumer ou non, en public, le fait qu’ils suivront cette Coupe du monde ultra-controversée. Les mêmes qui, dans un sondage mené fin octobre par Harris Interactive pour RMC, affirment à 28 % qu’ils boycotteront le rendez-vous alors que 93 % des interrogés, de ce même sondage, s’apprêtent à regarder les rencontres, a minima celles des hommes de Didier Deschamps. Paradoxal. Les téléspectateurs ne savent pas quoi faire. Comme s’ils se sentaient coupables des dérives humanitaires qui ont lieu au Qatar. Regarder une rencontre de l’équipe de France lors de ce Mondial-là signifie-t-il cautionner le recours à des milliers de travailleurs esclavagisés pour qu’un petit pays de 3 millions d’habitants puisse accueillir une compétition sportive ? Je ne le crois pas.

Ne pointons pas du doigt le Français « moyen », qui sera assis devant son téléviseur fin novembre. Ces férus de ballon rond – invétérés ou le temps d’une Coupe du monde, d’une finale, d’une mi-temps. « Les fans de football doivent pouvoir profiter de leur sport sans être pris en otage par les choix dramatiques de la Fifa, tant sur le plan humain qu’écologique », dénonce l’ONG Notre Affaire à Tous. Voilà sans aucun doute les vrais responsables. Ceux qui ont dit oui, en 2010, à un Mondial de football au Qatar.

Il y a 12 ans, les droits humains à Doha étaient au mieux les mêmes qu’aujourd’hui, au pire encore plus déplorables. La kafala n’a été abolie qu’officiellement en 2016. Ce système de parrainage qui établit un lien de subordination entre les travailleurs étrangers présents au Qatar, qui viennent le plus souvent des Philippines, du Pakistan, d’Inde, du Népal, d’Indonésie, du Bangladesh ou encore du Sri Lanka, et leur employeur. Ce même système qui interdit aux ouvriers étrangers de quitter le territoire qatari sans la permission de leur parrain. Dans les faits, cet esclavage moderne demeure. « Le Qatar use de communication pour faire croire qu’il a stoppé la kafala, c’est une question d’image », me confiait il y a quelques semaines Pierre Rondeau, économiste du sport.

Et en termes d’environnement, notre planète ne brûle pas seulement depuis quelques mois. Le fameux Giec, dont les rapports se succèdent et les conclusions s’aggravent, a vu le jour en 1988. Avant de publier un premier constat en 1990. Quelques années plus tôt, en 1987, le développement durable accueillait sa définition officielle. C’était lors de la rédaction du rapport Brundtland : « un développement qui répond aux besoins du présent… », vous connaissez la suite. La prise de conscience environnementale remonte bien avant 2010. La Fifa a agi en toute connaissance de cause.

Et le monde en paie aujourd’hui les conséquences. Sept des huit stades qui accueilleront le Mondial seront climatisés… et à ciel ouvert. Pas sûr que le Qatar utilise la clim pour cet événement en particulier (le Mondial se déroulera en hiver), mais l’État du Golfe, pour asseoir son softpower par le sport, pense déjà à l’avenir. Palme de l’aberration : « Faute de place à Doha pour loger tous les supporters, le Qatar a mis en place un système de navettes par avion pour les acheminer depuis les pays voisins jusqu’aux stades », rappellent nos confrères de Novethic.

Le boycott sera-t-il utile ? « S’il est désormais trop tard pour effacer les souffrances induites par les violations passées, la Fifa et le Qatar peuvent et doivent agir pour éviter de nouveaux abus, mais aussi allouer des réparations à tous ceux et celles qui ont rendu la Coupe du monde possible », défend-t-on à Amnesty International. L’ONG ne plaide pas pour le boycott comme elle l’avait fait en 1978 en Argentine – le pays était alors sous dictature militaire. Mais réclame le prélèvement de 420 millions d’euros dans les finances de la Fifa. L’objectif ? constituer un fonds d’indemnisation des familles des travailleurs décédés ou exploités sur les chantiers du Mondial. Cette somme équivaut à l’enveloppe globale distribuée aux fédérations qui participent à la phase finale…

… Une action qui ne ramènera pas les milliers d’ouvriers décédés. Mais qui reconnaitrait une part de responsabilité de la Fifa dans toutes ces dérives. Après celle du Qatar, évidemment. Donc les spectateurs des matchs de football, eux, n’y sont pour rien. Absolument rien.

Journaliste-Chef de service rédactionnel. Formé en Sorbonne – soit la preuve vivante qu'il ne faut pas « nécessairement » passer par une école de journalisme pour exercer le métier ! Journaliste économique (entreprises, macroéconomie, management, franchise...). Friand de football et politiquement égaré.

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